ThucyBlog n° 50 – Les sanctions économiques à l’épreuve du coronavirus

Partager sur :

Par Mathilde Jeantil, le 2 juillet 2020

Frappant indifféremment toutes les populations, la pandémie de Covid-19 appelle à un renforcement de la solidarité et de la coopération internationales pour bâtir une réponse efficace aux difficultés sanitaires, mais aussi économiques, qu’elle génère. Le maintien des sanctions économiques[1], voire leur renforcement dans ce contexte mondial inédit suscite l’indignation de certains observateurs et relance le débat perpétuel sur leur efficacité.

Le retour des critiques à l’encontre des sanctions économiques

Si la crise du coronavirus ravive et exacerbe les débats à leur sujet, force est de constater qu’il n’y a pas de nouveauté majeure dans les critiques qui sont adressées à l’égard des sanctions économiques. En effet, les conséquences négatives des sanctions économiques mises en lumière par la crise du coronavirus ne sont pas sans rappeler les effets secondaires constatés lors d’épisodes de sanctions antérieurs, particulièrement dans le cadre des mesures visant l’Iraq à la suite de l’invasion du Koweït en 1990. L’ampleur de ces dommages indésirables est en revanche inédite tant les sanctions économiques ont pu affaiblir la réponse au coronavirus des régimes visés et compromettre ainsi la sortie de l’épidémie.

Les détracteurs des sanctions économiques dénoncent notamment les difficultés d’accès aux biens et services de première nécessité pour les populations des pays ciblés comme les produits alimentaires et les fournitures médicales, en dépit des exemptions et exceptions dont ils font pourtant l’objet. En effet, les sanctions sont susceptibles d’entraîner des tensions sur la disponibilité alimentaire dans le pays cible, aussi bien par la baisse des importations que par celle de la production agricole nationale, dépendante de certains intrants étrangers comme les engrais. De la même manière, certains fournisseurs de biens médicaux peuvent renoncer à honorer leurs commandes faute d’assurance absolue que les produits en question sont bien exclus du champ des sanctions. Au-delà des difficultés d’approvisionnement en médicaments, l’efficacité des services de santé peut être également amoindrie par des entraves à l’acquisition de pièces de rechange nécessaires au maintien des équipements médicaux ou encore par le fonctionnement altéré des infrastructures pour l’eau et l’assainissement mais aussi du réseau électrique.

Toutes ces difficultés sont évidemment renforcées par la prudence excessive des opérateurs économiques (overcompliance) et l’absence de canaux financiers permettant la réalisation de transactions commerciales. Les pénuries alimentaires, couplées aux difficultés des ménages à se soigner et à la dégradation des infrastructures concourent à l’accroissement des vulnérabilités individuelles et à la dégradation globale du système sanitaire. Les sanctions économiques ont ainsi contribué à créer des conditions propices à la propagation de l’épidémie. En témoignent la situation catastrophique de l’Iran[2] et les craintes sur la capacité de pays sous sanctions tels que Cuba, le Venezuela ou le Zimbabwe à faire face au coronavirus.

Par la pression qu’elles exercent sur l’économie des pays visés, les sanctions limitent aussi les capacités de réaction des gouvernements à la crise sanitaire et à ses répercussions économiques. Les difficultés budgétaires induites par les sanctions économiques privent les États visés de la possibilité de soutenir financièrement les opérateurs économiques, notamment les individus ne pouvant travailler. Les régimes visés ne peuvent alors imposer un confinement strict à leur population et enrayer ainsi la propagation du virus comme l’a souligné le maire de Téhéran. En outre, les sanctions économiques favorisent le développement d’une économie informelle qui, dans une crise comme celle du coronavirus, se substitue au moins partiellement à l’action gouvernementale dans la réponse sanitaire. Face à la pénurie de masques, le gouvernement iranien a dû s’approvisionner sur le marché noir à des prix exorbitants, affectant négativement l’efficacité de la stratégie iranienne contre le Covid-19.

L’échec des nombreux appels en faveur d’un allègement des sanctions

États visés ou non par des sanctions, institutions internationales, organisations non gouvernementales ou encore personnalités politiques ou diplomatiques, de nombreuses voix se sont élevées dès le début de la pandémie pour appeler les auteurs de sanctions, principalement les États-Unis, à alléger la pression exercée sur les pays visés pour leur permettre d’affronter la crise sanitaire.

Répondant aux critiques à l’encontre de sa politique de sanctions, l’administration Trump a tenu à préciser que les mesures coercitives américaines n’interdisaient en aucun cas les transactions à caractère humanitaire, rejetant toute responsabilité éventuelle dans l’affaiblissement de la réponse des États visés à la propagation du virus. Cette affirmation ne reflète pourtant pas la réalité. Certains biens nécessaires à la gestion de l’épidémie, comme les équipements d’imagerie médicale ou les respirateurs, ne sont pas totalement exempts de sanctions[3] et leur exportation requiert l’obtention, souvent longue et ardue, d’une licence auprès des services américains. S’ajoute à cela le manque de clarté sur les produits pouvant faire l’objet de sanctions secondaires qui dissuade les opérateurs non-américains d’exporter vers les pays visés.

