Par Aude Brejon, le 8 mars 2021
Docteure en droit public, chercheuse associée au CRDH, Université Paris II Panthéon-Assas
Le 12 février 2021, l’Assemblée des États parties (AEP) de la Cour pénale internationale (CPI) a mis un terme à la longue quête de son troisième Procureur. Élu par l’organe politique de cette organisation judiciaire internationale pour neuf ans, le Procureur de la CPI est investi du pouvoir de déclencher des poursuites pénales internationales au nom du Statut de Rome. L’importance d’une telle fonction suppose une procédure encadrant la recherche de cet acteur central de la justice pénale internationale. Or, a contrario des deux premières élections, celle-ci a subi de multiples rebondissements. Le déroulement inhabituel de la sélection des candidats illustre la défiance des États envers un Procureur qui semble toujours plus échapper à ses créateurs. Pour y remédier, une procédure de recherche plus sophistiquée a cette fois été mise en place. Cependant, cette dernière s’est avérée insuffisante pour la sélection d’un Procureur à la fois juridiquement compétent et capable de diriger le Bureau de la CPI. La contestation de la procédure de sélection a permis l’apparition d’un candidat bien connu des praticiens : Karim Khan. Ce candidat initialement rejeté par l’organe chargé de la sélection était, depuis un an, considéré comme l’homme providentiel. Il a ainsi fait figure d’un homme de confiance, capable de rassurer les États. Cette confiance, accompagnée de sa connaissance approfondie du système pénal international, constitue l’arme essentielle de ce nouveau Procureur pour faire face aux défis qui l’attendent.
Une procédure de recherche insuffisante
La quête d’un nouveau procureur à la CPI a toujours détonné dans le paysage des élections internationales. Après les difficultés rencontrées pour élire le premier Procureur, les États parties au Statut de Rome ont eu recours au consensus afin d’éviter les marchandages d’une élection par cooptation. Seulement, la modalité de vote est irrémédiablement liée aux modalités de recherche. Dans le cadre des autres élections internationales, la recherche est effectuée par les États eux-mêmes. À la CPI, le consensus, censé faciliter la légitimité du Procureur sur la scène internationale, a démontré ses limites dans le cadre de cette élection. Pour cause, le consensus pouvait convenir lorsque les candidats étaient issus du Bureau du Procureur.
Or, les agissements polémiques du premier Procureur et l’affranchissement de l’actuelle Procureure à l’égard des volontés étatiques ont suscité des doutes quant à la sélection de candidats parmi les membres du Bureau du Procureur. Surtout, le consensus ne prévenait pas de la répétition des mauvaises habitudes prises lors du mandat de Luis Moreno Ocampo (premier Procureur de la CPI) tel que l’absence de prise en compte des spécificités culturelles et juridiques locales. Peu enclins à vouloir abandonner l’élection par consensus, il était donc logique que les Etats aient souhaité s’éloigner d’une procédure de recherche peu satisfaisante au profit d’une procédure menée par des experts.
L’idée d’un comité d’élection assisté d’experts indépendants a vu le jour dans le cadre de l’élection de Karim Khan comme nouveau procureur de la CPI. La recherche du nouveau Procureur était auparavant confiée au Bureau de l’AEP, organe représentatif restreint des différentes composantes régionales de l’AEP. Le choix de la confier à un Comité de recherche participe de la mise en place d’une procédure respectueuse d’un intérêt commun de l’AEP distinct de celui des intérêts étatiques individuels. Néanmoins, tout aussi vertueuse qu’ait été l’intention d’améliorer la procédure de recherche de nouveaux candidats, cette objectivisation a seulement déplacé le problème de la sélection des candidats vers celle des experts qui en ont la charge. En effet, ces derniers ont été sélectionnés au moyen de critères lapidairement établis, lesquels ne permettaient ni une véritable indépendance ni un réel affranchissement. Abandonnés à leur sort, ces experts ont eu pour seule indication les critères de l’article 42 (3) du Statut de Rome. Ils ont logiquement ignoré certaines qualités jugées essentielles par les États dans leur sélection qui ne figurent pas dans le Statut de Rome.
Ainsi, ils se sont concentrés sur la compétence des candidats, leur origine géographique ou leur expérience professionnelle. Ils ont donc fait abstraction des qualités managériales et politiques pourtant cruciales pour mener une action publique internationale en vertu du Statut de Rome. Par conséquent, les quatre candidats retenus par le Bureau de recherche ont été remis en cause par certains États. Cette contestation brutale de la décision du Comité a conduit à la mise à l’écart de certains des présélectionnés au profit de candidats tels que Karim Khan. Ils ont, cette fois, fait le choix d’un Procureur rassurant.
Le choix d’un Procureur rassurant
Le rejet des candidats désignés par le Comité de recherche démontre que l’AEP n’a pas réussi à déterminer les qualités communément requises pour le Procureur à venir. Certains États parties recherchaient plus qu’un procureur simplement prudent (Ocampo) ou compétent (Bensouda). Ils désiraient un procureur capable d’apaiser les craintes suscitées par les politiques des procureurs précédents.
