ThucyBlog n° 53 – L’après confinement, un test pour la capacité de résilience française ?

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Par Chloé Berger, le 13 juillet 2020 

La démission d’Edouard Philippe clôt une séquence politique particulière. Marquée successivement par la crise des Gilets jaunes, les mouvements sociaux liés à la réforme des retraites et la COVID-19, sans oublier les tensions sur le plan international, cette période a mis la société française et ses institutions publiques à rude épreuve. Au moment où le Ministère des Armées fait le bilan de l’Opération Résilience, lancée fin mars 2020 pour soutenir l’action gouvernementale contre la pandémie, il convient de s’interroger sur l’impact de la crise sur notre pays, ses institutions et la société française plus généralement. Quelles leçons en retenir et que nous apprend-elle de notre capacité de résilience ? La France aura-t-elle la capacité de rebondir alors qu’un retour à des phases de confinement, partiel ou total, est toujours possible ? Le virus continue de circuler à basse fréquence comme l’a montré la détection de 200 nouveaux clusters au moins de juin. Une deuxième vague venue d’Amérique latine ou d’Asie n’est pas à exclure à l’automne et on peut légitimement se demander si les quelques mois d’été permettront aux institutions concernées de mieux se préparer.

Au-delà, la classe politique saura-t-elle redonner confiance aux Français pour dépasser le traumatisme et bâtir le « monde d’après » dont on ne cesse de nous annoncer l’avènement inéluctable ? Le retour au statu quo ante étant difficilement envisageable, on peut s’interroger sur les ressources à mobiliser pour renouer avec notre autonomie stratégique, à l’échelle nationale et/ou européenne.

Un tournant pour la France ?

Cette crise sans précédent fut un choc pour la France et ses alliés européens. L’abandon graduel d’un certain nombre d’instruments de notre autonomie stratégique a lourdement handicapé notre réactivité face à la crise.  Nos décideurs semblent avoir mis du temps à réaliser la gravité de la situation. Pourtant dès février 2020, une cellule de surveillance de l’évolution du virus était en place au Centre de Planification et de Commandement des Opérations (CPCO) du Ministère des Armées. Les pertes humaines furent importantes : 165 000 contaminations et près de 30 000 morts en moins de trois mois.

Sur le front économique, les répercussions sont significatives avec des conséquences à moyen et long terme sur le marché de l’emploi et la structure même de l’économie, difficiles à apprécier. En huit semaines, le PIB français a reculé de 5,3%, provoquant la perte de plus de 500 000 emplois au premier semestre 2020, le taux de chômage repassant ainsi au-dessus de la barre symbolique des 10%. Le dispositif d’activité partielle, auquel les entreprises ont largement recouru (toujours 7 millions de bénéficiaires en mai), a permis à court terme de limiter la « casse sociale ». En dépit de la réduction de charges, les entreprises fragiles, nouvellement créées ou disposant d’une faible marge de manœuvre financière, risquent la faillite au second semestre. Un certain nombre d’acteurs économiques, artisans, PME et jeunes créateurs d’entreprises, se sont par ailleurs trouvés exclus du dispositif.

Les experts s’accordent à dire qu’il faudra à minima deux ans à l’économie française pour retrouver le niveau de croissance d’avant la crise. La réduction des investissements et de la consommation des ménages va peser lourdement sur le redémarrage de l’activité économique. Compte tenu de très fortes incertitudes liées à l’évolution de la situation sanitaire française et internationale, il est probable que les ménages privilégient l’épargne (entre 20% et 30% des revenus des Français) au détriment de la consommation en attendant l’arrivée sur le marché d’un vaccin estimée au printemps 2021. Parallèlement, les dépenses publiques n’ont cessé d’augmenter au cours des derniers mois pour faire face à cette situation sanitaire exceptionnelle et aux restrictions imposées à l’activité économique, venant alourdir d’autant une dette publique qui atteignait déjà les 100% du PIB fin 2019. Certains secteurs tels que l’aéronautique, les transports, le tourisme ou l’industrie de service auront du mal à se relever. Le secteur culturel, en partie subventionné (musées, CNC, intermittents, etc.), est particulièrement menacé. La crise a dévoilé les risques d’une économie dépendante des produits manufacturés à l’étranger et des matières premières importées et très largement désindustrialisée. La pénurie d’équipements de protection pour les soignants ainsi que de médicaments en furent un exemple édifiant.

