Sommet Afrique-France 2010 : la fin d’une France africaine ?

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« La rupture », « la normalisation », « la fin de la Francafrique » sont en passe de devenir les paradigmes des rencontres franco-africaines. Comme l’observait le journal La Croix du 31 mai dernier : il y a rarement eu un sommet « qui ne soit placé sous le signe du renouvellement, voire de la rupture avec les pratiques condamnables du passé ». Le Sommet Franco-Africain de Nice du 31 mai au 1er juin 2010 était censée symboliser la rupture opérée par Nicolas Sarkozy depuis son accession à la Présidence de la République en 2007. Après avoir été menacé de disparition, ce rendez-vous bisannuel s’est finalement tenu sous la double affirmation de la spécificité de la relation franco-africaine et de sa « rénovation ». Surtout, ce sommet intervient alors que la politique africaine de la France continue d’être animé par des tendances contradictoires : entre soutien aux alliés traditionnels et rupture (réaménagement du dispositif militaire en Afrique). Le 25e sommet Afrique-France pose de savoir si au delà de l’éternel débat entre rupture et continuité, Paris a encore une stratégie en Afrique.

I- Le changement dans la continuité

Des nouvelles personnalités

Le renouvellement des personnes au niveau des participants a constitué le seul changement tangible, notamment parmi ceux que l’on peut considérer comme les acteurs clés. Du côté français, c’est le Président Nicolas Sarkozy dont c’était le premier sommet franco-africain depuis son élection. Côté africain, ce furent le Présidents Jacob Zuma (Afrique du Sud), Jonathan Goodluck (Nigeria), le Président de la Commission de l’Union Africaine : Jean Ping, la première participation du Rwandais Paul Kagamé. Il faut aussi noter la présence du nouveau Commissaire Européen au Développement, le Letton Andréas Piebalgs.

On peut distinguer deux tendances concernant les principales absences.

– Il y a les Présidents africains en délicatesse avec la Communauté internationale mais paradoxalement soutenus par leurs homologues africains : le Soudanais Omar El Béchir sous la coup d’un mandat d’arrête de la Cour Pénale Internationale et le Zimbabwéen Robert Mugabe toujours interdit de séjour sur le sol européen.

– De l’autre côté, on constate l’absence des Présidents des deux pays francophones les plus peuplés et potentiellement les plus riches en terme de ressources naturelles : la Côte d’Ivoire et la République Démocratique du Congo. A noter aussi l’absence de Mohammed VI du Maroc et du Colonel Kadhafi de la Libye.

La grande nouveauté de ce sommet est censée avoir été la participation de la société civile franco-africaine (chefs d’entreprises et syndicalistes) à ce sommet. Dans cette même optique, le sommet a été aussi ouvert aux représentants d’organisations multilatérales et internationales (ONU, Banque Mondiale, FAO, UE, BAD). Multilatéralisation du Sommet France-Afrique ne constitue pas vraiment une nouveauté. Elle a été amorcée par Jacques Chirac lors du Sommet de Cannes en février 2007. Angela Merkel, alors Présidente en exercice de l’Union Européenne, l’ancien Premier Ministre Japonais Yoshira Mori, le Commissaire européen au Développement Louis Michel et le Commissaire de l’UA chargé de la paix et de la sécurité avaient alors pris part au débat. Ce sommet devait marquer une nouvelle relation franco-africaine sous le signe de l’européanisation et de la coopération avec les nouveaux acteurs asiatiques.

