Même si l’entreprise du désarmement revêt largement une forme juridique, et passe notamment par la voie de traités, le droit international a encore à établir l’utilité et l’originalité de son apport à cet égard. Parmi les spécialistes nombreux et divers qui s’occupent de ces questions, on rencontre en effet bien peu de juristes. On trouve naturellement dans le cercle des négociateurs des diplomates et des militaires, mais leurs préoccupations sont avant tout d’ordre politique, stratégique, voire administratif, dans la mesure où une bureaucratie du désarmement tend désormais à se mettre en place. Il est par exemple frappant que la Conférence du désarmement à Genève, instance multilatérale de négociation, n’ait pas de conseiller juridique propre. On trouve également, autour de ce noyau utile, en tout cas le plus immédiatement actif, un cercle plus large et plus diffus de chercheurs, d’experts voire de militants provenant de différentes spécialités – analystes politiques, stratégiques, scientifiques appartenant à diverses disciplines. Cette nébuleuse promène de ville en ville une problématique itinérante, au fil des colloques, conférences et autres séminaires qui se tiennent et se retrouvent tout au long de l’année dans le monde entier sous diverses bannières. On n’y rencontre pas non plus beaucoup de juristes. Il est vrai qu’il y a de la part des spécialistes assez peu de demande d’informations ou de réflexion juridiques, en dehors du concours ordinaire des services juridiques des administrations nationales. Pourquoi une telle situation ? L’explication n’est sans doute pas propre à l’entreprise du désarmement. Elle doit être élargie à l’ensemble des relations politiques internationales. On sait par exemple que le rôle des juristes, et des préoccupations juridiques, a été restreint lors de l’élaboration de la Charte des Nations Unies, pourtant texte cardinal pour la société internationale. On sait aussi que la place du règlement juridictionnel des différends – et notamment de la Cour internationale de justice – est modeste dans cette société, et par conséquent dans le domaine des accords relatifs au désarmement. Or il existe une tendance répandue, quoique inexacte, à assimiler considérations juridiques et intervention d’un juge. C’est ainsi que l’on découvre l’importance du droit dans la construction communautaire à partir de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, comme le développement du droit constitutionnel à partir de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. C’est dire que l’approche juridique du désarmement doit se distinguer radicalement d’une approche jurisprudentielle. Pour autant, l’entreprise du désarmement est largement une entreprise juridique. Elle passe par des traités, des accords, des engagements qui tirent leur autorité du droit international, et dont la valeur et la pérennité sont liées à l’acceptation par les Etats d’un ensemble de règles et principes juridiques communs gouvernant leur activité. Tout le monde a présent à l’esprit un ensemble d’instruments qui matérialisent l’entreprise et lui donnent son efficacité. Quelle peut donc être l’utilité du droit international ? Elle se rattache aux fonctions générales que remplit la régulation juridique internationale, et que l’on peut ici tenter d’analyser dans quatre directions: l’orientation des comportements étatiques, leur prévisibilité, leur évaluation, la réglementation des réactions qu’appelle la violation des engagements acceptés.
- L’orientation réside dans le caractère normatif des instruments, dans les prescriptions qu’ils contiennent et qui peuvent se déployer sur divers plans – obligations primaires, qui sont la substance même des engagements; obligations secondaires, tenant par exemple à la vérification des premières ; conditions d’application dans le droit interne des parties, etc…
- La prévisibilité résulte du postulat que les Etats concernés appliquent et respecteront leurs engagements, et que par là leur comportement futur peut être raisonnablement anticipé, ce qui accroît la sécurité des partenaires. Elle permet également, en faisant fond sur les comportements futurs, d’envisager le développement des instruments, de construire progressivement un régime dynamique. Ainsi pour le droit de l’espace, ou l’ensemble du régime de l’Antarctique, les conventions de principe constituent à cet égard une matrice conduisant à l’élaboration de règles nouvelles.
- L’évaluation considère les normes acceptées comme des instruments de mesure, auxquels on peut confronter les comportements pratiques afin de déterminer s’ils sont ou non compatibles avec les engagements souscrits. Les normes juridiques sont à cet égard des normes de jugement. Elles comportent toujours une certaine part de flexibilité, de telle sorte qu’elles sont enrichies par la pratique, et que la pratique elle- même permet de les évaluer. L’évaluation fonctionne donc en un double sens, et les traités ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil.
- Quant aux réactions qu’appelle la violation des engagements, elles soulèvent en droit international des questions particulièrement difficiles, et en même temps particulièrement importantes dans le domaine de la sécurité et du désarmement. Qu’appellera-t-on une violation? Qui pourra la constater? Qu’attend-on des réactions? Le retour au respect intégral de la norme ou la protection de ses propres intérêts ? Reposeront-elles sur des mesures individuelles ou collectives ? S’agit-il d’assurer une réparation au profit des victimes ou de sanctionner le manquement à la règle ? Le droit a beaucoup de réponses à apporter, et encore davantage d’imagination à déployer, compte tenu de la structure particulière de la société internationale, qui ne permet qu’un faible développement des sanctions institutionnelles, collectives et organisées.
On mesure l’intérêt de ces fonctions générales pour le succès de l’entreprise du désarmement. On peut les analyser plus précisément en se situant sur deux plans différents. D’abord, dans une approche pragmatique, on s’attachera au rôle concret que peuvent jouer les préoccupations juridiques et les juristes dans la vie des engagements internationaux relatifs au désarmement – dans leur élaboration, pour leur application, et pour assurer leur respect. Ensuite, dans une approche plus théorique, doctrinale, on s’interrogera sur l’existence d’un droit international du désarmement, régi par ses propres principes, reposant sur des techniques juridiques spéciales, développant sa propre problématique. La réponse n’est pas à l’heure actuelle nécessairement positive, mais cette question relève de l’intelligence générale du désarmement, de la réflexion sur ses fondements et finalités. Dans la mesure où l’entreprise est une entreprise volontariste, il est bon de savoir dans quel cadre elle se situe, ce que l’on a fait et ce que l’on tend à faire.
APPROCHE PRAGMATIQUE
On raisonnera ici dans le cadre des traités, qui représentent une part importante quoique non exclusive de l’entreprise du désarmement, et qui résultent d’une négociation, comportant la rédaction d’instruments internationaux, instruments qui d’une part forment un ensemble organisé se suffisant à eux-mêmes, mais d’autre part doivent être également intégrés dans l’ensemble du droit international, voire du droit interne des parties. Le concours des juristes à la mise au point des instruments ainsi qu’à leur application ne se borne pas – ne devrait pas se borner – à une mise en forme subalterne de la substance d’accords politiquement établis par ailleurs. Les préoccupations juridiques sont étroitement liées à l’ensemble de la vie des traités, tant à leur élaboration qu’à leur pratique. Ces préoccupations tiennent à la rigueur des termes et des concepts utilisés, à leur précision. Elles doivent aussi comporter une part d’imagination – qualité souvent considérée comme étrangère aux juristes – lorsqu’il s’agit de construire des mécanismes permettant de faciliter l’application des traités ou de définir les moyens de réagir contre leur violation. On peut ici tenter de distinguer trois stades, ou trois types de problèmes qui exigent une approche juridique, certainement pas exclusive mais importante: celui de la rédaction des instruments; celui de leur application; enfin les problèmes variés liés au respect – ou plus exactement au non-respect éventuel – des instruments.
