Deux ans après la signature de l’Accord pour la Paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger (ci-après « l’Accord ») en 2015[i], le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté le 5 septembre 2017 la résolution 2374 établissant un comité indépendant (ci-après « le Comité ») chargé d’identifier et sanctionner les individus ou entités qui entravent la mise en œuvre de l’Accord. L’Accord vise à mettre un terme au conflit opposant l’Etat malienaux rebelles Touaregs indépendantistes. Peu de temps après le déclenchement de leur combat pour l’indépendance du Nord-Mali en 2012 par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), les rebelles s’étaient alliés de façon circonstanciée à certains groupes djihadistes opérant dans la bande sahélienne avant que ces derniers ne finissent par prendre le contrôle du territoire. Lors de la signature de l’Accord, tous les groupes armés Touaregs n’étaient pas conviés à la table des négociations, les Nations unies imposant une frontière bien artificielle entre Groupes armés terroristes et Groupes armés signataires, peu en phase avec la lecture tribale qui prévaut parmi les communautés Touaregs.
Un outil de pression politique
Lors de sa signature, l’Accord prévoyait une période de deux ans pour mettre en œuvre des mesures intérimaires[ii] et planifier les réformes structurelles[iii] inhérentes à l’autonomisation des régions du Nord. Néanmoins, les difficultés auxquelles le processus de paix avait fait face au lendemain de l’attentat du Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC)[iv] de Gao le 18 janvier 2017 et les retards accumulés à la date du 20 juin 2017, fin de la période intérimaire[v], ont pu laisser croire que l’accord risquait d’être caduc[vi]. C’est dans ce contexte de dangereuse latence qu’en septembre 2017 le Conseil de sécurité vota à l’unanimité l’instauration d’un comité des sanctions pour le Mali. Un comité d’experts fut nommé et leurs travaux commencèrent en février 2018. Dès le mois de mars de la même année, suite à la conjonction favorable d’un ensemble d’événements – engagement du nouveau Premier ministre Souleymane Boubeye Maïga, début des travaux du comité des sanctions, mise en place de l’Observateur indépendant[vii] – les parties maliennes adoptèrent une nouvelle feuille de route lors de la 23èmesession du Comité de Suivi de l’Accord[viii] le 22 mars 2018. Cette feuille de route redonnait un souffle aux négociations, et offrait à la communauté internationale, très investie au Mali, des gages de bonne foi de la part des parties signataires.
Cependant, si le Comité constitue un indéniable outil de pression pour accélérer la mise en œuvre de l’Accord, sa marge de manœuvre demeure limitée. En effet, pour atteindre ses objectifs, les sanctions du Comité doivent instiller une pression politique suffisante sans ôter la volonté des parties d’adhérer à l’Accord. L’instauration de sanctions – gel des avoirs et interdiction de voyager – à l’encontre des acteurs clés du processus de paix doit résulter d’une méthodologie scrupuleuse, alliant prévention, équilibre et fermeté.
En matière de prévention, le premier rapport rendu le 8 août 2018 établissait un état des lieux alarmant de la mise en œuvre de l’Accord, mais aucune sanction ne fut annoncée. Plus de cinq ans après l’installation de la Mission des Nations unies au Mali (MINUSMA), c’est à travers le comité des sanctions que la communauté internationale a exprimé sa détermination à faire respecter l’Accord aux parties.
Des possibles conséquences sur l’Accord
La sensibilité des attributions du Comité s’est finalement exprimée au grand jour le 21 décembre 2018, lorsque furent annoncées les premières sanctions. En matière d’équilibre, le Comité a équitablement sanctionné trois individus issus de groupes armés intégrés aux trois grandes coalitions : la CMA, la Plateforme, et plus récemment, la CME[ix]. De ce travail d’équilibriste est ressorti trois noms[x], peu connus, qui laissent entendre que le Comité n’a pas souhaité sanctionner de personnalités publiques influentes issues des groupes visés. De telles sanctions prises prématurément auraient pu donner prétexte aux groupes à remettre en question l’Accord dans sa globalité, et finalement nuire gravement à ses propres objectifs. En sanctionnant des personnalités peu exposées, le Comité a exercé une pression sur les hauts responsables publics des parties signataires. Autant les chefs rebelles de la CMA que les leaders des groupes d’autodéfense de la Plateforme où de la CME et les membres du gouvernement ne souhaitent être sous le coup d’un régime de sanctions qui les isolerait et aurait un impact significatif sur leur mode de vie actuel. Pour cela, il est fort à penser que la pression du Comité joue un rôle favorable dans la mobilisation des responsables à débloquer l’application de certaines mesures de l’Accord. A titre d’exemple, début novembre 2018, en pleine élaboration de la liste des individus sanctionnables, les parties signataires s’accordaient sur la mise en œuvre de la première étape du programme de Désarmement, Démobilisation, Réintégration (DDR). Avec deux ans de retard, le programme renommé « DDR-accéléré » permettait lui-même aux Nations unies de se prévaloir d’une avancée notable[xxi].
