Par Serge Sur, 16 janvier 2020
Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas, Président du Conseil d’orientation du Centre Thucydide, directeur de l’AFRI et rédacteur en chef de la revue « Questions internationales »
Réchauffement, dérèglement, changement, défi, urgence, ultimatum climatique : déjà le vocabulaire est imprécis, hésitant, multiple, signe de l’incertitude. La climatologie est une discipline récente, qui met en œuvre nombre de technologies et de méthodes scientifiques et s’appuie sur des données statistiques impressionnantes, mais les climatologues ne manifestent pas toujours dans leurs déclarations la réserve et la prudence que s’imposent les savants d’autres disciplines. Ceux-ci savent distinguer hypothèses, théories et données établies. Les lois qu’ils formulent sont la permanence des choses, non la dynamique de leur changement, lequel demeure toujours aléatoire, soumis à des contraintes innombrables – bref, ils savent faire la part de leur ignorance et ne pas transformer des probabilités en certitudes. Alors les climatologues ne sont peut-être pas responsables de tout ce qu’on leur fait dire, des déclarations péremptoires qui annoncent à l’envi la fin du monde, le collapsus à horizon visible, l’irrésistible et fatale montée des eaux, l’augmentation mécanique et irréversible des températures. A tout le moins le GIEC, ce collège intergouvernemental promu au rang de conseil suprême des grands prêtres du changement climatique, s’y prête-t-il avec une certaine complaisance. Les proclamations de certains d’entre eux ont le caractère d’imprécations contre les récalcitrants. Tous ceux qui n’adhèrent pas à la religion du réchauffement ont du souci à se faire, le choix entre le mépris public, la dérision des « sachants » et le pilori médiatique, pour ne retenir que les plus menus supplices à eux promis.
Religion, idéologie, mythologie
C’est que, au-delà de la dimension scientifique des analyses climatiques à laquelle on ne peut qu’adhérer – tout en notant qu’elle évoque la thèse de Thomas Samuel Kuhn sur la Structure des révolutions scientifiques (1962), lesquelles reposent davantage sur le consensus des experts que sur des démonstrations irréfutables – le changement climatique est devenu un dogme, presque une religion, au minimum une idéologie. Idéologie exigeante, intolérante, totalitaire, qui entend transformer les modes de vie, fonder le « décroissantisme », le véganisme, un malthusianisme de combat. Elle s’appuie sur un vague sentiment de culpabilité d’être qui évoque le Philippulus de l’Etoile mystérieuse. Avec la jeune Greta Thunberg, que toute une jeunesse se précipite pour entendre et aduler, elle nourrit entre autres, pour citer Nerval, « les soupirs de la sainte et les cris de la fée ». Ils organisent protestations et manifestations, et leurs incantations évoquent les danses primitives pour ou contre la pluie, le soleil. Elles évoquent aussi la Croisade des enfants qui, au Moyen Age, précipita sur les routes de la terre promise nombre de malheureux gamins. Beaucoup moururent en route, d’autres finirent esclaves ou prostituées sur les rives de la Méditerranée. Ce ne sera certes pas le sort d’une génération qui entend se distinguer de ses devancières, comme elles l’ont toutes fait au XXe siècle, qui avec le surréalisme, qui avec le fascisme, qui avec le gauchisme. Leurs révoltes stridentes et vaines les ont menés aux responsabilités bourgeoises ou aux honneurs littéraires.
