Par Guillaume Berlat, le 29 avril 2021
Pseudonyme d’un ancien diplomate
« Mentir, c’est un métier, mais démentir, c’est tout un art » (Georges Wolinski). Vaste programme, aurait dit le général de Gaulle tant le sujet est éternel et prend, aujourd’hui, un tour nouveau à l’heure de la dictature des réseaux sociaux et de la condamnation du silence, coupable par nature. Un grand ambassadeur était si connu pour en dire le moins possible que les journalistes l’avaient surnommé « le porte-silence ». On reprochait hier aux ambassadeurs leurs mots feutrés, sinon leur anonymat, voire leur silence. Ce n’est plus le cas aujourd’hui tant ils passent le plus clair de leur temps à communiquer, à exister sur les réseaux sociaux. Revenons au cœur de notre sujet. Mais qu’est-ce au juste que démentir ? Démentir quelqu’un ou quelque chose ? Il est impossible d’aborder le sujet sans passer par l’étape de la définition précise de ce concept telle qu’elle est nous est fournie par nos dictionnaires de référence. Ensuite, nous pourrons passer de la théorie à la pratique en nous appuyant sur un exemple tiré de l’actualité internationale de la fin de l’année 2020.
Le champ conceptuel général du démenti
Si l’on s’en tient à la définition qu’en donne le petit Robert 1 dans son édition de 1982, démentir, c’est contredire quelqu’un en prétendant qu’il n’a pas dit la vérité. Ses synonymes sont contredire, dédire, désavouer, infirmer.
Le dictionnaire de l’Académie française va un peu plus loin dans l’analyse de ce concept, le déclinant ainsi.
- Contredire quelqu’un en niant la véracité ou l’exactitude de ce qu’il affirme. Elle est dans le vrai, on ne peut la démentir. Comptez sur moi pour le démentir.Par extension. Ces témoignages se démentent l’un l’autre, se contredisent, s’annulent.
- Nier la réalité d’un fait, l’exactitude d’une affirmation. Voilà des informations qu’on ne peut démentir. Nous démentons formellement cette nouvelle, ce bruit calomnieux. Oserez-vous démentir votre signature ? Absolument. Revenant sur ses affirmations, le journal a démenti.
- Fig. Ne pas confirmer dans les faits. Vous démentez par votre conduite la bonne opinion que j’avais de vous. L’avenir démentira vos craintes, vos espérances. C’est un préjugé que l’expérience dément tous les jours. Sa conduite dément sa réputation. Ses actions démentent son discours. Sa mort n’a pas démenti sa vie, elle fut ce que laissait attendre sa vie.
- Pron. Se démentir, revenir sur une affirmation, un comportement, être inconséquent avec soi-même. Il se dément aujourd’hui de ce qu’il affirmait hier. Toujours fidèle à lui-même, il ne s’est jamais démenti. Fig. S’affaiblir, fléchir. Sa fermeté s’est, un moment, démentie. L’intérêt qu’elle me porte ne s’est jamais démenti. La rigueur de l’hiver ne s’est pas démentie.
Ainsi, muni de cet appareillage conceptuel, nous pouvons progresser dans notre réflexion sur le terme de démenti pour aller du général au particulier, du sens commun au domaine diplomatique. Ce qui n’est pas une mince affaire pour tout esprit cartésien, tout esprit de géométrie, d’appréhender la signification du démenti dans la pratique diplomatique.
Le champ opérationnel spécifique du démenti
« Je n’ai jamais eu beaucoup de goût pour les « démentis diplomatiques », ce sont en général des aveux de culpabilité ». Qui de mieux placé que ce diplomate chevronné du XXe siècle que fut René Massigli pour nous alerter sur les inconvénients d’un démenti diplomatique ! Opposer un démenti, le plus souvent rehaussé du qualificatif de formel dans la sphère diplomatique, est un acte fort. Mais, c’est aussi une arme à double tranchant pour celui qui l’utilise. Si la pratique du démenti diplomatique peut permettre de rétablir la « vérité des faits » chère à Hannah Arendt dans des cas précis tels que le mensonge, le bobard grossier, elle peut se retourner contre celui qui le brandit tant la vérité internationale est un concept à géométrie variable dans sa dimension spatiale (« vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ») et temporelle (« La vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain »). Cette situation se complexifie à l’heure de la post-vérité, des « faits alternatifs », du complotisme, du relativisme…C’est peu dire que le maniement du démenti diplomatique n’est pas un long fleuve tranquille.
