ThucyBlog n° 51 – Le Canada doit tirer les leçons d’un nouvel échec à intégrer le Conseil de sécurité

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Par Grégoire Gayard, le 6 juillet 2020
Docteur en science politique de l’Université Paris 2 Panthéon-Assas et spécialiste des relations internationales du Canada et du Québec et de la politique étrangère dans les systèmes fédéraux.

Le scrutin du 17 juin 2020 a rendu son verdict. Les cinq pays élus à siéger au Conseil de sécurité pour la période 2021-2022 sont l’Inde, l’Irlande, le Kenya, le Mexique et la Norvège. Parmi les candidats malheureux, le Canada a échoué à obtenir un siège pour la deuxième fois en dix ans. C’est une sévère désillusion pour le gouvernement de Justin Trudeau. Le Canada, en compétition avec la Norvège et l’Irlande pour les deux sièges réservés au groupe des États d’Europe occidentale et autres États, a été battu dès le premier tour.

Pour Ottawa, c’est l’heure d’un douloureux examen de conscience. Les élections au Conseil de sécurité ont toujours quelque chose d’incertain et la procédure de vote à bulletin secret rend difficile de savoir précisément quelles voix ont manqué et ce qui a fait défaut au moment de la campagne. Les hypothèses, toutefois, ne manquent pas.

Une campagne tardive

La campagne du Canada a d’abord souffert d’avoir été lancée tardivement. Alors que l’Irlande et la Norvège ont annoncé leurs candidatures respectives en 2005 et en 2007, le Canada s’est engagé dans la course seulement en 2016, peu après l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau. Les élections au Conseil de sécurité sont fréquemment précédées par des campagnes au long cours et le Canada n’a finalement jamais comblé son retard sur ses concurrents. Il est probable que l’Irlande et la Norvège avaient déjà obtenu le soutien d’autres États au moment où le Canada s’est lancé dans la course[1].

La campagne a également été perturbée par la pandémie de COVID-19, qui a empêché plusieurs déplacements et rencontres prévus par Justin Trudeau et son ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne. La pandémie a certes également affecté les campagnes de l’Irlande et de la Norvège, mais elle a freiné le Canada au moment où il tentait de rattraper son retard. Les Canadiens ont tout de même multiplié les contacts (à distance) au cours des dernières semaines et Ottawa s’est adapté à la situation en tentant de démontrer son attachement au multilatéralisme. Justin Trudeau a par exemple coprésidé le 28 mai avec la Jamaïque et le Secrétaire général des Nations Unies une conférence sur le financement de solutions liées à la COVID-19. Le Canada a aussi promis des fonds pour contribuer à la recherche d’un vaccin. Mais ces efforts de dernière minute n’ont pas suffi a réellement démarquer le Canada de ses concurrents.

On touche ici à une autre faiblesse de la campagne canadienne. Le Canada, l’Irlande et la Norvège partagent beaucoup de positions sur les grands dossiers internationaux. Leurs campagnes insistaient d’ailleurs largement sur les mêmes thèmes : défense du multilatéralisme, développement durable et lutte contre les changements climatiques, droits des femmes, contributions au maintien de la paix et à la solidarité internationale. Si chaque État a mis l’accent sur certaines spécificités de sa politique étrangère, il a été difficile pour le Canada de trouver des arguments le séparant réellement de ses concurrents.

Mais au-delà de ces premiers éléments d’explication, la campagne canadienne a également souffert de faiblesses plus profondes.

L’isolement international relatif du Canada

Cette élection a mis en lumière un certain isolement du Canada sur la scène internationale. Cette observation peut paraître paradoxale. Membre du G7, du G20, de l’OTAN, de la Francophonie et du Commonwealth, le Canada est normalement à même de mobiliser des soutiens auprès d’une large part des membres des Nations Unies. La Norvège ne fait partie ni du G7 ou du G20, ni de l’UE, ni du Commonwealth ou de la Francophonie. L’Irlande est membre de l’UE, mais pas de l’OTAN, ni du G7 ou du G20, ni de la Francophonie ou du Commonwealth. Mais les réseaux du Canada n’ont pas été suffisants. Les pays européens ont soutenu les deux candidatures européennes. Sous l’administration Trump, les États-Unis ont été un partenaire difficile pour le Canada et il ne fallait guère compter sur leur appui dans cette campagne. En Afrique, la faiblesse de l’aide internationale canadienne a limité les soutiens d’Ottawa. En Asie, le Canada vit une crise diplomatique avec la Chine depuis l’arrestation, en décembre 2018, de Meng Wanzhou, Vice-présidente du conseil d’administration et directrice financière de la société Huawei, à la demande des autorités américaines. Enfin au Moyen-Orient, l’image du Canada est écornée d’une part par son soutien marqué à Israël et d’autre part par la brouille qui a opposé Ottawa à l’Arabie Saoudite à l’été 2018.

