Par Guillaume Berlat, 23 janvier 2020
« La politique et la stratégie de la guerre ne sont qu’une perpétuelle concurrence entre le bon sens et l’erreur » (général de Gaulle). Bon sens et erreur, vaste programme ! Aujourd’hui, il est de bon ton d’éviter de poser les questions qui supposent réflexion. Dans le champ des relations internationales, la problématique de la guerre et de la paix est incontournable. Comment passe-t-on de l’une à l’autre ? Comment consolider durablement la paix qui pour Platon ne serait qu’un mot ? À faire l’impasse sur cette question, l’Occident enregistre échec après échec en Afghanistan, en Irak, en Libye, dans le Sahel… Après avoir gagné la bataille de la guerre, il perd la bataille de la paix (général Pierre de Villiers). Paix, processus complexe à appréhender allant au-delà de la cessation des hostilités militaires et nécessitant un questionnement sur le concept de réconciliation.
La fin de la guerre ne signifie pas nécessairement la consolidation de la paix
Si la cessation des hostilités militaires est une condition nécessaire à l’établissement de la paix stricto sensu, elle n’en est pas pour autant suffisante pour sa consolidation sur le moyen ou le long terme. De combien d’exemples disposons-nous de paix qui tournent à la guerre larvée, voire à la reprise des hostilités ? Le remède s’avère parfois plus nocif que le mal (cf. en Libye). Les Occidentaux possèdent une science de l’échec de la paix qui mérite louange. S’ils savent mettre au point des plans de bataille, ils sont moins habiles dans la définition des paramètres de la paix, surtout dans les États fragiles. Pourtant, les concepts venus d’Outre-Atlantique ne manquent pas pour décrire cette réalité : « peacekeeping », « peacemaking » … Mais entre le mot et l’action, il y a souvent un gouffre difficile à combler. À l’ONU existe un département, le DOP (département des opérations de paix), traditionnellement dirigé par un français, aujourd’hui, Jean-Pierre Lacroix. Le seul problème tient au fait que, s’il est aisé de définir la guerre, il l’est beaucoup moins de circonscrire celui de paix tant le concept se prête peu à une approche scientifique (situation d’un pays qui n’est pas en guerre, cessation des hostilités, état de concorde, tranquillité ?). La difficulté réside à la fois dans l’espace (local, national, régional ou international) et dans le temps (court, moyen, long terme ?) de référence. De plus, on ne prépare jamais suffisamment en amont les conditions de la paix, pris par l’enivrement de la victoire. Consolidation de la paix qui passe par la construction de la confiance devant se substituer à la défiance. Et la tâche est loin d’être aisée.
La consolidation de la paix passe obligatoirement par une authentique réconciliation
Universitaire, politiste, Milena Dieckhoff étudie promesses et dilemmes des processus de pacification depuis la fin de la guerre froide. Elle met en exergue la déclaration de l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie (mars 2019) : « la route vers une nouvelle Syrie commence par des mesures de confiance et la réconciliation ». Mesures de confiance et réconciliation, les deux concepts clés que l’on trouve rarement dans la boîte à outils des faiseurs de paix. La réconciliation apparait de plus en plus comme un impératif des négociations de sortie de crise et des discussions de l’après-guerre. La difficulté tient, une fois de plus, à la définition de ses modalités de mise en œuvre. Souvent, elles passent par la mise en place de commissions dites « vérité et réconciliation » : Chili, Haïti, Afrique du sud (dont on dit qu’elle fut exemplaire pour sortir de l’apartheid), Sierra Leone, Pérou, Timor oriental, Côte d’Ivoire, Gambie. Certains prétendent qu’elles seraient impensables sans justice. « La justice est un ingrédient indispensable au processus de réconciliation nationale » déclaraient le président et le procureur général du tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie. Plaidoyer peu convaincant… S’il y a bien deux obsessions de notre élite, qui ont démontré leurs limites dans l’établissement de la confiance et l’instauration de la réconciliation, ce sont celles de l’élection remède miracle et de la réconciliation via le passage par la case juridiction pénale internationale. Sauf pour les crimes les plus graves, cette justice de la vengeance est antinomique de la reconnaissance de l’autre en vue d’un rapprochement.
L’envoyé spécial de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé souligne que « la réconciliation n’est pas un fait mais un processus »[1]. Pour parvenir un accord global de paix, il importe de retenir un processus graduel : mise en place d’un cessez-le-feu, identification des acteurs, travail de conviction des parties pour qu’ils adoptent des positions réalistes, chacun estimant avoir obtenu quelque chose d’important (« face saving »). Ceci n’est pas tout. Encore faut-il que l’accord conclu soit global, large, incluant éléments de sécurité, éléments politiques (élections, constitution), mais aussi économiques et financiers. Par ailleurs, (les experts des questions de sécurité connaissent cette problématique), restent à définir des mécanismes d’exécution de l’accord, à pouvoir en surveiller la mise en œuvre (vérification), voire à prendre des sanctions en cas de non-respect. Et, enfin, un bon accord doit comporter des garanties suffisantes, robustes d’exécution des engagements pris. Reprenons la conclusion de Ghassan Salamé :
« Nombreux sont ceux qui pensent que la guerre est une action et la paix, un état. C’est faux ! Guerre et paix sont deux actions et deux entreprises, en ce sens, qu’une paix qui n’est pas entretenue par des actions de coopération, de réconciliation, de partage, de pardon, est une paix qui restera toujours fragile ».
Ce n’est qu’à ce prix que la réconciliation est envisageable même si le résultat n’est pas toujours garanti… et que la paix est possible à un horizon raisonnable.
« Le vainqueur est celui qui le veut le plus énergiquement » (général de Gaulle). Si les militaires savent gagner la guerre, les diplomates sont parfois moins habiles à gagner la paix. Sa consolidation est un combat de longue haleine supposant modestie face à la réalité. La véritable école de la politique étrangère et de la diplomatie est la culture générale. Celle qui fait défaut aux communicants ayant remplacé penseurs et stratèges. La liste des échecs dans la bataille pour la paix est longue. Les leçons des échecs sont rarement tirées. Dans cette période de conflits plus ou moins larvés, d’affrontements violents sur les terrains militaires, commerciaux et sur la toile, un minimum de réflexion n’est pas superflu. Le passé n’a d’autre sens que celui que nous lui donnons. L’angélisme est une plaie en ces temps conflictuels. La connaissance de la trilogie paix, guerre et réconciliation est incontournable pour préparer un avenir de stabilité et de prospérité.
[1] Ghassan Salamé (propos recueillis par Gaïdz Minassian), « La réconciliation n’est pas un fait mais un processus », Le Monde, 24 août 2019, p. 20.