Les conflits sont actuellement l’image la plus forte que nous envoie l’Afrique – surtout l’Afrique sub-saharienne à laquelle s’attache essentiellement notre dossier, et cette image en suscite d’autres aussi négatives. Si l’on ajoute à une violence endémique et dispersée les atteintes massives au droit humanitaire, la pauvreté et le sous-développement, les catastrophes naturelles, l’expansion du Sida, la dictature ou la défaillance des autorités politiques et la prédation économique, ne pourrait-on parler des sept plaies de l’Afrique ? Dès l’accession à l’indépendance, René Dumont la considérait mal partie. On a parfois aujourd’hui l’impression d’un continent perdu, dont on pourrait écrire un précis de décomposition.
Image sans doute grossière et trompeuse, qui ignore la vitalité du continent, qui ne tient pas compte de sa richesse en hommes, de l’abondance de ses ressources, de sa faculté de régénération après les crises. Si l’on met les conflits actuels en perspective, ne correspondent-ils pas davantage à une période de transition après l’effacement de la génération dirigeante qui a suivi la décolonisation, en même temps qu’à une mutation de l’implication des puissances extérieures, à un difficile passage vers une nouvelle ère dans laquelle les Africains seront appelés à devenir pleinement maîtres de leurs affaires ?
Certes, pour l’instant c’est plutôt le recours, volontaire ou forcé, à l’aide étrangère, à l’assistance internationale, celle des institutions internationales, celle des ONG, qui dominent. Le tableau qui est ici dressé est sans complaisance. Il marque bien la faiblesse des réactions et des remèdes. Il marque aussi que l’Afrique est à beaucoup d’égards un banc d’essai – pas seulement un laboratoire de la conflictualité, mais aussi des solutions, puisqu’on y a rôdé aussi bien les opérations du maintien ou du rétablissement de la paix des Nations Unies que la création de nouveaux Etats, leur construction ou leur reconstruction.
Les formules de stabilisation sociale, d’identité nationale, de liberté politique et de développement économique restent encore à inventer, et surtout leur adaptation au contexte africain. Il est clair que beaucoup de difficultés tiennent à la faiblesse ou aux défaillances d’Etats jeunes, qui n’ont pas suscité en leur sein de morale collective, d’esprit de service public, clef d’une organisation efficace et d’un développement endogène et autocentré. Dans ces conditions les élites africaines, de plus en plus formées à l’extérieur, tendent à s’expatrier, et cette déperdition humaine ne peut qu’aggraver la situation.
Il n’y a pas qu’en Afrique que se marquent la méfiance et la tendance au repli de chacun sur ses propres intérêts. La laborieuse genèse de la future constitution européenne en est un exemple, naturellement sur un registre pacifique, ou l’obsession sécuritaire aux Etats-Unis, autres thèmes dont traite cette livraison de Questions internationales. La construction européenne demeure cependant l’un des principaux chantiers de recomposition d’un ordre international, cependant que le G 8, autre sujet d’étude, amorce son ouverture aux grands pays du Sud – mais il n’est guère qu’un forum médiatique, et l’on en revient aux images, qui décidément sont devenues des acteurs plus que des reflets des relations internationales.