ThucyBlog n° 124 – La dette publique, un fardeau pour les générations futures ?

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Par Jacques Fontanel, le 26 avril 2021

La crise du Covid-19 a fortement ébranlé l’économie mondiale et les Etats ont été contraints à accroître leur endettement. Le Président des Etats-Unis, malgré le fort endettement public de l’économie américaine, vient de décider de nouvelles dépenses publiques (4200 milliards $) sur les 8 années à venir, avec une augmentation de l’impôt sur les sociétés (28%). Les économistes libéraux s’interrogent sur les capacités de remboursement de la dette publique et ils considèrent qu’elle constituera un lourd fardeau à dont hériteront les nouvelles générations. Cependant, la nationalité des créanciers importe. L’endettement public du Japon représente de 250% de son PIB, mais ses créanciers sont des résidents nationaux. Dans ce cas, contrairement à la France, qui dépend à 52% des marchés internationaux, ce qui est remboursé revient dans le circuit national. En France, la situation était déjà jugée inquiétante avant la pandémie (100% du PIB). La Commission Arthuis, sollicitée par le gouvernement, a présenté son rapport en mars 2021. Les conclusions présentées n’ont pas fait l’unanimité et d’autres solutions ont été proposées. 

La maîtrise de la dette selon la Commission Arthuis

En situation de crise, la relance économique keynésienne est toujours valorisée. Si l’indicateur du ratio de l’endettement public par rapport au PIB (60 %) semble devoir être considéré comme caduc, le rapport souligne trois risques importants de cette dette, à savoir la remontée éventuelle des taux d’intérêt, l’instabilité de la zone euro du fait des hétérogénéités d’endettement des Etats membres, et la difficulté de trouver de nouvelles ressources pour relancer l’économie et faire face aux enjeux de la transition écologique. La Commission reprend les règles de l’économie libérale, en refusant toute augmentation des prélèvements obligatoires, sans référence à la structure des contributions. A court terme, il est acquis que la dette publique ne peut pas baisser ; il faut cependant redéfinir les règles financières pour les pays de la zone euro et proposer une loi de programmation des finances publiques fixant des objectifs pluriannuels de dépenses de l’ensemble des administrations, en favorisant celles qui sont « favorables à la croissance économique ».

Le gouvernement a envisagé de « cantonner » la partie de la dette publique liée au Covid-19, en affectant une ressource fiscale à son remboursement. Cette solution fait écho à l’adoption par l’Allemagne d’un plan de remboursement de sa dette sur vingt ans, mais sur le fond elle ne règle pas la question de la soutenabilité de la dette publique. Pour Blanchard, face à la crise, les investissements de relance justifient la dette, en considérant les taux d’intérêt très bas proposés aujourd’hui, lesquels devraient perdurer. Avec la fin de la pandémie, l’économie nationale repartira grâce à l’accélération de la productivité permise par l’essor de l’économie digitale, ce qui accroîtra les recettes fiscales et réduira la dette. L’optimisme est donc de mise.

Ces analyses sont contestées, car les enjeux économiques dépassent la question de la crise due à la pandémie. Il s’agit aussi de préparer une autre société, moins inégalitaire et capable de s’engager dans la voie d’un développement soutenable face au réchauffement climatique.

La dette publique, une nécessité pour un développement soutenable 

La Commission ne s’interroge pas sur la question du contenu des dépenses publiques et de la structure des recettes fiscales. Qui doit payer ?  Combien ? Quid de la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales ? Et s’il y a réduction des dépenses publiques, quels postes seront concernés ?  L’aide aux entreprises de préférence au financement de l’armée, la police, la justice, des postes de dépenses a priori moins efficaces pour la croissance économique de court terme ? Si pour éviter la dette, les réductions de l’effort de l’éducation nationale ou de la santé publique sont décidées, est-ce que l’on ne sacrifie pas immédiatement l’avenir des générations futures ? Enfin, pour engager un pays vers un nouveau mode de développement économique, social et écologique, l’Etat doit intervenir car les acteurs de l’économie de marché ne se préoccupent guère du patrimoine naturel non marchand.

