Par Andréa Feuillâtre, le 7 octobre 2021
Le 29 juillet dernier, la Chambre de première instance de la Cour pénale internationale rendait publique sa décision d’annuler le mandat d’arrêt émis à l’encontre de Simone Ehivet Gbagbo. L’ancienne Première dame de Côte d’Ivoire était accusée de crime contre l’humanité pour meurtre, viol, persécution et autres actes inhumains. Sa responsabilité était mise en cause pour son implication dans les violences qui avaient consumé le pays une décennie plus tôt à la suite des élections présidentielles.
En 2010, l’élection d’Alassane Ouattara, contestée par le président sortant Laurent Gbagbo, avait engendré une vague de violence de la part des deux camps. Dans le cadre de ces affrontements, Simone Gbagbo aurait, en tant que co-auteure indirecte, aidé son époux à mettre en place le plan commun qui a conduit à la mort de plus de 3 000 personnes. Désignée dans la demande du Procureur comme alter ego de son mari, elle serait à l’origine de décisions étatiques sans jamais avoir été élue. En effet, des soupçons planaient sur son implication dans le déploiement d’escadrons de la mort et la planification d’attaques menées par des forces armées à l’encontre de civils pro-Ouattara.
Reléguée au second plan en raison de l’inertie de la coopération internationale, cette affaire a franchi une nouvelle étape à la suite de l’échec du dossier de l’Accusation en 2019 dans l’affaire Gbagbo et Blé Goudé. La levée du mandat d’arrêt semble annoncer la fin de l’ère Gbagbo à la CPI et ainsi soutenir les efforts de réconciliation nationale. Toutefois, cette décision pose plus de questions qu’elle n’en résout concernant la suite à donner aux poursuites pénales en Côte d’Ivoire.
Un mandat d’arrêt jamais exécuté : une affaire au statu quo
Si Laurent Gbagbo avait été arrêté par les autorités ivoiriennes puis remis à la CPI en 2011, son épouse n’a pas connu le même sort. Arrêtée le même jour, elle ne comparut jamais devant la CPI. Alors que pour l’ex-président, la Côte d’Ivoire arguait de l’incapacité de ses juridictions, elle préféra curieusement mener ses propres poursuites à l’encontre de Simone Gbagbo. Celle-ci fut ainsi condamnée, en 2016, à vingt ans de prison pour atteinte à l’autorité et à la sûreté de l’État. Or, loin de satisfaire le critère de complémentarité qui l’anime, la CPI rappela que cette condamnation n’équivaut pas à des poursuites pour crime contre l’humanité. Dans une décision du 11 décembre 2014, la Chambre préliminaire avait rejeté l’exception d’irrecevabilité de la Côte d’Ivoire estimant que les autorités nationales ne prenaient pas de mesures tangibles, concrètes et progressives pour déterminer si Simone Gbagbo était pénalement responsable du même comportement que celui allégué dans le cadre de l’affaire portée devant la Cour.
Afin de répondre aux exigences de la CPI, un nouveau procès fut organisé en 2016 pour crime contre l’humanité et crime de guerre devant la Cour d’assises d’Abidjan. Portée jusqu’en cassation, cette affaire se conclut par un acquittement tandis que les parties civiles boudèrent la procédure. La CPI s’intéressa à ces développements sans qu’une quelconque mesure ne soit prise pour réévaluer, à la lumière de ces développements, la recevabilité de l’affaire. Tout au plus, en 2018, une ordonnance fut émise par la Chambre afin que les autorités ivoiriennes fournissent à la Cour toute information pertinente qui pourrait avoir un impact sur la recevabilité de l’affaire. Cependant, cette ordonnance ne suscita aucun changement. La Côte d’Ivoire concéda à fournir au Greffe certaines pièces, mais la Chambre préliminaire ne jugea pas nécessaire de revenir sur sa position. L’ancienne Première dame était toujours recherchée par la CPI, et cela en dépit d’une amnistie prononcée par Alassane Ouattara pour sa condamnation de 2016.
Un retrait prudent : la faiblesse du dossier de l’Accusation
La Chambre de première instance s’est fondée sur l’acquittement de Laurent Gbagbo pour lever le mandat de son épouse. Les juges ont estimé que les développements intervenus en première instance et en appel dans cette affaire démontrent l’insuffisance des preuves sur lesquelles le mandat d’arrêt de Simone Gbagbo repose.
Effectivement, les mandats des deux époux s’entrelaçaient. Non seulement le Procureur avait calqué la théorie générale de l’affaire Simone Gbagbo sur celle de son mari, mais il s’était aussi appuyé sur les mêmes éléments de preuve. La Chambre préliminaire avait accepté de délivrer ledit mandat d’arrêt en reprenant les mêmes éléments contextuels et actes constitutifs des crimes contre l’humanité que ceux retenus pour Laurent Gbagbo. Or, l’ancien Président de la Côte d’Ivoire a été précisément acquitté en raison de l’insuffisance des preuves portant sur ces éléments. Le no case to answer a été prononcé parce que l’Accusation n’était ni en mesure de prouver l’existence d’une politique visant à attaquer la population civile ni de démontrer que les crimes allégués avaient été commis en application ou dans la poursuite d’une politique d’État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque.