La rédaction des instruments
– Définitions Deux éléments peuvent ici être soulignés. D’abord, le problème des définitions des termes employés, qui doivent être suffisamment précis et en même temps suffisamment généraux pour couvrir les activités ou les matériels que l’on veut réglementer. On peut à cet égard donner quelques exemples de lacunes ou de difficultés liées à un emploi insuffisamment précis de terme. Ainsi dans la traite sur l’espace, la notion d’utilisation pacifique de l’espace est devenue un pont aux ânes pour les commentateurs. Certains y voient l’exclusion de toute usage militaire – ce qui est au demeurant largement contraire à la pratique – d’autres l’interdictions de l’usage à des fins agressives, ce qui n’ajouterait rien au droit international général et en particulier à la Charte, dans le cadre de laquelle le traité est expressément inscrit. La distinction entre activités civiles et militaires est également très difficile à opérer car une activité donnée peut être à double finalité ou au minimum à double capacité. Le problème se complique encore si l’on constate que dans le même traité la lune et les autres corps célestes sont consacrés à des usages exclusivement pacifiques… La différence entre un usage pacifique et un usage exclusivement pacifique n’est pas non plus très claire. Vise-t-on à écarter la légitime défense, par exemple ? Certainement pas, puisque celle-ci est consacrée par la Charte, dont le traité reconnaît la supériorité et qui s’impose au demeurant à lui en vertu de ses propres dispositions (article 103). Un autre exemple de définition incomplète ou problématique tient à la catégorie largement utilisée par les traités pertinents, des armes de destruction massive. On admet généralement que cette catégorie regroupe les armes ABC, ou armes atomiques, biologiques (bactériologiques) et chimiques. Il faut d’abord observer à cet égard qu’on est plutôt en présence d’une distinction que d’une définition, puisque la catégorie repose sur la différenciation entre armes de destruction massive et autres armes – que dans l’usage on dénomme classiques ou conventionnelles. Cependant cette distinction est à elle seule insuffisante et en tous cas ne recouvre pas toutes les hypothèses d’armes prohibées: ainsi les vecteurs, les missiles – qu’il convient encore de classer suivant leur portée – ne rentrent clairement dans aucune de ces catégories. Certaines font l’objet d’interdictions spécifiques (missiles à portée intermédiaire avec le Traité FNI de 1987), ou encore les armes causant des traumatismes excessifs (Convention de 1981), sans même parler des problèmes de définition dans le cadre de la négociation FCE. En outre, si l’on examine en elle-même la catégorie armes de destruction massive, on peut mettre en doute son homogénéité: assimiler armes atomiques et chimiques renforce l’argumentation « arme chimique / arme nucléaire du pauvre » dont les experts dénoncent de plus en plus l’inexactitude et même le danger. On peut en effet estimer que les armes chimiques ne sont nullement des armes de destruction massive niais plutôt des armes de terreur, intégrées dans des corps de bataille et appelées à être mises en oeuvre en complément d’une stratégie classique. Il y aurait donc grand intérêt à une réflexion juridique plus approfondie sur la définition et classification des armes et de leurs vecteurs. Il est certes vain de vouloir enfermer un développement technologique toujours rapide dans des catégories trop rigides, et celles-ci sont sans doute appelées à se transformer avec l’évolution des armements. Mais l’établissement de listes et définitions convenues pourrait constituer une base de travail pour les négociateurs. A cet égard les difficultés des définitions ne sont pas toutes de même nature. Certaines résultent d’un choix délibéré, maintenant l’ambiguïté comme formule de compromis ouverte ; elles ne peuvent donc pas être surmontées, au moins au stade de la rédaction du traité. D’autres en revanche sont purement techniques, tenant à la variété des langues officielles utilisées et à la difficulté de rendre exactement les mêmes notions dans des systèmes linguistiques différents. Elles peuvent être plus facilement éliminées. Entre les deux, on trouve des lacunes opportunistes, tenant à ce qu’on n’a pas souhaité résoudre des problèmes qui ne se posaient pas au moment de la négociation, bien que l’on ait eu conscience qu’ils se poseraient un jour: ainsi du problème de la délimitation entre atmosphère et espace extra-atmosphérique. On trouve aussi des lacunes méthodologiques, tenant à ce que certains développements n’avaient pas été prévus, et que les prohibitions établies sont trop restreintes, permettant un contournement ultérieur, comme le traité ABM en offre différents exemples. Il est clair que ces différentes difficultés n’appellent pas le même type de traitement, mais qu’elles sont renforcées par l’insuffisante attention apportée aux problèmes strictement juridiques de la rédaction des traités. – L’articulation entre les différents traités Elle pose également des problèmes spécifiques. On en prendra quelques exemples. En premier lieu, en principe chaque traité ou instrument possède son régime juridique propre et les termes qu’il emploie doivent être considérés comme lui étant propres, surtout s’il contient ses propres définitions. Mais l’interprétation du traité se déroule suivant le sens naturel et ordinaire des mots, dans le contexte du traité et du droit international (Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, article 31). Ainsi existe-t-il un vocabulaire commun qui peut être repris d’un traité à un autre, et il convient toujours de s’interroger sur le point de savoir si un terme est employé dans son sens général ou dans un sens spécial, particulier au traité. En second lieu, des traités successifs peuvent avoir au moins partiellement le même objet. Il convient de savoir comment leur application peut s’harmoniser dans les relations entre les Etats qui sont également parties aux deux traités. Le droit international général contient certes une solution de principe, favorable à la prévalence du traité postérieur en cas de conflit (article 30 de la Convention de Vienne). Mais la Charte des Nations Unies, quant à elle, l’emporte sur tout autre instrument, antérieur comme postérieur (article 103). Les traités peuvent également harmoniser leurs relations par des dispositions spéciales et les rédacteurs doivent soigneusement y veiller. On peut à cet égard mentionner l’exemple de la convention sur l’élimination des armes chimiques en cours de négociation et de ses rapports avec le Protocole de Genève de 1925. En apparence la future Convention devrait recouvrir et donc rendre inutile ce Protocole. Mais il n’est pas établi qu’ils auront exactement les mêmes parties, ce qui impose le maintien du Protocole; en outre cette convention chimique peut ultérieurement disparaître, et il convient d’éviter que sa disparition éventuelle n’emporte la disparition récurrente du Protocole, qui devrait au contraire recouvrer toute sa portée dans une telle hypothèse; enfin certaines parties ont émis des réserves à l’égard du Protocole de Genève, en limitant notamment l’interdiction d’usage au premier emploi, maintenant donc expressément la possibilité de représailles par les mêmes moyens. Ces Etats refusent de voir leur réserve remise en cause par la nouvelle convention qui contient des interdictions beaucoup plus larges. Il y a certes là une difficulté politique, puisque d’autres Etats n’aperçoivent pas ou ne veulent pas apercevoir le sens d’une réserve qui deviendrait purement virtuelle dès lors que les armes chimiques seraient totalement éliminées. Mais il est clair que le problème rédactionnel de la convention, établissant une articulation satisfaisante pour tous entre Protocole et nouvelle convention, appelle une solution juridique qui met à l’épreuve l’imagination des juristes.
