Alors que la presse internationale, principalement celle anglo-saxonne, se fait l’écho aussi bien des conséquences du mouvement des Gilets jaunes[i] que des soubresauts permanents de l’affaire Benalla[ii], en passant par la mise-en-avant des récentes tensions avec l’Italie[iii], la France d’Emmanuel Macron se retrouve prise à son propre piège : si le choix d’établir le socle de son influence extérieure sur la communication politique totale et immédiate peut aisément se comprendre, il lui manque cruellement son corollaire essentiel, à savoir une stratégie culturelle durable. Or, certains médias étrangers qui lui ont conféré une envergure internationale fulgurante lui retirent, article après article, un leadership et une position de médiateur devenus tigres de papier ; des démarches diplomatiques que l’on peut nommer «reaching out» et «standing out»selon une étude[iv] du King’s College et de l’UNOG. La situation actuelle découle autant d’un manque de renouvellement effectif de la stratégie culturelle française que de la non diversification des vecteurs contemporains de la puissance.
Les atermoiements de la communication politique internationale
Affirmons-le d’emblée, cette tendance n’est pas propre à la France d’aujourd’hui, l’Amérique de Donald Trump en est aussi l’un des avatars les plus marquants avec une place donnée aux réseaux sociaux – surtout Twitter – encore rarement vue. Pour autant, l’hexagone l’incarne d’une manière assez saisissante. La une, bien qu’ambiguë, du prestigieux Time sur Emmanuel Macron en novembre 2017, quelques mois après son élection à la Présidence de la République, atteste de la réussite partielle de ce processus, surtout à une époque où la starification des individus est aussi dominante. Encore récemment, les médias français[v] et certains responsables politiques locaux se félicitaient de la première place[vi] française dans le classement TheSoftPower30 de 2017 et de sa seconde[vii] dans celui de 2018, oubliant par la même occasion une donnée fondamentale : ladite étude est co-réalisée par Portland Communications, un cabinet privée de communication politique sis à Londres, et vise principalement à faire ressortir les tendances à court-terme de l’influence politique internationale plutôt que celles culturelles qui se déploient sur un continuum plus long. Autrement dit, le rapport juge une présence médiatique et numérique davantage que la lente construction des perceptions étrangères au travers de l’installation d’un environnement positif pour le pays diffuseur.
Ce prisme de réflexion se comprend par la consolidation des sphères numériques, vecteurs de pouvoir de premier plan participant d’un cyber-power[viii] (Nye, 2011), qu’elles soient constituées par les médias, les journalistes, les influenceurs ou encore les internautes sur les plateformes participatives et forums. Comptabiliser le nombre d’articles publiés, les commentaires positifs ou encore le flux de passage engendré s’avère plus simple qu’évaluer l’action d’une influence culturelle nécessairement diffuse et dont les effets ne seront perceptibles qu’après un certain laps de temps. Ainsi, le résultat immédiat passe avant l’adaptation puis la consolidation du récit culturel[ix] (Martigny, 2016) permettant le partage des valeurs et des cultures sur la scène internationale. Par ailleurs, une passion pour les classements s’oppose par essence à la conception d’une stratégie ambitieuse. Faire de la communication politique internationale un pilier de son influence s’avère par conséquent une prise de risque, voire une faiblesse structurelle, qui rend instable le rayonnement. Au risque d’entraîner, à moyen terme, une perte de légitimité durable. Action culturelle extérieure et communication politique doivent trouver un équilibre pour permettre la permanence de l’influence au XXIesiècle, sans la calquer totalement sur l’évolution de l’agenda politique.
Les certitudes de la stratégie culturelle
La stratégie culturelle d’un Etat est la conduite de l’action culturelle extérieure à des fins de puissance politique, économique ou symbolique par des moyens publics ou privés et en maximisant l’efficacité de la démarche par une gestion habile des ressources internes. La France bénéficie toujours d’un réseau culturel à l’international très dense, composé de nombreux acteurs allant des alliances françaises aux établissements d’enseignement français à l’étranger en passant par la francophonie. La mise en place d’un opérateur central et pivot, l’Institut français, complète le dispositif actuel de la diplomatie culturelle. De fait, la diplomatie culturelle de l’hexagone demeure l’une des plus solides dans le monde. Cependant, elle se heurte à deux contraintes : d’une part, les institutions n’ont pas le budget de leurs ambitions, d’autre part, la structure d’ensemble n’a subi qu’un renouvellement de façade.