A la suite de la confirmation de cet acquittement par la Chambre d’appel en mars dernier, le Procureur a dû se rendre à l’évidence : son dossier était trop faible pour mener l’affaire jusqu’au procès. Pour la première fois, sans tenter d’apporter de nouvelles preuves ou de modifier les charges retenues, le Bureau du Procureur a considéré qu’il était de son « devoir » de demander le retrait du mandat d’arrêt, car en cas d’exécution de celui-ci, il ne serait pas en mesure de remplir le seuil requis par le Statut de Rome.
Un espoir de réconciliation nationale : une situation politique encore fragile en Côte d’Ivoire
Si la faiblesse du dossier a motivé la décision du Procureur, le processus de réconciliation à l’œuvre en Côte d’Ivoire pourrait dans une certaine mesure l’avoir influencée. En effet, le retrait du mandat à l’encontre de Simone Gbagbo est arrivé concomitamment au retour de son mari en Côte d’Ivoire. Après dix ans d’exil, le président Alassane Ouattara s’est déclaré favorable au retour de son opposant. Cette réconciliation politique s’est scellée un mois plus tard par la rencontre « historique » des deux hommes à Abidjan.
Encouragé par la France et l’Union européenne, le gouvernement a par ailleurs mis en œuvre plusieurs initiatives pour apaiser les mémoires. Un Ministère de la réconciliation a vu le jour en 2020, tandis que des procès à l’encontre de combattants pro-Ouattara ont été tenus. Toutefois, si quelques individus sont attraits devant les tribunaux, un sentiment d’impunité demeure. La loi d’amnistie promulguée en 2018 empêche la justice de faire la lumière sur les violences qui ont succédé aux élections de 2010 et met hors d’atteinte de nombreuses personnalités. Quant au programme d’assistance du Fonds au Profit des victimes à la CPI, les années défilent et celui-ci se fait toujours attendre.
Au gré de l’agenda électoral, la Côte d’Ivoire est agitée çà et là par des actes de violence, comme en témoignent les évènements qui ont précédé au troisième mandat d’Alassane Ouattara. Ce dernier n’aurait d’ailleurs jamais été inquiété par des poursuites pénales, tandis que les époux Gbagbo n’ont pas renoncé à leurs ambitions politiques. Simone Gbagbo est aujourd’hui vice-présidente du Front Populaire Ivoirien et son époux a annoncé sa volonté de créer un nouveau parti politique qu’il a qualifié d’« instrument de lutte conforme à [l’]idéologie et [aux] ambitions » de ses soutiens. Ces évènements semblent réduire les poursuites initiées par la CPI à une parenthèse dans le cours de l’histoire.
Une stratégie de clôture : vers la fin de l’enquête en Côte d’Ivoire ?
Ouverte depuis dix ans, l’enquête en Côte d’Ivoire s’essouffle. L’affaire Simone Gbagbo était la dernière figurant au programme de poursuites du Procureur. Tout du moins la dernière ayant été rendue publique. Le retrait du mandat d’arrêt interroge sur la suite qui sera donnée à l’affaire. Les actes d’enquête concernant Simone Gbagbo sont-ils seulement suspendus ou ont-ils définitivement pris fin ? Et quid de la situation ? Cette annonce est-elle l’indice de la clôture de l’enquête en Côte d’Ivoire ou simplement de son hibernation ?
Publié en juin dernier, le document de politique générale relatif à la clôture des situations indique à ce sujet qu’une situation est considérée comme clôturée lorsque la phase d’enquête et la phase de poursuite ont pris fin. Autrement dit, l’enquête en Côte d’Ivoire s’achèvera lorsque le Bureau du Procureur aura obtenu un mandat d’arrêt ou une citation à comparaître pour toutes les affaires intégrées à sa stratégie, que ceux-ci auront tous été exécutés et que les procédures à l’encontre des suspects ou des accusés auront pris fin. Une fois son programme de poursuite épuisé, seules des activités résiduelles demeureront à sa charge jusqu’à la conclusion définitive de la situation.
Or, si le Procureur a retiré le mandat d’arrêt de Simone Gbagbo, c’est parce qu’il ne souhaitait pas se voir entraîner, sans éléments de preuves, dans une procédure onéreuse. Il n’est pas dit que tous les axes d’enquêtes ont été explorés. En outre, pour ce qui est de la situation en Côte d’ivoire, le Procureur va-t-il aussi renoncer à poursuivre les pro-Ouattara ou d’autres mandats d’arrêts marqués par le sceau de la confidentialité demeurent-ils inexécutés ? Il est encore probable que certaines affaires ne soient que suspendues dans l’attente d’un changement matériel des circonstances. Puis, encore faut-il ajouter que même s’il décidait de clôturer l’enquête, le Procureur peut, à tout moment, en raison de la résurgence de la criminalité ou de la découverte de nouveaux éléments de preuve, la rouvrir, redéfinir son programme de poursuite et solliciter la Chambre préliminaire pour un mandat d’arrêt ou une citation à comparaître. En somme, beaucoup de questions sont encore pendantes et, pour ce qui est de la fin de l’enquête en Côte d’Ivoire, rien n’est moins sûr.