ThucyBlog n° 129 – La transition au Tchad : quid de la légitimité du Conseil militaire de transition ?

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Par Danielle Mouori, le 13 mai 2021 

Le 20 avril 2021, a été annoncée officiellement la mort du Maréchal Idriss Deby Itno, président en exercice du Tchad depuis 1990 et arrivé au pouvoir par coup d’Etat. Dans le même temps, un Conseil militaire de transition (CMT) a été mis en place pour assurer la continuité de l’Etat jusqu’à ce que de nouvelles élections démocratiques soient organisées. Face à ce contexte particulier, des questionnements subsistent sur la légitimité de cette transition militaire, quand bien même un ordre constitutionnel régissait la gestion du pays en cas de vacance du pouvoir.

Le Tchad en proie à une rébellion

Depuis la série d’événements survenus le 20 avril, le Tchad fait face à une rébellion menaçant la sécurité du territoire. Le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) est l’un des groupes rebelles établit au sud de la Libye et à la frontière du Tchad, qui a considérablement progressé dans le pays avec pour objectif d’atteindre la capitale et de faire partir le Président Deby par la force. Fondé en 2016 par d’anciens officiers dissidents de l’armée tchadienne, ce groupe a profité de la période électorale pour mener une incursion dans le nord du territoire où ils ont été aux prises avec les forces nationales de défense et de sécurité.

Si le déroulement du scrutin présidentiel du 11 avril 2021 a pu se tenir dans un contexte de sérénité, les affrontements armés du week-end suivant ont entrainé la mort du Maréchal Idriss Deby parti au front auprès de ses troupes. Alors que la publication des résultats provisoires de ce scrutin le lundi 19 avril donnait le président sortant vainqueur avec près de 80% des voix, l’annonce de sa mort a été faite le lendemain par le CMT. Ce nouvel organe chargé de la gestion de la transition durant cette période de vacance du pouvoir a dans cet élan proclamé la suspension de la Constitution et par conséquent, la dissolution du Gouvernement et de l’Assemblée nationale. Composé de quinze généraux influents du régime, ce Conseil est dirigé par le fils du Président décédé, Mahamat Idriss Deby Itno.

Le cadre institutionnel de la transition 

Dans le respect des dispositions constitutionnelles, il était prévu qu’en cas de vacance du pouvoir les attributions du Président de la République soient provisoirement exercées par le président du Sénat ; qu’en cas d’empêchement de ce dernier, l’intérim soit assuré par son 1er vice-président ; et que dans tous les cas, il soit procédé à de nouvelles élections présidentielles quarante cinq jours au moins et quatre vingt dix jours au plus, après l’ouverture de la vacance (Article 82 de la Constitution). Au vu de l’absence du Sénat, cet intérim devrait être assuré par le président de l’Assemblée nationale. Mais pour des raisons de santé, ce dernier aurait décliné cette responsabilité et l’option de désigner son vice-président n’a pas été envisagée selon le protocole.

La légitimité de la mise en place du CMT porte ainsi à confusion car au détriment du respect des principes de la Constitution, un pragmatisme a plutôt été privilégié par les autorités en place pour réagir à une situation d’urgence dans laquelle la sécurité du territoire était menacée. Dans son premier discours à la Nation, Mahamat Idriss Déby Itno a justifié la création du CMT en affirmant que les hauts dignitaires des forces de défense et de sécurité « n’ont pas eu d’autre choix que d’emprunter la voie qui s’imposait à tous dans ce contexte exceptionnel d’un chaos généralisé annoncé et d’implosion du pays ».

En réalité, il s’agirait d’un coup d’Etat institutionnel témoigné par la rupture de l’ordre constitutionnel dans le pays avec un contrôle de la gestion du pouvoir par les militaires. Les membres de l’opposition et de la société civile dénoncent dans ce sens une transition militaire permettant une dévolution dynastique du pouvoir, quand bien même la continuité de l’Etat aurait pu être assurée dans les normes. Du moins, avec une transition civile sans que l’armée n’ait besoin d’être à la tête du pays pour jouer son rôle de gardien de la paix et préserver l’intégrité de la Nation.

Si une Charte a été adoptée pour encadrer cette transition, elle n’a toutefois pas permis de rassurer un grand nombre. Ses termes disposent en effet que « la durée de la Transition est de dix-huit mois. Elle peut être prorogée pour une seule fois par le Conseil National de Transition, à la majorité de ses membres » (Article 97). Si cette disposition soulève des doutes sur le délai de cette période de transition, elle n’écarte pas non plus les interrogations en ce qui concerne son encadrement.

