L’influence du pétrole sur l’opinion publique et la scène politique iraniennes, de Mossadegh au Mouvement vert

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On reproche souvent au pétrole, généralement à tort, d’être à l’origine des maux affectant les pays en développement qui en exportent : guerre, instabilité, corruption, sous-développement… Certains auteurs parlent ainsi d’une « malédiction pétrolière ». Mais si l’or noir est un bouc-émissaire facile, les relations qui le lient à la politique sont complexes, souvent insaisissables. De manière simplifiée, il amplifie fortement des problèmes qui naissent d’une mauvaise gouvernance.

Des perceptions populaires communes aux pays exportateurs de pétrole

Une approche originale de cette problématique consiste à étudier l’influence du pétrole sur l’opinion publique d’un pays en développement exportateur et d’observer comment celle-ci agit ensuite sur la scène politique nationale. Or, la plupart de ces pays sont des Etats rentiers, tirant l’essentiel de leurs ressources budgétaires de l’exportation des hydrocarbures. Ce qualificatif englobe un ensemble disparate d’Etats, tels que l’Arabie Saoudite, le Gabon, l’Iran, la Libye, le Nigéria ou encore le Venezuela, et bien d’autres… Aussi différents que soient ces pays, l’existence d’une rente pétrolière engendre dans l’opinion publique de chacun d’entre eux un ensemble de perceptions communes, qui reposent sur l’idée d’une spoliation des richesses collectives par le pouvoir ou les étrangers.

Il en résulte trois convictions populaires, profondément ancrées dans les esprits et qui sont les suivantes : 1°) « Nous ne devons pas payer pour la consommation d’un pétrole qui nous appartient » ; 2°) « Les puissances étrangères, notamment occidentales, veulent nous dépouiller de notre pétrole » ; 3°) « Nos élites politiques sont corrompues ». Ces trois convictions s’expriment avec plus ou moins de force dans les différents Etats rentiers, selon l’importance des revenus pétroliers, les inégalités dans le partage de ceux-ci, l’ancienneté de l’exploitation pétrolière, les frustrations historiques, la nature du régime politique et le niveau de développement économique.

Qu’elles soient fondées ou non, elles ont des implications directes sur la scène politique des Etats rentiers. En partant de ce raisonnement, nous pouvons lier des évènements a priori totalement étrangers les uns aux autres comme les tensions internes nigérianes, le terrorisme djihadiste saoudien ou l’élection du président populiste vénézuélien Chavez. Mais il convient d’être prudent : le pétrole n’est pas la cause, il n’est qu’un élément catalyseur alors que les gouvernements ont été incapables de favoriser un développement équitable et harmonieux de leurs pays.

Le pétrole au cœur des revendications populaires iraniennes

Le cas de l’Iran est symptomatique : les trois convictions précédemment énoncées s’y expriment avec force, influençant la situation politique ou économique du pays. Le soutien populaire à l’action du premier ministre Mossadegh permit à celui-ci de nationaliser en 1951 l’industrie pétrolière iranienne qui était alors contrôlée par les britanniques. Fort de sa popularité, il refusa sa révocation par le Shah d’Iran, voulue par les occidentaux. Il fut renversé en 1953 par un coup d’Etat orchestré par la CIA, rétablissant ainsi l’autorité d’un Shah qui fut perçu comme une marionnette faible et corrompue à la solde des occidentaux.

Le Shah souffrit de cette image jusqu’à la révolution islamique de 1979 qui dégrada significativement les relations du pays avec l’Occident. La population retenait son train de vie dispendieux plutôt que ses efforts pour la réappropriation et la valorisation par l’Iran de ses richesses pétrolières, puisqu’il fut un des fondateurs de l’OPEP en 1960 et obtient de Nixon en 1973 que l’ensemble des opérations pétrolières du pays soit contrôlé par la NIOC, la compagnie nationale.

Aujourd’hui encore, les dirigeants iraniens sont considérés par la population comme étant corrompus. Les iraniens n’ont de cesse d’évoquer les fortunes personnelles de certains hommes politiques, tel que Rafsandjani, bâties sur l’argent du pétrole, alors que le partage équitable de la rente pétrolière est devenu un thème de campagne politique majeur. Ainsi, pour sa première victoire aux élections présidentielles (2005), Ahmadinejad avait mené une campagne populiste axée sur la mise en place de programmes sociaux généreux et avait largement communiqué sur son train de vie modeste, à la différence d’autres dignitaires du régime iranien.

Durant son premier mandat, il mit en place un rationnement sur l’essence qui fut très critiqué par la population, déclenchant des émeutes durant lesquelles des stations services furent brulées. Ce rationnement répondait à une nécessité budgétaire. Les iraniens refusant de payer cher leurs carburants, l’essence est vendue à un prix subventionné équivalent à une dizaine de centimes d’euro le litre. Mais si l’Iran est un exportateur majeur de pétrole brut, le pays ne dispose pas de capacités de raffinage suffisantes et doit importer des quantités importantes d’essence afin de satisfaire sa demande intérieure en forte croissance, favorisée par la faiblesse des prix. Or, cette essence importée est achetée par l’Etat à un prix nettement supérieur au prix de vente subventionné. Ceci expose le pays à d’éventuelles sanctions internationales visant ses importations d’essence afin de le contraindre à arrêter l’enrichissement d’uranium dans le cadre de son programme nucléaire contesté.

Certes, Ahmadinejad revalorisa les retraites et mit en place des programmes sociaux mais le pouvoir iranien est toujours aussi corrompu aux yeux de la population. Suite à sa deuxième victoire contestée aux élections présidentielles (2009), les manifestants de l’opposition dite du Mouvement vert, dont les revendications principales concernent avant tout les libertés individuelles, scandent toutefois des slogans dénonçant le détournement de la manne pétrolière au profit des dignitaires du régime, des pasdarans et de la milice bassidji.