Aujourd’hui, c’est donc le réchauffement qui est la mode du temps. Cette mode se fonde sur la peur et cherche à la répandre, ce qui est une manière de gouverner, par emprise sur les esprits. Voici trente ans, la mode était à l’hiver nucléaire, une guerre entre puissances nucléaires jugée inévitable devait entraîner tout autour de la terre un nuage de fumées et poussières masquant durablement le soleil et refroidissant mortellement la surface du globe. Hier, il faisait trop froid, aujourd’hui trop chaud. Un poète comme Cyrano de Bergerac en aurait tiré le combat de la Mandragore et de la Remore, les peintres flamands la lutte entre Carême et Carnaval. C’est dire tout ce que cette rhétorique comporte de mythologique. Au-delà de ces références esthétiques, un projet politique, convaincre les opinions publiques et faire ainsi pression sur les gouvernements, afin qu’ils développent des politiques adaptées, énergies renouvelables, renonciation aux énergies fossiles, arrêt des grands équipements, limitation drastique des rejets dans l’atmosphère, programmes de sauvegarde des océans… Tout ce qui est inscrit comme objectifs dans les conventions internationales dont, après diverses autres, les COP sont l’incarnation actuelle, la COP 21 ou accord de Paris sur le climat en 2015 est une étape décisive, les différentes COP à sa suite, dont celle de Madrid récemment tenue, la COP 25, en attendant la COP 26, 27, etc…
Le combat perdu de l’action internationale
Toutes ces déclarations, imprécations, propositions, promesses, prévisions ne peuvent dissimuler, et même illustrent cette donnée sans doute regrettable mais incontestable : l’effort mondial pour s’opposer au changement climatique par des mesures environnementales, économiques et politiques, sur la base d’accords internationaux et de normes à vocation universelle, a échoué. Cet échec est profond, il est durable, il est probablement irréversible. Les gouvernements rivalisent d’hypocrisie et se dérobent, les ONG ont été de fait écartées, les Verts politiques se préoccupent davantage de leurs avancées électorales que, concrètement, de l’environnement. Il est frappant d’entendre Laurent Fabius, l’un des grands négociateurs de la COP 21 qui se présente maintenant comme organisateur d’un nouveau et futur traité comportant de véritables engagements des parties, expliquer que le climat est si important que tout le monde, à tout moment, avec tous les moyens, doit faire son possible pour le protéger. Ce qui veut dire aucune priorité, aucune stratégie, aucun responsable, des bouteilles à la mer – qui monte. La mobilisation de la jeunesse, sorte de dernière cartouche, traduit bien cette agonie, qui est non seulement politique mais aussi conceptuelle puisqu’en fait on ne sait pas trop quoi faire et que l’on s’en remet aux enfants et adolescents. Pendant ce temps, la consommation mondiale de pétrole continue à s’accroître, ainsi que les rejets de CO2 dans l’atmosphère, dont la progression ralentit simplement un peu.
Alors cette entreprise, mobilisation des opinions publiques, actions médiatiques, normes déclaratoires, proclamations de bonne volonté contredites par les faits, rappelle un précédent aujourd’hui oublié : celui du droit au développement, appuyé sur un droit du développement, qui aboutit dans les années 70 à la Déclaration d’un Nouvel ordre économique international, d’une Charte des droits et devoirs économiques des Etats… On en attendait la fin du sous-développement, grâce à des réformes juridiques, à des normes qui sont restées déclaratoires. La chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS ont anéanti toute cette rhétorique et ces constructions spéculatives. Dans les deux cas, c’est en Europe, pour les pays développés, que ces thèses avaient trouvé leurs soutiens au moins déclaratoires. Elles n’ont en rien permis d’améliorer la situation des pays pauvres, elles ont été une sorte de leurre, dont on ne sait s’il relevait davantage du cynisme ou de la crédulité. Aujourd’hui, les pays en développement tendent à rejeter les contraintes que l’on voudrait leur imposer au nom du réchauffement climatique, et l’on sait que les Etats-Unis comme la Chine entendent rester seuls maîtres de leurs décisions en la matière.
Cela ne signifie pas qu’il faut demeurer passifs, mais qu’il convient de préférer des actions plus modestes, concrètes, de terrain, locales : éliminer la pollution, améliorer l’air des grandes villes, curer les fossés et le lit des rivières, ne pas construire dans les zones inondables, limiter l’artificialisation des sols, assainir les friches industrielles, débroussailler les forêts, financer la recherche sur les nouvelles énergies…. Tâches ingrates, qui s’éloignent de la sublimation normative, mais à échelle humaine, et qui protégeront mieux l’environnement que mille manifestations et déclarations.