En dehors du CMT, les principaux organes cités pour sa gestion sont le Conseil national et le Gouvernement de Transition. Le Conseil national est prévu pour « exercer la fonction législative » en guise de Parlement et devra être « composé de quatre-vingt (93) membres issus de toutes les couches représentatives (…) désignés par le président du Conseil Militaire de Transition » (Article 65). Tandis que, le Gouvernement « conduit et exécute la politique de la Nation définie par le Conseil Militaire de Transition » dont le président nomme et révoque dans les mêmes conditions le Premier ministre, qui est le chef du gouvernement (Articles 49 et 51).

Dans cette configuration où Mahamat Idriss Deby Itno s’arroge les pleins pouvoirs, des incertitudes sur l’inclusivité de cette transition suscitent déjà de nombreuses polémiques. Par ailleurs, la nomination d’un Premier ministre civil à la tête du gouvernement n’a pas suffi à apaiser les tensions au sein du pays, et pas davantage à empêcher les tchadiens de manifester massivement contre la junte.

Quel avenir pour l’après-Deby au Tchad ?

Au regard du contexte particulier dans lequel se sont déroulés les récents événements au Tchad, l’organisation de la transition par les autorités en place accorde la priorité au maintien de la paix et de la sécurité sur le territoire. Les autres aspects de la gestion de la politique intérieure du pays semblent être pour l’instant relégués au second plan, pourtant ils sont essentiels à la reconstruction du pays. En ce sens, si le CMT ne fait pas l’unanimité auprès de l’ensemble des couches représentatives de la nation, c’est parce qu’il demeure la crainte que la rébellion sur le territoire ne serve d’alibi pour masquer la continuité du régime, sinon que le pouvoir reste au sein d’une même famille.

La désignation d’Albert Pahimi Padacké comme Premier ministre ne dissipe pas cette crainte car il n’est pas une personnalité neutre. Il a en effet déjà occupé cette fonction de 2016 à 2018 dans le pays, notamment jusqu’à ce que le défunt président fasse supprimer ce poste pour concentrer entre ses mains tout le pouvoir exécutif. On se demande ainsi si à travers lui, le CMT serait capable de mettre en place un gouvernement d’union nationale où toutes les forces vives de la nation seraient représentées pour une transition réussie. Entre temps, l’éventualité d’un dialogue inclusif est déjà entrevue sans la participation des rebelles du FACT contre qui la junte mène une lutte acharnée. Le refus de négocier avec la faction a été signifié par le porte-parole du CMT en déclarant à la télévision d’Etat que « l’heure n’est ni à la médiation, ni à la négociation avec des hors-la-loi ».

Dans cette situation, les incertitudes demeurent également dans le fait de savoir si les organisations régionales seront en mesure de faire pression sur le CMT afin que la gestion de la transition ne soit laissée à l’entière discrétion des militaires. La réaction de l’UA sur l’appréciation de la situation a paru déjà timide. Aucune sanction n’a été énoncée par l’institution,  pourtant les changements anticonstitutionnels de gouvernement sont condamnés par l’article 23 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance.  Le Conseil de Paix et de Sécurité chargé de veiller à son respect a simplement déclaré dans un Communiqué qu’il « (…) exprime sa grave préoccupation concernant la création du Conseil militaire de la transition ; exhorte les forces de défense et de sécurité tchadiennes et toutes les parties prenantes nationales à respecter le mandat et l’ordre constitutionnel, à s’engager rapidement dans un processus de restauration de l’ordre constitutionnel et de transfert du pouvoir politique aux autorités civiles, conformément aux dispositions pertinentes de la Constitution de la République du Tchad, et à créer les conditions propices à une transition rapide, pacifique, constitutionnelle et sans heurts ».

Face aux manifestations populaires durement réprimées par l’armée à N’djaména le mardi 27 avril, on craint que le pays ne sombre dans une succession de violences nuisant à sa stabilité en plus de la rébellion. Une telle réalité serait néfaste aux stratégies d’endiguement de la progression djihadiste dans le Sahel où le Tchad, à travers la force conjointe G5-Sahel, a joué un rôle pivot sous le Maréchal Idriss Deby. En ce sens, si le président Emmanuel Macron a dans un premier temps témoigné son soutien au maintien à la stabilité et à l’intégrité du Tchad en se rendant aux obsèques du défunt président, il a par ailleurs tenu à préciser sa position à l’égard de la situation tchadienne suite à la violente répression survenue dans le pays. Dans une déclaration commune avec le président Felix Tshisekedi, il a affirmé en ces termes: « J’ai apporté mon soutien à la stabilité et à l’intégrité du Tchad, très clairement à Ndjamena. Je suis pour une transition pacifique, démocratique, inclusive ; je ne suis pas pour un plan de succession. Et la France ne sera jamais aux côtés de celles et ceux qui forment ce projet. ».

Une réaction exprimée après que les populations aient scandé des slogans hostiles à la France lors des manifestations contre la junte, accusant le Président français par sa présence à N’Djamena d’adouber le CMT, sans ouvertement condamner la prise du pouvoir par les militaires dans le pays.