L’application des instruments
On peut également prendre quelques exemples de problèmes qui demandent une réflexion et une solution juridiques, qui ne relèvent pas de la simple mise en forme. Le problème central de la vérification d’abord, celui du règlement des différends relatifs aux engagements souscrits ensuite, celui des mécanismes d’adaptation et d’évolution des traités enfin. – La vérification Une des originalités les plus marquantes du droit international du désarmement – on y reviendra – réside dans les problèmes posés par la vérification des traités. Or cette vérification met en cause le droit à un double égard. – D’une part elle implique l’appréciation juridique du comportement des parties, et non seulement l’examen matériel de leur comportement. En d’autres termes, il ne faut pas confondre surveillance, ou monitoring, et vérification. La surveillance comporte le rassemblement et l’analyse d’un ensemble de données relatives au comportement des Etats. La vérification consiste à évaluer dans quelle mesure ce comportement est ou non conforme au traité, ou au minimum compatible avec lui. Il s’agit donc d’une activité essentiellement juridique. Cette activité est le privilège des parties. Les tiers ne sont pas en principe compétents pour y intervenir, à tout le moins sans le consentement des parties. Ceci ne manque pas de soulever diverses questions, notamment quant au rôle que peuvent jouer les organisations internationales en la matière. Une recherche juridique serait à cet égard fort utile. Or cette dimension juridique est trop souvent négligée ou inaperçue, notamment dans la littérature anglo-saxonne. Parfois, et notamment dans la littérature soviétique, lorsqu’elle est prise en considération, elle est confondue avec un mécanisme de garantie, qui est d’une nature différente. La garantie tend en effet à assurer le respect du traité, et donc à démontrer positivement qu’il est convenablement appliqué : ainsi les garanties de l’AEA dans le cadre du TNP. La vérification en revanche ne saurait démontrer que le traité est respecté mais seulement qu’on ne peut pas établir sa violation, ce qui est tout différent. La police ainsi ne peut garantir le respect du Code pénal, mais seulement établir qu’il n’est pas violé – ou au contraire qu’il l’est. Pour simplifier, une garantie tend à une démonstration positive alors que la vérification ne peut aboutir en règle générale qu’à une démonstration négative. – D’autre part, la vérification tend à reposer de plus en plus sur des moyens juridiques organisés, et organisés par les traités eux-mêmes. Ce n’est pas ici notre propos de rendre compte de cette évolution profonde que connaît actuellement la vérification, où certains voudraient voir une véritable révolution. Observons simplement qu’elle met en oeuvre des procédures internationales coopératives, notamment des mécanismes d’enquête, qui doivent être soigneusement organisées et réglementées, d’autant plus qu’elles comportent une intrusion sur le territoire des parties. Il est frappant ainsi de constater la croissance rapide des instruments spécialement consacrés à la vérification et à ses procédures dans les traités et négociations récents – le Traité FNI, les négociations START, FCE, ou celles relatives aux armes chimiques. Deux types de problèmes juridiques nouveaux apparaissent. D’un côté, le rôle des organisations internationales spécialement mandatées, créées par le traité, impliquant le développement d’un droit institutionnel de la vérification – statut des inspecteurs, origine internationale de la réglementation qu’ils appliquent, etc…. De l’autre, le rapport entre ces obligations nouvelles et le droit interne qui ne doit pas y faire obstacle. Dans le cadre de la convention chimique en cours de négociation, on rencontre ainsi le problème du droit interne des Etats-Unis, dont la Constitution s’oppose à des formes trop intrusives de vérification mettant en cause des activités privées. De façon plus générale, la question de la protection du secret industriel doit également être résolue. Tous ces domaines restent largement à explorer et devraient se développer à mesure que l’entreprise du désarmement touchera à des activités civiles, comme l’industrie chimique. – Le règlement des différends Ce problème est dans l’ensemble peu et mal réglé dans les conventions en vigueur. Le règlement juridictionnel international est rarement prévu, et au demeurant inadéquat. Il est en pratique trop long, et mal adapté au mélange de considérations juridiques, stratégiques et politiques indissociables dans le traitement de telles questions. L’élément juridique existe, mais il est difficilement isolable, en tous cas de façon utile pour un règlement concret. La formule que l’on trouve dans beaucoup de traités, surtout bilatéraux, américano-soviétiques, est celle des commissions consultatives, bipartites et paritaires. Il est difficile de formuler un jugement à leur égard dans la mesure où leur pratique demeure largement confidentielle. Cependant, si la commission prévue par le Traité FNI semble pour l’instant fonctionner harmonieusement, celle qui est prévue par le Traité ABM n’a pas été en mesure de régler les profondes divergences d’interprétation de ce Traité, liées notamment au projet IDS. D’autres formules plus intégrées existent, notamment avec le Traité de Tlatelolco, ou dans le cadre des garanties de l’AIEA, ou encore avec le projet de Convention sur l’élimination des armes chimiques, ou dans le contexte des négociations FCE. A cet égard l’entreprise apparaît comme un chantier, où l’imagination juridique devrait se déployer, et où la recherche à un rôle utile à jouer. Il est clair que les problèmes politiques et stratégiques sont dominants, mais la perspective juridique est indispensable à la mise au point des instruments qui favorisent l’entente et à tout le moins constituent des canaux de communication efficaces. Le règlement des différends est un prolongement normal de la vérification, permettant notamment d’éliminer les cas douteux, de jouer un rôle de filtre séparant questions importantes et simples malentendus, et de bien préciser les positions en cas de divergences plus sérieuses. – Mécanismes d’adaptation et dévolution des traités Ils peuvent être nécessaires lorsque les traités se référent à des techniques évolutives, voire appellent un perfectionnement de leurs dispositions. Or il est très difficile en pratique de réviser les traités même imparfaits. Ils reposent sur un équilibre qu’une remise en question risquerait de détruire. Une formule à cet égard consiste dans l’adjonction de protocoles, d’instruments adventices qui sans remettre en cause les fondements d’une