A propos du sort réservé aux enfants français retenus en Syrie
et de la « plainte » déposée à la Cour pénale internationale
Par Julian Fernandez et Muriel Ubeda Saillard, le 6 mai 2021
Que peut craindre le Président de la République ?
Le collectif accuse le Président de la République de crimes de guerre (8 du Statut de Rome), en raison de sa responsabilité personnelle en tant que supérieur hiérarchique (article 28 du Statut) puisqu’il serait dans ce dossier le seul décisionnaire. Ses décisions de non-rapatriement des femmes françaises et de rapatriement au cas par cas de leurs enfants seraient par conséquent la cause de leur détention illégale, sans avoir pu être jugés, dans les camps gérés par les forces militaires kurdes du « Rojava », et des traitements cruels et dégradants qu’ils y subissent. C’est toutefois sur l’ensemble d’une situation en vue d’y identifier in fine des responsabilités individuelles en cause que le Bureau du Procureur serait susceptible de se pencher. La Cour pénale internationale enquête bien in rem. Quant à la responsabilité du chef de l’Etat, en admettant que l’on mette de côté tous les obstacles liés à la compétence ou à la complémentarité de la Cour, la communication du collectif n’en reste pas moins particulièrement faible sur deux points : la gravité des actes en cause et leur imputabilité au Chef de l’Etat français.
S’agissant d’abord de la gravité, le Bureau du Procureur prend en effet bien soin, comme on l’a dit, de distinguer des actes qui pourraient être qualifiés de violations des droits de l’homme, d’actes constitutifs de crimes relevant de la compétence de la Cour. En l’occurrence, 35 enfants ont déjà été rapatriés, ce qui montre que les autorités françaises apprécient chaque situation individuelle in concreto et n’opposent pas un refus généralisé de principe. Surtout, le rapatriement ne dépend pas de la seule volonté politique des autorités françaises, mais renvoie aussi à celle de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) qui contrôle les camps et également des familles des enfants. Ainsi, les mères voire les grands-parents (paternels) étrangers peuvent s’opposer au rapatriement en France de leurs enfants, en le conditionnant notamment à leur propre retour.
Or les autorités nationales ont pris la décision politique de ne pas rapatrier les femmes djihadistes au même titre que les hommes français ayant combattu dans les rangs de Daech. Cette décision est motivée non seulement par des impératifs de sécurité nationale, dont l’Exécutif est aussi comptable, mais également par la volonté que les crimes commis soient jugés au plus près des lieux où ils se sont déroulés et des victimes, de manière à assurer une meilleure disponibilité des éléments de preuve ainsi que le sentiment que justice a été rendue. A cet égard, un certain nombre de combattants français ont déjà été jugés par les tribunaux irakiens. Evidemment, la mise en œuvre des poursuites judiciaires sur place se heurte à de grandes difficultés contextuelles.
S’agissant ensuite de l’imputabilité des actes constitutifs de crimes de guerre au Président de la République, le collectif semble postuler que l’AANES est « aux ordres » de la France et plus largement des Etats européens dont les ressortissants sont dans les camps. Si tant est qu’une telle chaine de commandement puisse être démontrée pour le retour des nationaux dans le respect des exigences élevées en matière probatoire – et il ne suffit pas évidemment d’être en contact diplomatique avec les autorités locales, il n’en demeurerait pas moins que le Chef de l’Etat ne serait pas pour autant responsable des conditions de vie dans les camps, des éventuelles situations de torture et mauvais traitements qui y sont infligés, ni de l’absence de procès au plan local. La responsabilité de protéger ne permet pas de faire fi de l’autorité d’entités étrangères sinon de la souveraineté de ses pairs et de ses corollaires – indépendance et exclusivité des compétences sur le territoire notamment.
En définitive, ce serait faire insulte au collectif d’avocats que de lui reprocher sa méconnaissance des faits en cause et du droit ici applicable. Non, Emmanuel Macron n’est pas un criminel de guerre. Simplement, à l’image d’autres communications parvenues à la Cour, et celle initiée par des « antivaccins » à l’encontre du gouvernement israélien ou celle visant l’Union européenne en raison de sa politique migratoire en sont de bons exemples, on se sert de la CPI pour faire du naming and shaming, pour disqualifier plutôt qu’argumenter. Une telle stratégie interroge dans le dossier qui nous intéresse. Elle risque en effet de ne convaincre que les convaincus et de servir de repoussoir à tous ceux qui, même sensibles au sort de jeunes français détenus sur place, jugeront excessifs pareille accusation. Et ce n’est pas rendre service à la justice pénale internationale, une aventure encore fragile, que de l’impliquer dans des situations dont on sait qu’elles ne relèvent pas de son office.
Ce billet reprend un entretien préparé à la demande du Club des Juristes et publié sur leur site internet le 20 avril dernier