Une France vulnérable

La crise a rappelé la vulnérabilité des sociétés occidentales face à la maladie et l’illusion du risque zéro. La crise a profondément modifié nos modes de vie : confinement complet, distanciation sociale, télétravail, retour à des modes de consommation plus locaux, réduction drastique des déplacements et de la consommation de pétrole, fermeture des frontières, désorganisation des chaînes d’approvisionnement et pénuries temporaires ; ce sont autant de changements auxquels les Français, aussi bien que le reste de leurs concitoyens européens, ont été forcés de s’adapter. Le confinement n’a cependant pas placé tous les Français dans les mêmes conditions, soulignant avec force les inégalités qui n’ont cessé de s’accroître au cours de ces dernières années : promiscuité sociale dans des logements surpeuplés ou séjour à la campagne ; situation de quasi pénurie alimentaire et saturation hospitalières dans certains endroits. Les Français n’auront manifestement pas tous été logés à la même enseigne durant ce confinement. Plus encore, la crise a révélé l’ampleur de la fracture sociale en faisant peser en grande partie l’effort sur des catégories sociales déjà fragilisées : employés de la filière agro-alimentaire, des transports, de la vente par correspondance, personnels soignants, etc. Ces segments de la société française avaient déjà  exprimé leur mécontentement au cours des mouvements sociaux de l’année 2019.

Les manifestations qui ont accompagné l’annonce du Ségur de la Santé ou encore la polémique autour de l’audition du Professeur Raoult ont mis en question la gestion de la crise par le gouvernement. Le passage d’un certain nombre de municipalités aux mains des Verts lors du second tour des municipales a également souligné les doutes d’une partie de la population sur les modes actuels de gouvernance. Le retour temporaire à des mesures de confinement, même partiel, est toujours possible comme on l’a vu dans certaines régions d’Allemagne. En l’absence de vaccin, le virus ne pourra être éradiqué à l’échelle mondiale. Il est plausible que sa commercialisation suscitera de vives tensions internationales. La « chacun pour soi » a prévalu parmi les alliés européens et otaniens et l’OMS aura bien du mal à coordonner les efforts pour faciliter la diffusion rapide du vaccin, en particulier en direction des pays les plus pauvres ou des zones difficilement accessibles.

Le prix de la résilience

En questionnant notre capacité de résilience, la crise COVID-19 nous invite à repenser notre conception des risques et de la sécurité en remettant l’humain au centre de notre réflexion et en intégrant les défis en matière environnementale, mais aussi sanitaire, alimentaire, socio-économique et migratoire. En attendant de pouvoir imaginer le « monde d’après », la priorité doit être donnée à l’identification des faiblesses de nos capacités de gestion de crise : anticipation, analyse des signaux faibles, limites capacitaires des services de santé civils et militaire, communication vers une population privilégiant l’individualisme à la responsabilité commune. Il faut repenser la sécurité civile élargie car le gouvernement ne peut pas continuer à s’appuyer sur l’Armée, dont les ressources limitées doivent prioritairement soutenir les troupes en opérations. Renforcer notre résilience face aux crises futures implique une réflexion sur le périmètre des missions dévolues à l’Etat et aux collectivités territoriales, en particulier dans le domaine de la sécurité civile. Si nous considérons que la sécurité humaine est un bien public (dont la santé fait partie), l’Etat doit avoir les moyens d’y pourvoir en métropole, dans les territoires d’outre-mer et pour les Français de l’étranger (rapatriements). Des investissements publics devront donc être consentis afin de remettre en état le système hospitalier public. Une meilleure coordination entre médecine de ville et hôpital ainsi qu’une revalorisation des métiers de santé devraient également contribuer à renforcer la résilience du système de santé. De la même manière, le redressement économique va nécessiter un effort public important qui devra s’accompagner de contreparties en matière sociales et d’investissements directs en France. Or, en l’absence de levier monétaire, la relance dépendra en grande partie de la capacité de Paris à faire valoir sa position auprès de ses partenaires européens. L’autonomie stratégique de la France passe aussi par sa réindustrialisation et la promotion de l’innovation et de la recherche. Au-delà, la résilience est aussi un esprit, celui de la défense de nos valeurs et d’une certaine conception du bien commun ; un esprit qui peut être insufflé par un effort en matière de communication et d’éducation, dont le SNU pourrait être le fer de lance. Notre résilience face aux défis de demain est à ce prix.