ThucyBlog n° 52 – Que peut-on attendre de la dixième conférence d’examen du TNP ?

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Par Tiphaine de Champchesnel, le 9 juillet 2020

La dixième conférence d’examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), prévue pour se tenir du 27 avril au 22 mai 2020 au siège des Nations unies, était d’autant plus attendue qu’elle devait célébrer le cinquantième anniversaire de l’entrée en vigueur du traité et le vingt-cinquième depuis sa prorogation indéfinie. En raison de la pandémie, elle a été reportée « à une date ultérieure, dès que les circonstances le permettraient, mais pas plus tard qu’en avril 2021 ». Le président désigné, l’Ambassadeur argentin Gustavo Zlauvinen a indiqué qu’elle pourrait peut-être avoir lieu en janvier 2021.

Le maintien de cette réunion dans un calendrier onusien nécessairement bousculé peut être perçu comme un signe de l’importance que lui accordent les Etats parties, même si ses chances de « succès » sont considérées comme faibles. Nous revenons, dans cet article, sur les enjeux de cette nouvelle étape du processus d’examen du TNP.

Redéfinir la notion de succès des négociations

L’objectif d’une conférence d’examen n’est pas de réviser le traité, contrairement à ce que suggère une traduction erronée fréquente du terme anglophone « review », mais de permettre une évaluation de la mise en œuvre de ses dispositions, selon un rythme quinquennal. Les Etats participants travaillent donc à s’accorder sur un bilan du cycle qui s’achève, ainsi que sur des recommandations pour le suivant. Concrètement, ils doivent parvenir à adopter, par consensus, un document final comprenant ces deux volets. C’est ce document et son approbation par l’ensemble des Etats participants, qu’acteurs et observateurs ont toujours considérés comme le critère du succès des travaux. Cette perception semble évoluer pour prendre en compte par exemple la qualité des discussions.

A l’inverse de la conférence d’examen de 2010 qui avait réussi à adopter un plan d’action, celle de 2015 avait été considérée comme un échec précisément parce qu’elle n’avait pas abouti à un document final. De ce fait, une pression importante a pesé sur le cycle actuel, auquel incombe donc la lourde charge de restaurer la confiance des Etats parties et de valider la pertinence du Traité, en particulier, en cette année de célébration d’un double anniversaire. D’un comité préparatoire à l’autre, la perspective de l’obtention d’un document final en 2020 s’est éloignée et l’idée qu’un « plan B » devrait être préparé pour pallier la très probable impossibilité d’un document final consensuel, a recueilli davantage de soutiens parmi les experts qui estiment que le régime a besoin d’un succès pour renforcer une légitimité parfois contestée. Reste à savoir si une telle solution pourra également recueillir l’approbation des Etats parties.

Non-prolifération vs. désarmement

Il est de coutume pour les délégations de plaider pour un traitement équilibré des trois piliers du TNP : la non-prolifération, la promotion des usages pacifiques de l’énergie nucléaire et le désarmement. En réalité, depuis plusieurs années, la priorité a été largement donnée au désarmement. Et pour cause, il s’agit, pour commencer, du positionnement d’un groupe d’Etats majoritaire à l’ONU, le mouvement des non-alignés (NAM). D’autres Etats parties, tiennent également à mettre en exergue ce dossier, soit par le biais d’une stratégie progressive, soit dans une approche plus radicale comme celle qui a été portée par l’initiative sur l’impact humanitaire des armes nucléaires (HINW). Il en résulte une pression permanente sur les Etats dotés afin qu’ils démontrent leur engagement pour la mise en œuvre de l’article VI. Or, ce dernier est diversement interprété, selon la lettre du Traité et son obligation de moyens ou bien avec l’attente de résultats, dans une perspective abolitionniste. Dans ce dernier cas, les attentes sont nécessairement déçues. En parallèle, les progrès nécessaires en matière de non-prolifération restent bloqués, non seulement parce que la priorité est ailleurs, mais également parce qu’une forme de conditionnalité a été instaurée par certains Etats entre la non-prolifération et le désarmement. En effet, la recherche par le NAM d’une égalisation des statuts distincts qu’a créés le TNP entre Etats dotés et non dotés a comme corollaire la volonté de mettre sur un même plan les obligations de non-prolifération et de désarmement, entendu comme élimination des armes nucléaires, ainsi qu’une forme d’objection, de principe, à toute nouvelle mesure de non-prolifération. Ce qui continue de représenter une entrave au renforcement du régime.

