ThucyBlog n° 41 – Lawyers are coming! (1/2) Les limites des recours internationaux envisagés contre la Chine pour sa gestion du Covid-19

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Par Florian Couveinhes Matsumoto, le 1er juin 2020
Maître de conférences en Droit public à l’École normale supérieure (Ulm)

Selon un sociologue italien certainement inspiré par une fameuse série dont le confinement lui a peut-être permis de visionner les derniers épisodes, les juristes internationalistes cloîtrés chez eux viennent enfin de trouver le remède au sentiment d’impuissance qui est le leur face à la pandémie ! Chinese Communist Party Beware, the Lawyers are ComingCertains lawyers états-uniens et britanniques en particulier semblent effectivement avoir eu une révélation : n’est-ce pas la Chine qui est « à l’origine du virus » et n’est-il pas concevable de lui opposer des obligations internationales ? N’est-il pas également envisageable d’engager sa responsabilité internationale pour sa calamiteuse sous-estimation de l’épidémie (un virus non-transmissible entre êtres humains, une « simple grippe saisonnière »), son refus de toute enquête internationale, voire sa destruction des échantillons pertinents dans les laboratoires du Wuhan ? Invoquant tour à tour ou pêle-mêle la Cour internationale de Justice (CIJ), la Cour pénale internationale (CPI), différents instruments de protection des droits de l’homme et même le Conseil des droits de l’homme, les débuts des lawyers furent, il faut bien l’avouer, un peu désordonnés.

La recherche d’instances de condamnation de la Chine

Loin de délaisser la piste pourtant peu prometteuse de la CPI, celle-ci a par exemple été suivie avec enthousiasme : la Cour a reçu des plaintes contre des officiels chinois en provenance d’un ancien procureur états-unien devenu avocat, Larry Klayman, puis un mois plus tard de l’avocat français Frederik-Karel Canoy. Dans les deux cas, probablement pour soutenir que les comportements reprochés à la Chine constituent des crimes internationaux, ils ont dénoncé la création délibérée d’un virus « offensif » par la Chine, ce qui, sans être exclu, est loin d’être prouvé. Surtout, ces cavaliers blancs semblent avoir fait fi d’un détail d’importance, qui explique avec mille autres pourquoi le Procureur de la CPI ne demandera très probablement pas (et obtiendra encore moins) l’ouverture d’une enquête : la Chine n’a pas ratifié le Statut de Rome, ce qui exclut a priori sa compétence pour des comportements tenus par des ressortissants chinois sur le sol chinois.

Du côté des droits de l’homme, la commission internationale des Juristes (cij), une ONG basée à Londres, et l’Association du Barreau indien ont invoqué la Déclaration universelle des droits de l’homme devant le Conseil des droits de l’homme afin de mettre en cause le comportement chinois au début de l’épidémie. C’est compréhensible mais initialement, l’objet de leur demande n’était rien de moins qu’une « compensation adéquate versée [par la Chine] à la communauté internationale et à ses États-membres, en particulier l’Inde, pour avoir développé subrepticement une arme biologique de destruction massive (…) », une tâche dont on se demande bien comment le Conseil pourrait la remplir…si bien entendu il s’estimait tenu de le faire. La cij a adopté par la suite un ton plus mesuré et les international lawyers se sont heureusement tournés vers des argumentations plus solides. Certains ont remarqué que le comportement de la Chine pouvait être mis en cause au regard des obligations qui sont les siennes au titre de l’article 12 §2 du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels auquel la Chine est effectivement partie[1]. Toutefois, la Chine n’a pas accepté que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels reçoive et examine les communications des particuliers et groupes de particuliers relevant de sa juridiction.