négociation aboutie, permettent de la compléter. De tels protocoles peuvent être contemporains du traité, mais pourront être remaniés plus rapidement et plus simplement que le traité lui-même (Traité FNI par exemple); ils peuvent aussi être postérieurs. Un modèle récent en est fourni par les Protocoles de 1990 relatifs aux Traités américano-soviétiques de 1974 et 1976 sur l’interdiction partielle des essais nucléaires souterrains; il peut aussi s’agir de documents indépendants – comme avec le système des garanties de l’AIEA -, ce qui donne souplesse et flexibilité à des engagements résultant d’un traité unique. Un régime conventionnel peut ainsi comporter une série d’instruments variés, et il convient de répartir les différentes dispositions entre eux, en fonction de leur importance et de leur technicité. Une formule plus négative mais souvent inévitable est celle des réserves, qui constituent une technique d’individualisation des engagements. Elles ne peuvent être émises qu’au moment où l’Etat exprime son consentement, et tendent à limiter la portée de son engagement. Le traité peut les interdire, et à cet égard il convient de ménager la sauvegarde des principes essentiels à son fonctionnement et une flexibilité qui tienne compte des situations particulières. La technique des conférences périodiques d’examen existe dans certains traités multilatéraux. Ces conférences n’aboutissent pas à une renégociation des traités, mais à une évaluation des résultats, de leurs avantages et inconvénients, et constituent toujours un moment de remise en question de leur intérêt, voire un moment de vérité. Mais il est important de souligner que, en dépit des frustrations qui ont pu s’exprimer dans leur cadre, aucun retrait n’a été prononcé et qu’aucun traité n’a jusqu’à présent pris fin. Les traités insatisfaisants ne sont simplement pas entres en vigueur – SALT II (1979), interdiction partielle des essais nucléaires (1974 et 1976). Ceci démontre l’intérêt du droit international comme le fait que les parties prennent leurs engagements au sérieux et n’entendent pas les remettre en cause à la légère. La question de leur respect et des réactions qu’appellent leurs violations n’en conserve pas moins tout son intérêt. – La violation des engagements Les deux questions, essentielles sur le plan juridique, que soulèvent la détermination des violations d’un engagement – son respect n’ayant pas à être démontré puisqu’il est toujours présumé – et les réactions autorisées par le droit face à de telles violations demeurent un terrain large- ment inexploré dans le contexte du désarmement et de la limitation des armements. Certes, le droit international général, notamment tel que codifié dans la Convention de Vienne, s’applique, et il domine l’ensemble du régime en vigueur. Certes, les traités particuliers peuvent toujours comporter des dispositions plus précises, canalisant les mécanismes en cause et tendant à en renforcer l’efficacité. Mais on doit constater qu’ils sont de façon générale muets ou brefs sur la question. Aussi y a-t-il un domaine ouvert à la recherche, même si le projet de convention chimique contient pour sa part des indications plus développées. Cette absence peut tenir au fait que les parties refusent a priori d’envisager la violation comme une hypothèse praticable – sous-produit de l’ancienne argumentation soviétique suivant laquelle la vérification organisée n’était pas très utile parce que toute violation militairement significative ne pouvait manquer d’être décelée et se trouvait par là même dissuadée. Elle peut aussi tenir au fait que les parties entendent conserver à cet égard toute liberté d’appréciation et d’action et donc ne souhaitent pas être enfermées dans un cadre prédéterminé. Elle peut également résulter de la considération que les mécanismes élaborés devraient être coopératifs, voire collectifs, contraignants et lourds, et par là difficiles, voire impossible, à mettre en oeuvre, voire inefficaces. Il ne s’agit pas ici de tenter d’imaginer de tels mécanismes, mais d’indiquer les principales questions qui devraient être abordées dans le cadre d’une régulation juridique de l’établissement des violations et des réactions qu’elles appellent. – Les violations – Une première question a trait à la détermination de la violation. Qui peut l’établir ? En vertu du droit international général, seules les parties sont habilitées à le faire, et elles ne peuvent le faire que d’un commun accord si l’on veut que cette constatation s’impose à toutes. Elles peuvent certes décider de s’en remettre à un organe tiers, par exemple à une juridiction qui, sur la base de leur consentement, trancherait avec force de vérité légale. Mais cette hypothèse est peu probable. Le Traité de Tlatelolco, le Traité sur l’Antarctique en fournissent des exemples isolés. Encore la compétence de la Cour est-elle seulement facultative. Autrement sont seules prévues des procédures de consultation qui s’inscrivent dans le cadre général du règlement des différends mais ne fournissent pas de solution obligatoire. L’intervention d’autres organes tiers ne peut lier les parties si elles ne lui ont pas donné leur consentement préalable. C’est ainsi que ni l’Assemblée générale des Nations Unies, ni même le Conseil de Sécurité, ne peuvent constater de façon autoritaire la violation d’un traité conclu entre Etats tiers. Le Conseil est certes en mesure de constater qu’un comportement donné constitue une menace à la paix, voire une rupture de la paix, et agir en conséquence sur la base du chapitre VII. Mais le fondement de son action serait la Charte exclusivement. Elle reposerait ainsi sur une autre base juridique que le traité éventuellement violé. Quant aux parties agissant individuellement, elles peuvent émettre un jugement sur le comportement des autres parties, et soutenir qu’il constitue une violation de leurs engagements. Mais cette prétention ne lie à l’évidence personne d’autre que l’Etat qui la soutient. Il peut seulement espérer convaincre l’autre ou les autres parties du bien-fondé de sa prétention – comme cela a été le cas dans le cadre du Traité ABM pour la position américaine à l’égard du radar de Krasnoyarsk, puisque les Soviétiques ont finalement reconnu que son existence était contraire à leurs engagements. L’imagination, la recherche juridique, devraient s’attacher à la mise au point de formules permettant d’éviter l’impasse de prétentions juridiques opposées, ou alors de faciliter le règlement du différend. Il pourrait par exemple s’agir de méthodes coopératives, formalisant la discussion, obligeant à motiver les comportements, à organiser un débat entre parties intéressées, à se prêter à une