N’oublions pas le faux démenti qui permet de faire passer la pilule d’une évolution importante qui mérite un temps d’adaptation plus ou moins long pour être acceptable socialement, politiquement, diplomatiquement ! Plus il est catégorique, moins il est crédible. Sa vocation première est avant tout cathartique au sens de ce qui purifie, libère des éléments considérés comme impurs. Le démenti est souvent cousin du silence car les experts des choses du dehors savent bien qu’en langue diplomatique, les silences sont parfois aussi éloquents que les longues phrases. Les silences du diplomate sont remarqués, commentés, presque à l’égal de ses paroles. Souvenons que la diplomatie a grandi à l’ombre pendant des siècles, elle a vécu de silence et de secret, et voici qu’à l’heure présente elle ne peut plus faire un mouvement sans qu’un témoin incommode s’attache à ses pas : c’est la presse (les médias et réseaux sociaux) avec ses mille voix et sa curiosité toujours en éveil. D’où la nécessité du recours fréquent à la confirmation ou au démenti. Que découvre-t-on à la lumière de l’actualité internationale de la fin d’année 2020 ?
La démonstration du vrai faux démenti diplomatique par l’exemple
Après la théorie, passons à la pratique ! Dans la foulée des accords d’Abraham (reconnaissance de l’État d’Israël par les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc sans oublier le Soudan), tous les regards se tournent vers l’Arabie saoudite. En pleine recomposition géopolitique du Moyen-Orient autour d’un axe sunnite destiné à contrer l’influence réelle ou supposée d’un Iran en voie de nucléarisation, tout devient possible, y compris l’impossible. Sous forte pression de l’administration américaine partante (celle de Donald Trump), les principaux concernés trouvent un intérêt à opérer des révolutions conceptuelles dans l’approche des problématiques de la région. Par ailleurs, d’autres raisons intérieures les poussent à effectuer le pas décisif. Du côté saoudien, le prince MBS (aujourd’hui mis à l’index) entend effacer la mauvaise impression de l’affaire Khashoggi, de la déconvenue du dernier G20 tenu par téléconférence et non en présentiel, des problèmes économiques et sociétaux que rencontre son pays. Du côté israélien, Benyamin Netanyahou doit alors affronter l’ire de ses concitoyens en raison d’une mauvaise gestion de la pandémie, de sa politique expansionniste, des misères que lui fait son successeur Benny Gantz et le courroux de la justice qui n’entend pas lui faire de cadeaux.
En un mot, il existait une conjonction astrale favorable à une rencontre entre les deux dirigeants. Elle aurait eu lieu, le 22 novembre 2020, à Neom (mégalopole ultramoderne en construction dans le nord-est de l’Arabie saoudite) en présence du secrétaire d’État américain, Mike Pompeo. Annoncée par un site israélien, la rencontre secrète (rappelons pour mémoire que ce n’est pas la première fois que des médias israéliens font état d’un tête-à-tête entre les deux hommes), la rencontre donne lieu, dès le lendemain à un communiqué laconique du chef du gouvernement israélien se refusant à tout commentaire alors que son ministre de l’éducation saluait « un incroyable accomplissement ». Quelques heures après le scoop, le ministre saoudien des Affaires étrangères réfute toute présence israélienne à Neom et, par voie de conséquence, toute rencontre.
Pour conclure, les experts en communication soulignent que cette réaction a tout d’un démenti de pure forme, à usage interne. Chacune des deux parties est dans son rôle : les Saoudiens donnent l’impression que leur politique étrangère n’a pas changé tandis que les Israéliens préparent leur opinion à ce virage diplomatique. Laissons aux experts de la zone, le soin d’analyser cette (r)évolution ! Notons, dans un tout autre domaine et pour élargir le débat, que les autorités israéliennes ont une politique constante consistant à ni confirmer, ni démentir la possession de l’arme nucléaire. Ce qui dans le jargon stratégique américain correspond au sigle NCND (« Neither Confirm, nor Deny »). Expression comportant les deux concepts objets de notre brève réflexion : démenti et confirmation
Diplomatie : le dialogue du visible et du lisible
« Ne croyez jamais une chose en politique aussi longtemps qu’elle n’a pas été démentie » (Otto von Bismarck). Avec cette pratique du démenti officiel élevée au rang d’un art, nous sommes au cœur de la dentelle diplomatique. Un habile cocktail de démentis hypocrites mais indispensables, de silences bien orchestrés (« Les diplomates sont accoutumés à croire que leur silence, leurs réticences et leurs politesses sont du génie », A. Dry, 1906) et de fuites bien organisées donne toute sa valeur intrinsèque à cette méthode que les Béotiens ignorent, préférant s’en tenir à l’écume des jours. Dans la diplomatie, un plus un ne font pas nécessairement deux tant la réalité internationale se prête peu à la quantification objective. Cela s’appelle une science humaine avec toute la dimension subjective qu’elle comporte. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Dans le cas d’espèce, un démenti diplomatique a parfois tout d’une confirmation déguisée.