La compétence incertaine de la Cour internationale de Justice

Restait donc la Cour internationale de Justice. Avec celle-ci en tête, beaucoup aux États-Unis et au Royaume-Uni (voir par exemple ici, ou encore ) ont contesté l’étouffement chinois des débuts de l’épidémie, la mise au pas ou la « disparition » des premiers lanceurs d’alerte, la négation de la transmission du virus entre êtres humains, la destruction de preuves issues de laboratoires et surtout la lenteur de la transmission des informations pertinentes à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), au regard des articles 6§1 et 7 du Règlement sanitaire international de 1951 (révisé en 2005). Toutefois, le même constat s’est imposé ou devra s’imposer : le Règlement sanitaire international ne peut, sans le consentement de la Chine, fonder la compétence d’un mécanisme de règlement juridictionnel des différends[2]. Tout comme les États-Unis, la Chine n’est pas liée par une déclaration facultative de juridiction obligatoire de la CIJ ou par un grand nombre de traités prévoyant la compétence de la Cour[3]. Plus encore, elle considère que le caractère autoritaire (et de plus en plus totalitaire) de son régime politique relève de ses affaires intérieures ou de ses intérêts fondamentaux, affaires ou intérêts sur lesquels elle n’accepte non seulement l’autorité d’aucune juridiction internationale, mais encore difficilement l’application même du Droit international. En conséquence, il est presque certain que la Chine n’admettra la compétence d’aucune juridiction susceptible de mettre en cause, sur la base de règles internationales, sa gestion interne de la crise sanitaire.

Une voie assez sérieuse a cependant été envisagée. En effet, la « constitution » – comprenez le « traité de base » – de l’OMS prévoit en son article 75 que « toute question ou différend concernant l’interprétation ou l’application de cette Constitution, qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou par l’Assemblée de la Santé, sera déféré [shall be deferred dans la version anglaise] par les parties à la Cour internationale de Justice conformément au Statut de ladite Cour, à moins que les parties intéressées ne conviennent d’un autre mode de règlement », et différentes obligations qu’il contient pourraient effectivement faire l’objet d’un différend.

Quoi qu’il en soit sur un plan strictement juridique, tous ces projets de recours risquent fort de ne pas être endossés par un Etat (ce qui est indispensable pour la CIJ statuant au contentieux) ; même dans le cas où ils le seraient, ils risquent de ne pas aboutir ; et même s’ils le faisaient juridiquement parlant, ils n’auraient probablement aucun effet bénéfique sur la situation chinoise ou internationale. Il n’est donc probablement pas nécessaire de s’attarder sur l’avenir de ces projets. Il ne l’est pas davantage de rappeler longuement l’évidence, qui est que la crise sanitaire mondiale invite les dirigeants politiques, non pas tant à rechercher les responsabilités de leurs voisins (beaucoup n’ayant de toute façon pas été exemplaires), mais plutôt – à côté d’une très légitime recherche de la vérité – à prendre plus au sérieux qu’ils ne l’ont fait ces dernières décennies, les exigences d’autonomie stratégique (en matière alimentaire, sanitaire, énergétique, militaire, etc.) et de résilience en cas de crise (écologique, économique, militaire, etc.) des États souverains dont ils ont la charge.

En revanche, ne convient-il pas de s’interroger sur le fait ce que cette subite bouffée de juridisme et d’internationalisme nous vienne principalement des États-Unis et du Royaume-Uni ? C’est ce que nous ferons dans la seconde partie de cette note.

Lire la seconde partie : cliquez ici   

[1] Le paragraphe de 2 de l’article 12 du Pacte dispose que les États parties au Pacte doivent prendre « les mesures nécessaires pour assurer (…) c) La prophylaxie et le traitement des maladies épidémiques, endémiques, professionnelles et autres, ainsi que la lutte contre ces maladies ; d) La création de conditions propres à assurer à tous des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie », ceci en vue d’assurer le plein exercice du droit garanti au paragraphe 1, soit le droit « qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre ».

[2] C’est en outre l’arbitrage, plutôt que la CIJ, que l’article 56, paragraphe 3 du Règlement propose aux États en litige.

[3] Ceux qui sont mentionnés sur le site de la Cour en effet ont été conclus avant la victoire de la République populaire de Chine sur la Chine de Tchang Kaï-Chek, et ont donc été réexaminés suivant la résolution 2758 (XXVI) de l’Assemblée générale des Nations Unies.