Pour lutter contre la dette publique, plusieurs méthodes ont été utilisées dans l’histoire, du recours à l’inflation à l’augmentation des impôts, en passant par les rééchelonnements. De fait, aucune option n’est neutre économiquement et socialement. Les finances publiques constituent un champ de bataille des luttes sociales. Plusieurs solutions alternatives ont été envisagées :

– L’Etat peut « rouler » sa dette en réempruntant en fonction de ses remboursements.  Aujourd’hui, les taux de dette souveraine sont négatifs pour la France pour les durées d’emprunt de 20 ans, et proche de zéro au-delà. Le poids de la dette reste faible. Malgré les taux d’intérêt négatifs, la hantise de la dette empêche les Etats d’investir. Pourtant, aujourd’hui, la signature de la France n’est pas menacée et il n’existe pas de seuil critique apparent d’endettement.

– La solution de la dette perpétuelle permet d’émettre une dette sans horizon temps, en vue de se protéger contre les risques de hausse des taux d’intérêt. Elle n’est jamais remboursée, seuls les intérêts annuels sont versés. Dans ce cadre, des sommes importantes pourraient être empruntées, en vue d’engager une vraie politique face au pari d’un développement soutenable. Cependant, l’UE n’est pas en capacité d’émettre des obligations perpétuelles, du fait de la division de ses membres sur les politiques à conduire. La Commission estime que la demande pour ce type de placement est trop faible ; il est préférable de retenir l’allongement des remboursements dans le temps.

– L’annulation des titres de la dette publique détenue par la Banque Centrale Européenne (BCE) permettrait de retrouver des marges de manœuvres budgétaires, à charge pour les pays d’engager des investissements d’un même montant pour la reconstruction sociétale, sociale et écologique. En effet, l’Etat est à la fois débiteur et créancier d’un actif et d’un passif, évidemment équivalent. L’endettement détenu par l’eurosystème est à l’actif de la Banque de France nationalisée. L’emprunteur Etat serait enrichi de la perte que subit l’Etat actionnaire. Cette solution constitue cependant une violation du traité européen, elle remettrait en cause la crédibilité de la BCE et de la France. La création monétaire semble pourtant déterminante pour engager la recherche-développement et les investissements nécessaires pour financer des technologies modernes, comme le font les Etats-Unis, la Chine ou le Japon, qui l’utilisent pleinement pour soutenir l’activité économique et leurs entreprises nationales.

Aujourd’hui, la dette mondiale du secteur privé productif est plus importante que celle la dette publique. Fin 2020, le FMI considérait que 40% de la dette des entreprises des huit plus grandes économies mondiales étaient exposées à un fort risque de défaut, ce qui provoquerait une onde de marée, un tsunami, sur l’économie mondiale. En décalage avec l’économie réelle, la spéculation sur les marchés financiers internationaux se développe toujours, dopée par l’afflux des liquidités. L’inquiétude porte plus sur ces dérives susceptibles de provoquer un krach mondial, lequel menace bien plus surement que la dette publique l’avenir économique et social des nouvelles générations.

Références

Jean Arthuis, Rapport de la Commission pour l’Avenir des Finances publiques, 23 mars 2021

Olivier Blanchard (2021), « L’Etat doit lancer un plan d’urgence pour éviter la catastrophe des faillites », Challenges, 9 juillet 2020

Jacques Fontanel, « La globalisation atteinte de coronavirus. Inégalités, égoïsme, ploutocratie, insécurité », ThucyBlog, 23 avril 2020

Jacques Fontanel, « Public Debt as a Political Opportunity For National Economy Pax Economica », Pax Economica, Université Grenoble-Alpes, CESICE, 2021