Le déclin de l’Afrique française

La proximité du Président français avec ses pairs de l’Afrique non francophone a été l’une des constantes du 25e sommet franco-africain. Ainsi la conférence de presse finale rassemblait Nicolas Sarkozy et quatre de ses homologues (Ethiopie, Malawi et Afrique du Sud) dont un seul était francophone : Paul Biya du Cameroun dont le pays, bilingue, est accessoirement membre du Commonwealth. La suppression du traditionnel dîner entre chefs d’Etat francophones (« il m’a semblé que cette distinction entre les amis et les autres n’avait guère des sens » a expliqué le Président Français dans son discours de clôture) allait dans cette logique. Le sommet de Nice a été sur cette question celui de la normalisation, si ce n’est de l’effacement de la primauté accordée à la Communauté des Etats africains de langue française. Le Président français a paru éviter une certaine proximité avec ses homologues francophones afin d’éviter l’accusation désormais répandue de « Francafrique ». Parallèlement, les dirigeants des géants putatifs (et anglophones) du Continent (Afrique du Sud et Nigeria) ont eu la faveur d’un entretien bilatéral avec leur hôte. Cette pratique ressemble à la politique dite « des États Pivots » menée par les Etats-Unis en Afrique depuis l’administration Clinton à la fin des années 90. Elle consistait en une politique de cooptation d’un certain nombre d’Etats (Afrique du Sud, Ethiopie, Sénégal, Nigeria…) qui seraient chargés d’assurer la stabilité dans leur sous-région. Cette politique n’a pas eu le succès escompté du fait d’une surestimation des capacités des pays en question. En dépit de son poids symbolique et économique, la diplomatie sud-africaine n’a pas connu de réels succès dans le règlement des crises congolaise, zimbabwéenne et ivoirienne. En Afrique de l’Ouest, le leadership d’Abuja est battu en brève par les bonnes performances des pays comme le Ghana ou le Bénin en matière de bonne gouvernance et de stabilité.

II- Un sommet sans avenir ?

Une stratégie franco-africaine floue

Le choix des thèmes abordés au cours de ce 25e sommet témoigne de l’absence de questions spécifiquement franco-africaines pour plusieurs raisons. La première est qu’à l’inverse de l’Afrique du Nord, la France n’a pas de stratégie de coopération arrêtée sur l’Afrique subsaharienne comme elle a pu en définir en donnant l’impulsion pour l’Union pour la Méditerranée. On peut aller plus loin en disant que l’absence de convergence à court ou à long terme entre l’Accord de Cotonou et le Partenariat Euro-méditerranéen constitue une sérieuse limite à l’établissement d’un réel dialogue intercontinental. Une telle absence mène à ressasser des thèmes comme la paix et la sécurité, le lien climat/développement qui font déjà l’objet de partenariats entre l’UE et l’Afrique dans le cadre plus large du partenariat stratégique signé à Lisbonne en 2007.

Deuxièmement le choix de mettre au cœur du sommet l’économie et de faire allusion au fameux slogan américain « Trade, not Aid » peut apparaître spécieux Ce thème a permis de passer sous silence la question cruciale de l’aide française au développement qui stagne à 0,46% du PIB (où l’objectif fixé au Sommet de Monterrey est de 0,7%) mais aussi de l’improbable réalisation d’ici 2015 des objectifs du millénaire pour le développement par les pays africains. En outre, on peut se demander si un sommet Afrique-France est le forum indiqué pour traiter des échanges franco-africains. Cette question relève des compétences de la Commission européenne en particulier dans le cadre de la négociation (houleuse) des accords de partenariats économiques. Sujet à propos duquel les pays africains ont vainement attendu que la France lorsqu’elle a assuré la Présidence française de l’UE en 2007 incite la commission à davantage de flexibilité. La France dont l’immigration était une des priorités de sa présidence européenne avait fait plutôt fait passer sous silence le rapport pourtant commandé à la député Christine Taubira. Cette dernière y critiquait l’approche européenne des négociations et recommandait une redéfinition de la politique commune commerciale envers les pays en développement.