confrontation organisée des argumentations. Les formules seraient naturellement plus complexes dans un cadre multilatéral que dans un cadre bilatéral. – Une seconde question concerne la classification des violations. On ne saurait toutes les mettre sur le même plan. A priori, on pourrait distinguer en fonction de leur objet, de leur origine, de leur consistance et de leur intensité. En fonction de leur objet, on peut par exemple distinguer les manquements qui portent sur la substance des engagements, et ceux qui touchent à d’autres obligations, comme par exemple les procédures de vérification, par entrave à leur fonctionnement régulier. D’autres encore peuvent mettre en cause des dispositions plus secondaires, notamment d’ordre procédural. En fonction de leur origine, il faut distinguer les violations intentionnelles et celles qui ont un caractère accidentel, ou résultent d’une carence administrative davantage que d’un comportement délibéré. A priori, les premières devraient être plus graves que les autres. Mais si l’on raisonne en termes de sécurité, on ne peut exclure qu’une violation volontaire n’ait que des conséquences mineures tandis qu’un manquement accidentel peut être lourd de risques. En fonction de leur consistance, on opposera par exemple les manquements actifs supposant un comportement déterminé – et les manquements passifs, c’est-à-dire l’inaction ou le retard dans l’application du traité. Le critère de l’intensité est le critère essentiel, et il se superpose à l’ensemble des autres davantage qu’il ne s’en détache. Sur cette base, et dans le contexte du désarmement, ce critère conduit à distinguer les violations militairement significatives, qui mettent en cause la sécurité des parties, et les autres. Il est difficile d’enfermer une telle distinction dans un cadre juridique prédéterminé puisque l’appréciation du caractère significatif dépend de l’ensemble des circonstances du manquement, ainsi que de l’état général des relations entre les parties. Le jugement à cet égard demeure donc fondamentalement politique, et il commande le choix des réactions jugées appropriées. – Les réactions – Très schématiquement, les différents traités en vigueur ne contiennent en général que deux types de réactions: le retrait du traité, la saisine du Conseil de Sécurité. Le retrait d’un traité n’est jamais intervenu, et risquerait fort au demeurant de conduire à sa destruction. Possibilité qui souligne l’accent mis sur la sécurité individuelle des parties, puisqu’il s’agit d’une mesure protectrice qui leur rend toute leur liberté d’action au détriment du traité lui-même. Quant à la saisine du Conseil de Sécurité, elle constitue en vérité une disposition cosmétique, car elle serait possible en toute hypothèse sur la base de la Charte. Sur la base du droit international général, le manquement entame diverses conséquences possibles. La mise en cause de la responsabilité internationale de l’Etat auteur du manquement et la réparation des dommages causés, d’abord. Il s’agit d’un processus long, aléatoire, insuffisant à lui seul pour répondre à toutes les situations. La possibilité de prendre des contre-mesures ensuite, permettant de remplir plusieurs objectifs: se protéger contre les conséquences de la violation, exercer une pression sur l’Etat responsable pour le conduire à régulariser son comportement, sanctionner son attitude. Les Etats-Unis se sont ainsi officiellement référés à cette possibilité dans le cadre de la controverse sur le radar de Krasnoyarsk, avec semble-t-il un certain succès. La formule offre l’avantage de ne pas sortir du cadre du traité, de le maintenir donc en vigueur, même s’il peut éventuellement être provisoirement suspendu (article 60 de la Convention de Vienne). Elle offre en contrepartie l’inconvénient de reposer sur l’intérêt individuel des parties qui mettent en oeuvre les contre-mesures, davantage que sur la sauvegarde du traité lui-même. – Dans une perspective plus prospective, on peut ainsi distinguer entre deux catégories de réactions: celles qui tendent à la protection de la sécurité individuelle des parties, éventuellement au détriment du traité; celles qui tendent avant tout à rétablir le respect des engagements souscrits, et qui s’attachent donc à la sauvegarde des régimes établis par le traité, maintenant ses objectifs collectifs. On peut penser que le premier type de réactions se justifie davantage dans le cadre des traités bilatéraux et que le second est davantage requis dans l’hypothèse de traités multilatéraux. Ces derniers comportent en effet une dimension de réglementation collective qui dépasse les seuls intérêts individuels des parties. Cette distinction se relie largement au caractère individuel ou collectif des réactions. Là encore, une recherche juridique systématique serait très utile, dégageant des modèles de réactions possibles, en fonction de la gravité des manquements et de la nature des intérêts lésés. Le projet de convention chimique ouvre des pistes intéressantes dans cette direction.
APPROCHE DOCTRINALE
Il est naturellement tentant à cet égard de rechercher une unité conceptuelle de l’entreprise du désarmement qui puisse se traduire en termes juridiques, par une systématisation doctrinale dégageant un « droit du désarmement », à l’instar d’un droit international économique, d’un droit du développement, d’un droit de la mer, d’un droit de l’environnement, etc… Peut-on céder ici à ce péché mignon des juristes, parfois justifié par de simples exigences didactiques, parfois mieux assuré par une réelle autonomie, reposant sur des éléments originaux communs – un corps de règles interdépendantes, une problématique identique, le recours à un ensemble de techniques propres, etc… ? Il semble qu’à ce stade du développement du désarmement, et même au stade actuellement envisageable, une telle tentation soit fallacieuse et l’effort artificiel. Le terme de désarmement lui-même, que l’on a employé pour des raisons de commodité, recouvre des notions et des pratiques différentes. Si l’entreprise du désarmement présente une incontestable unité, elle ne réside pas tant en elle-même que dans la relation qu’elle entretient avec la sécurité internationale. C’est par rapport à la sécurité internationale qu’il faut rechercher son sens, sa dynamique, ses perspectives. Le « droit du désarmement » apparaît dès lors comme une branche du droit de la sécurité internationale, ou comme un ensemble de rameaux qui se rattachent à des approches différenciées de la sécurité internationale. Sur un plan plus global encore, les instruments juridiques relatifs au désarmement peuvent enfin apporter une certaine contribution au droit international général.