Karim Khan est évidemment doté des compétences dignes des juristes les plus expérimentés. Le nouveau Procureur possède une excellente connaissance du système pénal international dans son ensemble puisqu’il a exercé les fonctions de procureur, d’avocat des parties civiles et de la Défense dans la plupart des juridictions qui le composent. En outre, bien que formé dans un système procédural accusatoire – Karim Khan a été nommé Queen’s counsel en 2011 –, son expérience au sein des juridictions internationalisées lui a permis de cerner les attentes des États dotés d’un système inquisitoire. Pour eux, la promesse de Karim Khan de rétablir l’équilibre entre les deux systèmes procéduraux a été déterminante.
Le nouveau procureur devait également être susceptible de mettre fin aux errements managériaux dénoncés par le rapport des experts de l’AEP en décembre 2019. Pendant les audiences publiques, il a promis d’oser les réformes que Fatou Bensouda n’avait pu entamer. Karim Khan s’est donc imposé comme un véritable réformateur. Son curriculum vitae confirme des compétences de direction et de gestion d’équipe adéquates pour l’office qui l’attend.
Karim Khan a ainsi su rassurer les États en proie aux doutes quant à un Procureur compétent, mais potentiellement inapte à conduire le Bureau du Procureur vers une stabilité après les différents orages qu’il a subis. Cet aspect lui a permis de prendre l’avantage dans les dernières semaines précédant l’élection face à Fergal Gaynor, candidat retenu par le groupe d’experts. L’infortuné n’a pas su répondre aux inquiétudes formulées par les États pendant ces mêmes audiences. Il n’empêche que le combat entre les deux hommes a duré jusqu’à la dernière minute. Cette lutte a même contraint les États parties à abandonner le consensus au profit de la procédure élective initialement prévue par l’article 42-4 du Statut de Rome. Cette absence de consensus autour de Karim Khan risque de compliquer la tâche du nouveau Procureur dans l’appréhension des défis d’envergure qu’il devra relever.
Des défis d’envergure
Karim Khan héritera d’une charge qui le place au cœur de l’espace international. Cette légitimité, acquise de haute lutte, suppose pour le nouveau Procureur de relever deux défis.
Le premier défi auquel Karim Khan devra faire face résulte de la politique en matière de poursuites établie par la Procureure actuelle, à savoir la situation en Palestine, laquelle constituera un véritable test pour Karim Khan quant à son respect de la souveraineté étatique.
La CPI fut une des premières organisations internationales à admettre en son sein la Palestine en tant qu’Etat partie. Cette reconnaissance a permis à la Chambre préliminaire d’autoriser l’enquête du Procureur sur le territoire palestinien. Dans cette situation, la question pour Karim Khan consistera à s’assurer de la coopération de l’État israélien qui contrôle une partie du territoire palestinien. Cet État non-partie risque de faire barrage aux enquêteurs du Bureau du Procureur. Le nouveau Procureur devra donc faire preuve d’un esprit diplomatique hors pair pour éviter une débâcle judiciaire.
Les sanctions prononcées par les États-Unis à l’égard de la seconde Procureure, du directeur de la coopération et leurs complices éventuels constituent un second héritage du second Procureur. Les alliés des États-Unis seront probablement réticents à la coopération compte tenu du caractère inclusif des sanctions. Le Procureur, quant à lui, risque de se limiter lorsque les enquêtes ou les poursuites concernent des militaires américains afin de ne pas menacer la bonne conduite de ses autres dossiers. Les sanctions des États-Unis jettent un voile noir sur l’indépendance du Procureur nouvellement élu même si elles ne le visent pas directement. Or, ces sanctions tardent à être levées même si le dialogue est renoué entre le gouvernement américain et le Bureau du Procureur. Pour retrouver une légitimité et une indépendance pleines et entières, Karim Khan devra donner les moyens au président américain de lever la menace qui plane sur son Bureau. Pour ce faire, il devra lui permettre de rassurer le peuple américain. En effet, le gouvernement Biden, pour lever les sanctions, devra convaincre les représentants du peuple américain qu’une telle décision n’ira pas à l’encontre des intérêts américains.
Le Procureur Khan sera-t-il de taille à faire face aux défis que la Procureur Bensouda a eu le courage de provoquer ? Assurément. Son expertise tant judiciaire que diplomatique font de lui le candidat providentiel pour accompagner l’entrée de la Cour dans son adolescence. Reste à savoir si ce choix ne se retournera pas finalement contre les États. En tout état de cause, le mandat de Karim Khan sera sans doute tout aussi disruptif que la procédure par laquelle il a été élu.
Concernant les enjeux de l’élection du nouveau procureur de la CPI, voir également l’article de la Direction de la recherche de l’Université Paris II Panthéon-Assas à l’occasion des 6e Journées de la Justice pénale internationale organisées par le Centre Thucydide et le CRDH : Cliquez ici !