La nomination de Laurent Fabius comme Ministre des Affaires étrangères de la France en 2012 fut l’occasion de promouvoir une diplomatie d’influence nouvelle où la culture occuperait une place particulièrement importante aux côtés de l’économie et du politique. Ce concept s’est illustré par la création d’événements uniques, par exemple dans le cadre de la gastrono-diplomatie et de Good France / Goût de France où l’on vante la cuisine française dans le monde. Rappelons à ce titre que le repas gastronomique à la française est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO depuis le 16 novembre 2010 et que la us et coutumes de la cuisine hexagonale ont maintes fois soutenu les négociations diplomatiques, comme lors du Congrès de Vienne en 1814. Ainsi, plus qu’une révolution, le développement de cette diplomatie fut davantage un retour aux sources de l’influence française qu’une démarche plus inclusive permettant aux acteurs non étatiques de participer à hauteur de leurs capacités à l’action culturelle extérieure de la France. Les initiatives étatiques ont plus mis en avant les plats français que les chefs, alors que l’époque actuelle est propice à la construction de la séduction par l’individu plutôt que par le produit travaillé ou non. À ce titre, un manga – une bande dessinée japonaise – comme Les Gouttes de Dieu (神の雫) de Tadashi Agi et Shū Okimoto, sorti en 2004, a davantage été un outil d’influence en faveur de la production viticole française que bon nombre de politiques mises en œuvre.
En effet, l’influence au XXIe siècle passe désormais par une coopération accrue entre les secteurs public et privé au travers d’actions communes ou bien en soutenant les industries créatives et les artistes indépendants. Toutefois, cette aide à la création ne concerne pas uniquement les Français mais aussi les étrangers. Tout soft power[x] (Nye, 1990) est d’autant plus efficace qu’il est oblique et passe par l’autre plutôt que par une initiative directe du pays. En ça, il importe de favoriser l’émergence de sphères d’influence où les industries créatives et culturelles étrangères s’inspirent des productions françaises pour leur donner une nouvelle légitimité et un regain d’intérêt ; pensons aux productions du studio Ghibli d’Hayao Miyazaki et Isao Takahata ouvertement inspirées par Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault et Jacques Prévert. Cette affection créative pour la France se prolonge jusqu’au dernier long métrage de Hayao Miyazaki, Le vent se lève (風立ちぬ) en 2013, qui prend pour titre un vers célèbre du poème Le Cimetière marin de Paul Valery en 1920 : « Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !. / L’air immense ouvre et referme mon livre, / La vague en poudre ose jaillir des rocs ! »
Le rôle de l’Etat se trouve ainsi renouvelé, il devient un garant des projets et apporte son soutien aux inspirations et actions françaises et étrangères. Ainsi, élaborer une stratégie culturelle multimodale et évaluant toutes les ressources disponibles permet d’obtenir une stabilité de la puissance d’influence que la communication politique instantanée n’offre pas. Par d’autres aspects, l’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron démontre sa capacité à rechercher tout à la fois des résultats immédiats probants et une vision stratégique de plus long terme. Pour ce qui concerne l’influence de la France, il semble désormais opportun de faire pencher la balance du côté de la durabilité de l’action politique culturelle extérieure.
Pierre-William FREGONESE
27 février 2019
[i] NOSSITER Adam, Violent ‘Yellow Vest’ Protests in Week 13, nytimes.com, 10/02/2019.
[ii] CHRISAFIS Angélique, Key Macron aide quits Elysée as Benalla scandal deepens, theguardian.com, 12/02/2019.
[iii] HARLAN Chico, McAULEY James, France recalls ambassador to Italy, an unusual rift among European allies, washingtonpost.com, 07/02/2019.
[iv] DOESER James, NISBETT Melissa, The art of soft power: a study of cultural diplomacy at the UN Office in Geneva, Londres, King’s College, 2017, pp. 1-40.
[v] DESCOURS Guillaume, Soft Power : la France devient la nation la plus influente du monde, lefigaro.fr, 19/07/2017.
[vi] Portland & USC Center on Public Diplomacy, The Soft Power 30, a Global Ranking of Soft Power, 2017.
[vii] Portland & USC Center on Public Diplomacy, The Soft Power 30, a Global Ranking of Soft Power,2018.
[viii] NYE Joseph, The Future of Power, New York, Public Affairs, 2011.
[ix] MARTIGNY Vincent,Dire la France. Culture(s) and national identities in France, Paris, Presses de Sciences Po, 2016.
[x] NYE Joseph, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990