L’hétérogénéité du « droit du désarmement »
On ne peut en effet dégager un corpus homogène de régies juridiques, chaque instrument conservant son individualité et restant soumis à son propre régime. Les processus d’élaboration sont, de la même manière, divers et demeurent indépendants. Il est même difficile de trouver des principes communs à l’ensemble des instruments. – Un corps diversifié L’essentiel passe par des traités, eux-mêmes très divers, mais il ne faut pas négliger d’autres instruments, instruments collectifs non conventionnels, ou actes unilatéraux étatiques, ou encore résolutions d’organisations internationales. En revanche, et par dérogation au droit international dans son ensemble, le rôle de la coutume internationale reste limité. S’agissant des traités, il est clair que la plupart des grands traités politiques de l’après-guerre, et même certains traités de paix, ont un lien avec le désarmement: les Traités de paix de 1947 avec les alliés de l’Axe, le Traité sur l’Antarctique (1959), le Traité sur l’espace (1967), plus directement l’ensemble des Traités relatifs aux armes nucléaires et autres armes de destruction massive – interdiction partielle des essais nucléaires (1963), TNP (1968), Traité sur le fond des mers (1971), Convention sur l’interdiction des armes biologiques (1972), etc… Mais des traités plus anciens, comme le Protocole de Genève (1925) doivent aussi être pris en considération. Ce dernier, comme la plus récente Convention sur l’interdiction des armes causant des traumatismes excessifs (1981), relève au demeurant autant du droit humanitaire, ou du droit des conflits armés, que de l’entreprise du désarmement. Ces instruments limitent l’usage de certaines armes par souci de protéger les cibles virtuelles mais n’ont pour effet ni d’interdire ni de limiter les armes elles-mêmes. Certains traités en outre concernent exclusivement le désarmement, d’autres partiellement seulement – le Traité sur l’Antarctique, ou le traité sur l’espace. A côté de ces grandes conventions multilatérales existent au surplus des accords bilatéraux, américano-soviétiques – des Accords SALT 1 de 1972 au Traité FNI de 1987 – qui restent totalement indépendants et relèvent d’une autre approche du désarmement. Certes, les traités en cause peuvent parfois se recouper ou se compléter. Se recouper parce que des obligations partiellement identiques se retrouvent dans des traités différents à l’égard des mêmes parties – ainsi pour l’interdiction des essais nucléaires dans l’Antarctique, dans l’espace extra-atmosphérique et l’interdiction plus générale formulée par le Traité de 1963; se compléter parce qu’un traité postérieur apparaît comme un développement logique d’un traité plus ancien – ainsi de la Convention sur les armes biologiques de 1972 et du projet de convention sur l’élimination des armes chimiques à l’égard du Protocole de Genève de 1925. Mais le principe demeure que chaque traité établit un régime juridique autonome, et ne se fond pas dans un ensemble juridique commun. On doit aussi mentionner certains instruments collectifs – comme l’Acte final de la Conférence d’Helsinki de 1975, ou le Document final de la Conférence de Stockholm de 1986 – dont la nature juridique est problématique. Ils ne se présentent pas comme des traités, mais plutôt comme un acte unilatéral collectif, imputable à l’ensemble des participants à une conférence, ou encore comme un faisceau d’actes unilatéraux convergents, imputables individuellement à chacun des participants. On peut au demeurant s’interroger sur cette qualification, et se demander s’il ne s’agit pas en réalité de véritables traités, au moins au sens du droit international. La qualité de traité ne leur serait refusée qu’au regard du droit interne des parties, ce qui exclurait les procédures usuelles requises pour les engagements conventionnels des Etats, et notamment la ratification. On serait alors en présence d’une catégorie nouvelle d’accords en forme simplifiée, qui n’en sont pas moins des traités au regard du droit international. Ces instruments conservent cependant leur originalité en ce qui concerne leur contenu. Ils contiennent des mesures de confiance et de sécurité, concept qui enrichit la gamme des techniques de l’entreprise du désarmement, et méritent à cet égard de figurer dans une catégorie spéciale. Les actes unilatéraux étatiques, qui jouent un rôle non négligeable, appelleraient une recherche plus approfondie, notamment du point de vue de leurs effets juridiques. Ainsi, la renonciation à l’usage en premier de l’arme nucléaire, la réduction spontanée des armements, la réduction des dépenses militaires, le retrait de troupes du territoire d’Etats étrangers, etc… Il serait également intéressant d’analyser les liens qu’ils entretiennent avec les traités. Ils peuvent intervenir dans le cadre d’une négociation, constituer une sorte d’application anticipée d’un accord à venir; ou encore intervenir parallèlement à un traité, sans que leur auteur entende devenir partie au traité – ainsi la renonciation aux essais nucléaires dans l’atmosphère; ils peuvent même se substituer à une convention, qui n’est pas entrée en vigueur – ainsi pour l’application pendant une dizaine d’années par les Etats-Unis et l’URSS du Traité SALT II de 1979, qui ne fut jamais ratifié par les Etats-Unis. Les actes des organisations internationales, et notamment les résolutions de l’Assemblée générale, contribuent sur un autre plan à enrichir ce corpus, quoique sur une base non obligatoire. Le Conseil de Sécurité dispose également d’une compétence spécifique sur la base de l’article 26, qui l’autorise à préparer « des plans… pour l’établissement d’un système de réglementation des armements ». Cette compétence n’a pas jusqu’à maintenant été utilisée, mais elle n’est pas nécessairement lettre morte, surtout compte tenu du renouveau du Conseil. Quant à l’Assemblée générale, elle est traditionnellement attachée au « désarmement général et complet sous un contrôle international efficace », suivant le leitmotiv du Document final de la première session extraordinaire consacrée au désarmement en 1978. Elle adopte chaque année dans le cadre de sa première commission un nombre impressionnant de résolutions. La plupart ont un caractère déclaratoire. Certaines, moins nombreuses, sont opérationnelles, notamment en ce qui concerne le mandat donné au secrétaire général de procéder à des enquêtes factuelles en cas d’usage allégué d’armes chimiques ou biologiques. C’est dans ce Document de 1978, formellement une résolution adaptée par consensus, que l’on trouve l’effort d’unification le plus sensible de l’entreprise du désarmement. Il se caractérise par une volonté d’oecuménisme, retenant du désarmement une approche globale et voulant faire place à toutes les techniques comme à tous les principes. A ce titre ce texte très développé, voire diffus, relève de la logique du filet, qui capte toutes les propositions et recueille tous les acquis, plus que d’un discours totalement organisé. Il relève en tous cas du discours, sans autorité juridique contraignante. Au surplus son trait le plus marquant est la condamnation de la dissuasion nucléaire au nom de la sécurité collective, et la priorité reconnue de ce fait au désarmement nucléaire. Or la pratique montre que la plupart des accords conclus s’inscrivent au contraire dans la logique de la dissuasion nucléaire, ou alors s’attachent par priorité – dans le cadre européen spécialement – au désarmement classique. La coutume internationale, précisément en raison de l’individualisation des traités et de leur diversité, ne joue qu’un rôle unificateur très limité. Elle n’est pourtant pas totalement absente de l’entreprise. On peut ainsi considérer que l’interdiction d’usage en premier d’armes chimiques ou biologiques, ou encore l’interdiction de placer sur orbite des armes de destruction massive, également la démilitarisation de la Lune, ou celle de l’Antarctique, établis