Cet isolement pèse particulièrement lourd dans le cadre des élections au Conseil de sécurité, où le Canada est intégré au groupe des États d’Europe occidentale et autres États. Ce positionnement par défaut[2] place le Canada dans le groupe traditionnellement le plus compétitif, où les pays de l’UE se soutiennent mutuellement.

Surtout, ce revers est sans doute révélateur des limites de la politique étrangère canadienne, dont certaines datent déjà d’avant l’arrivée de Justin Trudeau.

Les limites de la politique étrangère canadienne

Il existe un hiatus de plus en plus net entre les engagements du Canada sur la scène internationale et ses réalisations concrètes. Le gouvernement Trudeau, depuis 2016, a mis en avant une politique étrangère en rupture avec la politique menée par le conservateur Stephen Harper. Cette politique progressiste, proclamant « Canada is back ! », devait marquer la fin d’un certain scepticisme envers le multilatéralisme et les institutions internationales, réengager le Canada dans la lutte contre les changements climatiques, réinvestir dans le maintien de la paix, mettre l’accent sur l’égalité des genres et défendre un agenda commercial progressiste. Dans la plupart de ces domaines, au-delà des discours, les résultats ont été décevants.

Sur certains de ces sujets, tant la Norvège que l’Irlande ont fait la preuve d’une crédibilité qui fait désormais défaut au Canada. La politique d’aide internationale canadienne est ainsi chroniquement sous-financée. L’enveloppe dédiée à l’aide internationale stagne autour de 0,28% du PIB depuis 2013[3]. De ce point de vue, Ottawa fait moins bien que l’Irlande et la Norvège. Cette dernière, en particulier, fait figure de bon élève en consacrant régulièrement 1% de son PIB à l’aide internationale. Concernant la contribution au maintien de la paix, en septembre 2019, à la fin du premier mandat de Justin Trudeau seuls 49 Canadiens étaient déployés, plaçant le Canada au 72ème rang des pays contributeurs. Outre que ces chiffres sont historiquement faibles pour le Canada, ses concurrents font mieux : l’Irlande déployait à la même date 628 personnes et la Norvège 144, alors que ces deux pays combinés n’atteignent pas un tiers de la population du Canada. Dans le dossier du climat également, le Canada s’est montré incapable de remplir les engagements pris lors de la COP 21 de Paris, malgré les discours encourageants de Justin Trudeau.

*   *   *

L’échec à obtenir un siège au Conseil de sécurité montre crûment la distance entre l’image que le Canada continue à avoir de lui-même et sa place réelle sur la scène internationale. C’est un rendez-vous manqué pour Justin Trudeau car son gouvernement ambitionnait de jouer un rôle important dans l’après COVID-19, à un moment où le multilatéralisme est remis en question et où le système des Nations Unies est en crise[4]. Pire encore, pour Trudeau, cette défaite est douloureuse car en dépit de la rupture de ton entre sa politique étrangère et celle de Stephen Harper, le Canada se retrouve dans la même position en 2020 qu’en 2010. Le mal est donc plus profond qu’imaginé par certains et le Canada ne pourra pas éternellement faire l’économie d’une réflexion plus profonde sur sa place dans le monde.

Mais les échecs peuvent être source d’opportunités et le choc d’un deuxième revers pourrait fournir au Canada l’impulsion nécessaire pour faire face aux problèmes de fond de sa diplomatie. Si le gouvernement Trudeau est sérieux à propos des principes qu’il entend mettre au cœur de sa politique internationale, il est sans doute temps de faire ce travail de fond et de se lancer dans une revue de sa politique étrangère[5].

[1] Par exemple, l’Inde, candidat à un autre siège au Conseil de sécurité, s’était déjà entendue avec la Norvège et l’Irlande pour échanger leurs voix lors du scrutin. Ryan Heath et Lauren Gardner, « U.N. vote deals Trudeau embarrassing defeat on world stage », Politico, 17 juin 2020.

[2] Les États-Unis étant membre permanent et le Mexique étant rattaché au groupe des États d’Amérique latine et des Caraïbes, il n’existe pas de groupe pour l’Amérique du Nord.

[3] OCDE (2019), APD nette (indicateur), chiffres disponibles sur https://data.oecd.org/fr/oda/apd-nette.htm.

[4] Voir : Alexandra Novosseloff, « ThucyBlog n° 39 – Le Conseil de sécurité, le grand absent d’un monde désarticulé », 25 mai 2020.

[5] Le dernier effort de ce genre a été entrepris en 2001 et achevé en 2005, mais l’arrivée des conservateurs au pouvoir début 2006 a immédiatement rendu caduc le document publié par le gouvernement Martin. R. Mank, « Does Canada Need a Foreign Policy Review ? », Canadian Global Affairs Institute Policy Paper, janvier 2019, pp. 13-14.