« Les défis en matière de non-prolifération ne sont pas statiques »

 Le retour d’expérience des crises de prolifération a montré qu’il était nécessaire de combler certaines lacunes : d’une part, sur le plan technique, les garanties de l’AIEA ont été améliorées si bien que les accords de garanties généralisés complétées par un protocole additionnel devraient devenir le nouveau standard de la vérification ; d’autre part, les conditions et les conséquences d’un retrait du TNP mériteraient d’être précisées. Or, la progression de ces dossiers est suspendue en raison non seulement de l’opposition ouverte de certains Etats mais aussi de la passivité d’autres, qui ne font pas suffisamment entendre leurs voix sur ce point. Il est pourtant crucial qu’elles le soient, en particulier après le passage de l’HINW, qui a cherché à noyer la sécurité internationale en inondant les débats de la perspective humanitaire, afin de rendre caduc l’argumentaire « sécuritaire » des Etats – dotés ou non – sur les armes nucléaires. Une conséquence de cette stratégie est aussi la difficulté à parler de non-prolifération. A cet égard, de récents propos de la secrétaire générale adjointe de l’ONU et haute représentante pour les affaires de désarmement, Mme Nakamitsu, lors de la réunion du Conseil de sécurité sur les 50 ans du TNP (26 février 2020), seront certainement précieux pour ceux qui porteront le sujet à l’agenda lors de la conférence d’examen : « les États doivent comprendre que les défis en matière de la non-prolifération ne sont pas statiques et que, par conséquent, le régime ne peut l’être non plus […] les États parties pourront au moins approuver le protocole additionnel en tant que norme pour les garanties ». Il est fondamental qu’une telle impulsion politique soit maintenue. Elle doit également porter sur les crises de prolifération, même si l’enceinte TNP n’est pas le lieu de leur résolution.

Les points d’interrogation du désarmement 

Au-delà de la posture politique permanente de certains Etats sur la question du désarmement (cf. supra), l’agenda concernant ce pilier devrait voir monter des sujets avec des aspects concrets telle que la vérification ou la réduction des risques nucléaires, même si ce dernier demande encore à être défini. Surtout, l’attention se portera certainement sur la suite du processus bilatéral de réduction des armements nucléaires stratégiques et le positionnement des Etats-Unis à cet égard, alors que la Russie a déjà manifesté sa volonté de prolonger l’accord New START existant, dont l’échéance est fixée au 5 février 2021. Comment les Etats parties aborderont-ils la conférence d’examen si la conférence d’examen se tient effectivement en janvier, sans que cette interrogation soit résolue ? Quelle serait alors la crédibilité de l’administration américaine en place, notamment dans la promotion de son initiative visant à réfléchir à « un environnement propice au désarmement nucléaire » ?

Comme le remarquait Philippe Wodka-Gallien lors d’un colloque sur les Imaginaires nucléaires en décembre 2019, cette chanson n’invite pas à la baignade mais à constater la radioactivité sur la plage où la bombe a explosé…

A un autre niveau, se pose la question du choix que feront les promoteurs du traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) et du traité auquel ils donneront priorité. Si c’est au TNP, ils devront alors renoncer à risquer de paralyser les travaux en cherchant à faire inscrire dans le marbre que le TIAN contribue à la mise en œuvre de l’article VI car loin de constituer un instrument de sécurité, ce nouveau traité est avant tout le fondement d’une stratégie de délégitimation et de stigmatisation de la possession d’armes nucléaires. Il faut espérer que ces Etats, même s’ils poursuivent leur action en ce sens, contribuent réellement au désarmement, en se concentrant sur les étapes et les initiatives concrètes de l’approche progressive. Il semblerait que la thématique de la réduction des risques nucléaires puisse rassembler. Sous réserve que les Etats s’accordent sur son périmètre et sur une définition…

Les propos n’engagent que l’auteur