sur une base conventionnelle, ont acquis un caractère coutumier. Mais cette extension demeure exceptionnelle. En particulier on peut sérieusement mettre en doute la prétention à une interdiction coutumière de l’usage des armes nucléaires, et même de l’usage en premier de telles armes. – Des processus d’élaboration indépendants Cette indépendance découle de ce qui précède. Les principales instances de négociation sont sans lien juridique entre elles, même si leur synergie politique est indéniable. Ainsi les négociations bilatérales américano-soviétiques, qui ont toujours joué un rôle moteur, sont exclusives de toute intervention ou droit de regard des tiers, et les résultats n’en sont éventuellement communiqués que sur une base purement volontaire aux autres Etats, parfois dans le cadre de la Conférence du désarmement. Il en est de même pour les négociations régionales, essentiellement européennes pour l’instant, qui se déroulent dans des cadres autonomes. La Conférence de désarmement, dont les mécanismes actuels procèdent de la réorganisation réalisée sur la base du Document final de 1978, est même en théorie indépendante des Nations Unies. Si elle est présentée comme l’instance multilatérale unique de négociation, elle n’est pour autant universelle, demeurant limitée à quarante participants. Ils ont pour charge d’élaborer des projets de convention à vocation universelle. – L’absence de principes communs On pourrait tenter d’identifier ces principes dans deux directions: en s’attachant d’abord aux exigences générales de la vérification des instruments, qui pourraient constituer une caractéristique commune; en s’interrogeant ensuite sur la notion de ‘désarmement’ elle-même, qui pourrait constituer une matrice unique pour des instruments par ailleurs diversifiés. Cette double recherche ne conduit cependant qu’à des résultats incertains. – S’agissant d’abord de la vérification, il paraît clair aujourd’hui qu’elle constitue une exigence centrale et commune pour la conclusion des accords. Mais, d’abord, la vérification ne concerne que les traités ou autres actes collectifs. Ensuite, ses modalités sont trop diversifiées et spécifiques pour relever d’une construction juridique unique. Certains accords – comme le Protocole de Genève, ou le Traité de 1963 sur l’interdiction partielle des essais nucléaires, ou le Traité de 1967 sur l’espace – ne contiennent aucune disposition particulière à cet égard. D’autres – comme le Traité FNI de 1987, le projet de convention sur les armes chimiques ou le projet FCE – comportent à l’inverse des dispositions très élaborées. Cela correspond à une dynamique, permise par l’accord, récemment réalisé à partir de l’évolution de la position soviétique, sur des mesures intrusives de vérification. Le principe de spécificité de la vérification demeure cependant dominant, et chaque traité développe, suivant les besoins et les modalités qui lui sont propres, ses propres moyens et méthodes. On peut se limiter parfois aux moyens techniques nationaux, on peut parfois développer des formes de vérification coopérative limitée aux parties, on peut parfois prévoir l’interdiction d’organisations internationales. Celles-ci ne sauraient en toute hypothèse jouer un rôle réellement coordonnateur ou unifiant, faute de compétence générale à cette fin. La vérification demeure le privilège des parties. L’Assemblée générale peut certes exercer une fonction régulatrice – ainsi avec l’adoption en 1988 par la Commission du Désarmement de 16 principes relatifs à la vérification -, voire jouer un rôle opérationnel- ainsi avec les enquêtes du secrétaire général en cas d’usage allégué d’armes chimiques ou biologiques. Mais cette intervention demeure dominée par deux principes. Le principe de subsidiarité – l’Assemblée générale ne fait que ce que ne peuvent pas ou ne veulent pas faire les Etats – et le principe d’assistance – son intervention est fonction du concours des Etats et tend à faciliter l’exercice de leurs responsabilités propres. L’étude qui vient d’être achevée (1990) par un groupe d’experts gouvernementaux à la demande de l’Assemblée est à cet égard très éclairante. Enfin, la vérification, qui connaît un développement spectaculaire dans le domaine du désarmement, est probablement appelée à connaître d’autres prolongements. D’un coté, elle peut s’étendre à d’autres aspects de la sécurité internationale, notamment en matière de gestion et de résolution des crises; de l’autre elle peut déborder sur d’autres questions, notamment en matière de droits de l’homme et de droit humanitaire, ou encore dans le domaine du droit de l’environnement. – S’agissant du concept même de désarmement, il est en réalité plus divers, voire contradictoire, que les images simples qu’il évoque ne pourraient l’indiquer. On n’insistera pas sur ce point, car la différence fondamentale qui existe sur le plan théorique entre désarmement – réduction organisée tendant à l’élimination graduelle et totale, ou au moins asymptotique, des armements, et maîtrise des armements (arms control) – gestion de la dissuasion nucléaire, et en définitive légitimation de la dissuasion nucléaire -, est bien connue. Cette distinction, et même cette opposition, suffit à souligner l’absence d’homogénéité, ou l’ambiguïté profonde qui est au coeur même de l’entreprise du désarmement. Elle manifeste également que le désarmement trouve sa raison d’être, non en lui-même, mais par référence à des conceptions données et extérieures de la sécurité. C’est dans ces conceptions, dans leurs contradictions et dans leurs éventuelles convergences, que réside la véritable problématique du désarmement et sa dynamique.
L’intégration du « droit du désarmement » au droit de la sécurité internationale
On sait que les conceptions de la sécurité sont très variées. Elles sont au moins aussi nombreuses que les Etats. Chacun d’eux, disposant d’un droit à la sécurité et du droit de l’assurer par ses propres moyens dans le respect de ses obligations internationales, a tendance à construire sa conception autour de ses propres intérêts. Mais les conceptions de la sécurité internationale – supposant une approche plus large, et à la limite universelle – sont plus restreintes. – Différentes conceptions de la sécurité internationale Il n’est pas question de les passer ici en revue. Trois semblent en pratique dominantes. La vieille théorie de l’équilibre international d’abord, à la fois degré zéro d’un système puisque correspondant à une pratique très empirique, et fond commun de tous les systèmes. On sait que l’équilibre est une notion très complexe, par nature instable et d’une gestion particulièrement délicate. Plus récemment apparues, et même propres au XX siècle, sont la sécurité collective et la dissuasion nucléaire. La première, volontairement organisée et institutionnalisée par la Charte des Nations Unis, est le système de référence officiel de la société internationale. Le Document final de la première session extraordinaire sur le Désarmement de 1978 s’en réclame abondamment et entend la réaffirmer. La seconde a été empiriquement développée sur la base des développements de l’arme nucléaire et de ses vecteurs, dont elle a suivi la rapide croissance. Bien qu’ils coexistent, ces deux systèmes s’opposent radicalement. Le premier suppose une gestion globale et collective de la sécurité inter- nationale, subordonnant et garantissant à la fois la sécurité individuelle à celle de l’ensemble des Etats. La sécurité comporte ici une dimension solidariste. Elle repose sur l’interdiction de la menace et de l’emploi de la force et sur la réaction collective à l’égard de l’agresseur. Le second à l’inverse repose sur la primauté de la sécurité individuelle des Etats participant à la stratégie nucléaire, prêts à défendre leur propre sécurité et elle seule, par des moyens extrêmes. La justification de cet égoïsme sacré est l’efficacité de la dissuasion, qui repose sur la menace et non sur l’emploi