Bien qu’il soit souhaitable, un allègement des sanctions économiques ne garantirait pas nécessairement une amélioration significative de la réponse des États visés, compte tenu à la fois des difficultés d’approvisionnement mondiales en fournitures médicales et du contexte macroéconomique. Même si les restrictions commerciales et financières étaient assouplies, les échanges des pays concernés pourraient ne reprendre que marginalement en raison de la contraction inédite du commerce international. Les pays exportateurs de pétrole, notamment le Venezuela et l’Iran, ne pourraient non plus espérer une hausse conséquente de leurs recettes d’exportations (et donc de leur budget) en raison de la faiblesse de la demande et du niveau particulièrement bas du prix du baril.

La solidarité internationale envers les pays visés

La solidarité internationale s’est organisée pour répondre aux difficultés d’approvisionnement des pays visés en produits humanitaires. Si la demande de prêt de l’Iran auprès du FMI est aujourd’hui restée sans réponse, le pays a pu bénéficier du soutien matériel et financier d’un grand nombre de pays tels que les Emirats arabes unis, le Qatar, ou encore les signataires de l’accord sur le nucléaire de 2015 dénoncé par Donald Trump en mai 2018 à savoir la Chine, la Russie et les Européens (France, Allemagne et Royaume-Uni). Le Venezuela a quant à lui reçu une cargaison de matériel médical des Nations Unies et une assistance chinoise pour l’aider à endiguer la pandémie alors que le pays, soumis à des sanctions américaines, affronte la crise économique la plus sévère de son histoire.


Une chanson iranienne, aux airs de propagande, vantant le droit du pays à l’énergie nucléaire

La crise sanitaire actuelle a également mis en lumière les tentatives de contournement des sanctions américaines. A cet égard, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont annoncé le 31 mars la première transaction avec l’Iran au travers du mécanisme Instex[4] portant sur du matériel médical, a priori non destiné spécifiquement à la gestion de l’épidémie. Si le coronavirus ne semble pas avoir accéléré l’activation opérationnelle – symbolique – d’Instex, le hasard du calendrier met en lumière les efforts des Européens pour rétablir les relations économiques avec l’Iran malgré les sanctions unilatérales des États-Unis. Dénonçant l’impérialisme américain, l’Iran et le Venezuela ont également démontré leur détermination à contrevenir aux mesures coercitives dont ils font l’objet. Soumis à un embargo pétrolier, l’Iran a en effet livré une cargaison de produits raffinés au Venezuela dont les capacités de production et de raffinage de pétrole ont été annihilées par la sévérité de la crise économique, l’assistance iranienne ayant été monnayée en or en dehors du système bancaire international.

*  *  *

Si certains voient dans la crise du coronavirus une occasion de reconsidérer la pratique des sanctions économiques[5], l’attitude de l’administration Trump laisse peu de place à l’optimisme. Au lieu de réduire la pression sur les États visés, les États-Unis l’ont au contraire renforcée vis-à-vis de l’Iran en pleine crise du coronavirus avec la désignation de nouvelles personnes et entités sujettes aux sanctions, la fin des dérogations sur la coopération nucléaire avec le pays et surtout l’entrée en vigueur début juin de nouvelles mesures visant le transport maritime[6]. Jusqu’alors inflexibles sur leur politique de pression maximale à l’égard de l’Iran, les États-Unis pourraient bien espérer obtenir davantage de concessions d’un État d’autant plus affaibli par la pandémie de coronavirus.

[1] Pour une présentation générale des sanctions internationales, voir notamment Serge Sur, « Observations sur les sanctions internationales », AFRI, XIX, 2018, p. 117‑131, disponible en ligne. A propos des sanctions économiques, Jean-Marc Thouvenin, « Sanctions économiques et droit international », Droits, vol. 1, no 57, 2013, p. 161‑176.

[2] La crise sanitaire et ses répercussions économiques en Iran ne sont pas sans conséquences sur ses voisins. Elles entraînent des migrations, notamment vers l’Afghanistan, participant ainsi à la propagation du coronavirus.

[3] Certains biens sont soumis à une procédure de licence en raison de leur usage potentiellement dual. Dans le cadre des sanctions américaines à l’encontre de l’Iran liées au nucléaire, les exportations de certains équipements médicaux font l’objet de contrôles car ils pourraient contribuer au développement d’un programme militaire.

[4] Fonctionnant comme une chambre de compensation, Instex a été conçu pour rétablir les relations économiques avec l’Iran tout en évitant les sanctions américaines. Si sa création a été annoncée en janvier 2019, la plateforme européenne n’était pas opérationnelle avant l’épidémie.

[5] Voir l’article de Jarrett Blanc, « Coercion in the Time of the Coronavirus », 8 avril 2020, disponible en ligne.

[6] Annoncées en décembre, leur entrée en vigueur avait été repoussée, selon le secrétaire d’État Mike Pompeo, « pour permettre aux exportateurs de biens humanitaires de trouver des moyens de transport alternatifs ».