En décembre 2018, bien que les observateurs s’accordent sur le fait que l’inertie de Bamako est autant responsable des retards dans la mise en œuvre de l’Accord que les autres parties signataires[xxii], aucun membre du gouvernement n’a été inquiété par la première série de sanctions. Il était à mettre au crédit du gouvernement la bonne tenue des élections présidentielles de juillet 2018 et la signature du « Pacte pour la Paix »[xxiii] en octobre 2018. Désormais, les retards éprouvés dans les réformes administratives et l’absence de services étatiques dans les régions du Nord-Mali, font potentiellement du gouvernement de Bamako une prochaine cible du Comité. De plus, le Comité dispose de critères de sanction englobant les liens entre trafics et terrorisme. Or aucun de ces domaines n’est exclusif et un rapport récent indique que ceux qui en bénéficient sont présents autant dans les zones rebelles qu’au cœur de Bamako[xiv]. Enfin, les exactions régulières attribuées aux Forces armées maliennes ou à leurs alliés dans le centre du Mali, sur fond de lutte intercommunautaire, renforcent l’hypothèse d’une sanction du gouvernement par le Comité. Mais ce dernier prendra-t-il l’initiative de sanctionner un représentant de l’Etat hôte de la MINUSMA alors même que le consentement de l’Etat est une des conditions du déploiement d’une mission de maintien de la paix ? Là encore, le Comité devra faire preuve de tact pour équilibrer le principe d’impartialité vis-à-vis des parties tout en s’assurant de la bonne coopération de l’Etat hôte de la mission des Nations unies.
Bertrand OLLIVIER
6 mars 2019
[i] Le gouvernement du Mali, la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et la coordination de la Plateforme ont signé l’Accord pour la Paix en deux temps : le gouvernement et la Plateforme le 15 mai 2015 et la CMA le 20 juin 2015.
[ii] Installation des nouvelles autorités intérimaires ; déploiement des Mécanismes Opérationnels de Coordination (MOC) ; recensement préalable des combattants au programme de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR).
[iii] Réformes administratives et révision constitutionnelle, établissement et redéploiement d’une armée reconstituée.
[iv] La mise en place des MOC de Gao, Tombouctou et Kidal fait partie intégrante des mesures intérimaires. Les MOC sont des unités de patrouilles mixtes composées à parts égales de combattants des trois parties signataires. Ils constituaient initialement une des mesures provisoires préalable à la sécurisation des camps du programme de DDR et des nouvelles autorités intérimaires. Ils ont vocation à être intégré à l’armée reconstituée. A la date du 27 février 2019, seul le MOC de Gao est opérationnel.
[v] Arthur BOUTELLIS et Marie-Joëlle ZAHAR, « Un processus en quête de paix : Les enseignements tirés de l’accord intermalien », International Peace Institute, New York, janvier 2018, p. 24
[vi] « L’accord de paix en péril », RFI, 25 janvier 2017
[vii] La mise en place de l’Observateur indépendant est une mesure de l’Accord.
[viii] Le Comité de Suivi de l’Accord est une instance mise en place par l’Accord dont les réunions sont mensuelles.
[ix] La Coordination des Mouvements de l’Entente (CME) a vu le jour le 6 juin 2018. Elle rassemble des groupes armés non signataires de l’accord de paix et demande à intégrer les mécanismes du processus de paix.
[x] « Mali : trois individus accusés d’entraver l’accord de paix sanctionnés par l’ONU », RFI, 21 juin 2018. Il s’agit de trois personnalités de rangs intermédiaires : Mohamed Ousmane Ag Mohamedoune (Coalition du peuple pour l’Azawad), Ahmoudou Ag Asriw (Gatia) et Mahamadou Ag Rhissa (HCUA).
[xi] « DDR-accélérés, les Maliens franchissent une autre étape historique vers la Paix », MINUSMA actualité, 7 novembre 2018.
[xii] « Stabiliser le Mali, les défis de la résolution des conflits », Centre Franco-Paix, UQAM, juin 2018, p. 14.
[xiii] Le Pacte pour la Paix a été signé par le gouvernement de Bamako et les Nations unies, et paraphé par les groupes armés signataires. Il constitue un engagement renouvelé des parties à mettre en œuvre l’accord et rend les décisions de l’équipe de médiation internationale obligatoires.
[xiv] International Crisis Institut, « Narcotrafic, violence et politique au nord du Mali », décembre 2018.