de l’arme, lequel serait non une application mais un échec du système. – Sécurité collective, dissuasion nucléaire, inégalité entre Etats et désarmement Pour opposés qu’ils soient, les deux systèmes ont cependant certains éléments communs. D’abord, l’un et l’autre système reposent sur une inégalité très forte entre Etats. Pour la sécurité collective, c’est le privilège juridiquement garanti, avec les responsabilités correspondantes, des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité. Pour la dissuasion, c’est le privilège de fait que constitue la détention de l’arme nucléaire, assorti de tentatives juridiquement organisées de verrouillage du statut nucléaire, que ses détenteurs souhaitent monopoliser. Le fait que les détenteurs officiels coïncident exactement avec les membres permanents du Conseil ne contribue pas peu à renforcer cette attitude. Ensuite, l’un et l’autre supposent une certaine forme de désarmement, et il n’est pas surprenant que l’entreprise du désarmement soit parallèle à l’éclosion et à la mise en œuvre de ces systèmes. Le désarmement tel que conçu et mis en œuvre par les Etats n’a en effet qu’une dimension éthique secondaire. Il est un instrument de leur sécurité, il y trouve son fondement et ses limites. Il est dès lors logique que l’entreprise du désarmement reproduise pour l’essentiel les données principales des systèmes de sécurité en vigueur. Là se trouve l’explication de l’inégalité qui caractérise souvent, en fait, les accords sur le désarmement. Inégalité de fait, asymétrie des obligations, absence de réciprocité, mais non inégalité de droit. L’égalité de droit est en effet assurée dès lors que les Etats ont souverainement consenti aux traités en cause, parce qu’ils y trouvent un avantage proportionné à leurs besoins. Les controverses très complexes relatives au caractère discriminatoire de certains traités, comme au privilège du bilatéralisme américano-soviétique, échappent en réalité au droit et se déploient sur le terrain politique. Un égal droit à la sécurité peut se traduire par des obligations très différenciées. Au demeurant, l’équilibre ne s’est non plus jamais confondu avec l’égalité. – Différence des systèmes de sécurité et différence des types de désarmement En revanche, les types de désarmement qu’appelle chacun des deux systèmes sont très différents. La sécurité collective requiert des traités multilatéraux généraux, et, sans aboutir au désarmement général et complet, suppose une réglementation des armements. Les Etats conservent en effet le droit de garantir leur propre sécurité et doivent pouvoir prêter leur concours au Conseil de Sécurité en tant que de besoin. Mais il est clair qu’une course aux armements, que des politiques généralisées et incontrôlées d’armement constituent une menace au système dans son ensemble. On a vu au demeurant que tel était l’esprit de la Charte, qui confiait précisément une compétence de réglementation des armements au Conseil de Sécurité (article 26). Sur un autre plan, on observera que l’entreprise de réduction des armements en Europe s’accompagne d’un effort de redéfinition d’un cadre de sécurité, qui devrait également comporter une dimension de sécurité collective paneuropéenne. Quant à la dissuasion nucléaire, elle repose par définition sur l’existence des armes nucléaires. Mais la dynamique technologique de ces armes est telle qu’elle risque fort de conduire à une autodestruction de la dissuasion, par impossibilité de fixer leurs doctrines d’emploi, par une généralisation qui rend leur utilisation sur un champ de bataille de plus en plus probable. Ce n’est donc pas seulement comme correctif mais comme condition de survie que la dissuasion nucléaire appelle une entreprise de maîtrise des armements (arms control), qui ne suppose pas leur disparition mais leur simple limitation ou leur réduction. L’accent est alors mis sur les armes nucléaires, mais sur leur sauvegarde comme armes de dissuasion, et non sur leur disparition. Ainsi les principaux accords conclus, soit multilatéraux soit naturellement bilatéraux, s’inscrivent-ils dans le cadre de la maîtrise des armements et non du désarmement. Et le désarmement général et complet auquel se réfèrent l’Assemblée générale et nombre de pays non alignés? Au-delà du caractère rhétorique de la formule, il souffre probablement de n’être relié à un système de sécurité clairement défini, dont il assurerait la mise en œuvre, et qui lui confèrerait un bénéfice politique. Ce système ne pourrait guère être autre chose qu’une sorte d’Etat mondial, comportant un monopole effectif du recours à la force au profit d’organes internationaux disposant de leurs propres moyens. Or, on l’a indiqué, le Document final de 1978 se réfère à la sécurité collective, laquelle n’implique pas le désarmement général et complet, et à la limite même l’exclut. La situation actuelle de l’entreprise du désarmement reflète donc ces équivoques, et les traduit sur le plan juridique. Elle relève pour une part de l’arms control et de la dissuasion nucléaire, et pour une autre part de la réduction de armements et de la sécurité collective. Le désarmement chimique se trouve quant à lui à la confluence de ces deux logiques. Il repose sur le refus de l’idée – répandue quoique inexacte – d’arme chimique « arme nucléaire du pauvre », et exclut les armes chimiques de la théorie de la dissuasion. Il tend à prévenir une prolifération génératrice ou aggravatoire de conflits locaux, qui constituent autant de défis à la sécurité collective. – La contribution de l’entreprise du désarmement au droit international général Deux contributions possibles ont déjà été relevées. -*Il s’agit d’abord de la recherche d’une classification des violations des engagements internationaux et des réactions corrélatives qu’elles appellent. Sans doute une telle classification ne pourrait pas être transposée telle quelle à l’ensemble des obligations internationales, ni même des traités. Mais elle comporterait probablement des enseignements utiles pour la mise au point de classifications plus compréhensives. -*Il s’agit ensuite des principes de la vérification. On l’a dit, elle peut s’étendre à d’autres types d’accords ou d’engagements. Sur ce point, l’avance méthodologique prise par les accords relatifs au désarmement peut être utile pour dégager des règles générales – ainsi des modèles de procédures d’enquête, les règles relatives au statut des inspecteurs, les modalités de la coopération avec des organisations internationales … -*On peut ajouter à cet exemple la recherche d’une classification des obligations. Celles qui sont contenues dans les différents accords obligations de faire, de détruire, de coopérer, de se soumettre à certains centrales, etc …, obligations de ne pas faire, de ne pas fabriquer, de ne pas essayer, de ne pas déployer, de ne pas transférer, etc …, obligations primaires, obligations secondaires (vérification) – sont suffisamment diversifiées pour nourrir et enrichir les analyses classiques.
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Si l’on reprend les quatre fonctions générales du droit international dégagées au début de cette étude – orientation, prévisibilité, évaluation et réactions en cas de violation -, il apparaît qu’elles s’appliquent parfaitement au domaine du désarmement, quelle que soit la conception que l’on en retient. Il apparaît également que le bilan des instruments en vigueur est à cet égard plutôt satisfaisant, puisque aucun retrait n’est intervenu, et que les techniques juridiques du désarmement connaissent ou sont en passe de connaître de notables développements. La contribution de l’analyse juridique à l’entreprise du désarmement est donc multiforme. Dans les différents chantiers qu’ouvrent les négociations, comme dans la réflexion générale qu’appellent tant le bilan que les perspectives ouvertes, les considérations et les préoccupations juridiques ont à jouer un rôle éminent et en tout cas indispensable.