Troisièmement, la question d’une représentation accrue de l’Afrique au sein des organisations internationales et particulièrement au Conseil de Sécurité a fait l’objet de désaccord franc. Elle témoignage de l’ambigüité de la « rupture » française entre paternalisme à l’ancienne et dialogue avec les gouvernements africains. La proposition de Nicolas Sarkozy qu’un siège de membre permanent au sein du Conseil soit réservé à l’Afrique a été accueillie avec suspicion de même que la création d’un statut intermédiaire entre permanents et non permanents. Cette suspicion s’explique par le fait qu’elle ne tienne pas compte de la position arrêtée par les Africains sur la réforme des Nations Unies. Le consensus dit d’Ezulwini revendique pour l’Afrique deux sièges de membres permanents et cinq non permanents au sein du Conseil de sécurité. Dans cette optique, la proposition française a davantage été perçue comme une tentative des puissances européennes de sauvegarder leurs actuels privilèges plutôt que de garantir une réelle représentativité au sein de la principale instance de décision des Nations Unies. Le gouvernement sud-africain d’ailleurs fait part de son opposition au plan français. On peut estimer que la proposition française était condamnée à ne pas recueillir l’aval des gouvernements africains, faute de réel consensus entre ces derniers sur l’identité des éventuels membres du conseil de sécurité.

De la « Francafrique » à l’ « Eurafrique »

La pertinence d’un sommet entre un continent d’1 milliard d’habitants qui compte 57 pays et un pays qui en compte 60 millions ne va pas de soi. On peut s’interroger sur la volonté et les moyens de la France d’assumer une réelle politique à l’échelle continentale en Afrique. Si la volonté d’approfondir ses relations au delà de l’ancien pré carré colonial est affirmée, le flou demeure quand aux nouvelles priorités de Paris et les critère de leur définition. Quelle Afrique, la France entend-elle privilégier ? Les Pays en voie de développement ? Les Pays les moins avancés ? L’Afrique du Nord dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée ? L’Afrique du Golfe de Guinée, productrice d’hydrocarbures ? L’Afrique australe industrialisée dont les produits manufacturés peuvent constituer une source de concurrence pour les produits français ? L’Afrique occidentale agricole qui s’estime victime de la concurrence déloyale des subventions européennes de la Politique agricole commune ? Ces éléments mènent à s’interroger sur l’avenir des Sommets France Afrique. En effet, leur ouverture d’abord aux pays non francophones et désormais aux organisations internationales et multilatérales montre la volonté de Paris d’éviter le face à face avec ses anciennes colonies et territoires sous tutelle. La priorité est de moins donnée en la célébration de la communauté de destin de langue francophone au profit d’une approche plus continentale qui sied davantage à un sommet UE-Afrique. En l’absence de cette dimension francophone, le Sommet de Nice a paru assez artificiel à l’image de débats généralistes et d’hypothétiques couples franco-sud-africain ou franco-nigérian, qui ne témoignent guère de la spécificité de la relation franco-africaine. La suite logique serait donc de favoriser le dialogue intercontinental déjà amorcé dans le cadre du Partenariat stratégique UE-UA. Les compétences accrues de l’Union Européenne politique étrangère en font un forum plus porteur de réelles stratégies d’action plutôt que de déclarations sans lendemain.

Conclusion

La persistance du débat sur le ni ni (« Ni ingérence, ni indifférence »), le caractère général des questions de la déclaration finale du Sommet de Nice illustre l’absence de perspectives nouvelles dans la relation entre Paris et le continent noir. Des deux côtés de la Méditerranée, il est de plus en plus difficile de donner corps aux déclarations sur une éventuelle communauté de destin. En dépit des déclarations sur le dialogue franc entre partenaires, le silence demeure sur des questions aussi essentielles que le cycle de Doha, les questions monétaires, la perception de l’immigration entre autres. Le cadre bilatéral s’avère trop restreint pour identifier et traiter des défis communs à la France et à l’ensemble des pays africains. A cet égard, l’édification progressive d’un dialogue intercontinental via Partenariat stratégique UE-Afrique constitue une opportunité pour la France et les Afriques de sortir du débat postcolonial et de construire une vraie relation entre égaux.