ThucyBlog n° 161 – Diplomatie agressive : entre mesure et démesure… (1/2)

Crédit photo : Service de presse du Président de la Fédération de Russie (licence CCA)

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Par Guillaume Berlat, le 11 octobre 2021
Pseudonyme d’un ancien diplomate

« La diplomatie a pour mission de parer les chocs qui peuvent conduire à la discorde et à la rupture » écrivait en 1938, Gabriel Hanotaux. Ainsi va le monde évoluant entre crise et calme. Que nous apprend l’Histoire ? Plus il y a de confiance, moins il y a de différend. Plus il y a de coopération, moins il y a de confrontation. Plus il y a de concorde, moins il y a de discorde. Plus il y a de réconciliation, moins il y a de rupture. Plus il y a de doux (« soft »), moins il y a de dur (« hard »). Dans la première hypothèse, la diplomatie peut jouer son rôle de parechoc des différends, d’amortisseur des chaos. Or, tel n’est plus le cas. Avec le retour de la puissance et de la défiance, la grammaire des relations internationales au XXIe siècle subit diverses turbulences. Des concepts, que l’on pensait immuables, sont remis en cause. Au lieu d’être mise au service de la conciliation d’intérêts nationaux contradictoires, la diplomatie est utilisée au bénéfice de leur antagonisation. Certains ministres des Affaires étrangères abusent de termes tels que « adversaire », « ennemi », « concurrent » ou « rival systémique ». Un langage que certains pensaient, remisé dans les archives de l’Histoire. Nous passons d’une diplomatie apaisante à une diplomatie agressive. Comment appréhender ces deux concepts ? Relèvent-ils du registre de la synonymie ou de l’antinomie ? Sont-ils révélateurs de puissance ou d’impuissance ? La diplomatie agressive a-t-elle fait montre de sa puissance ou de son impuissance ?

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DIPLOMATIE ET AGRESSIVITÉ :
CONCEPTS SYNONYMIQUES OU ANTINOMIQUES ?

Que signifient ces deux concepts ? Relèvent-ils du registre de la synonymie ou de l’antinomie ?

Approche des deux concepts : finesse et force

La diplomatie est le fruit d’une coutume codifiée, représentant un ensemble d’usages alors que l’agressivité relève de la sphère du comportemental, désignant une violence physique ou verbale manifestée avec une intention hostile. Le premier concept est synonyme de mesure dans l’expression alors que le second relève de la démesure dans la gesticulation. Le premier tend à l’apaisement par la discussion, la recherche du compromis alors que le second se fixe pour objectif l’exacerbation des tensions par la crise, le recours à une violence verbale ou physique. Le premier tend à la persuasion par la vertu de la raison, de la logique alors que le second en appelle au registre de l’irrationnel et de l’aveuglement. Le premier croit aux vertus de la conviction alors que le second engrange sur les mérites de l’injonction. Le premier se fonde sur le respect bienveillant de l’autre alors que le second recherche l’humiliation pour amener son adversaire à céder à ses demandes. Le rôle du premier peut être assimilé à celui du pompier qui accourt avec un seau partout où le feu menace alors que le second pourrait l’être à celui du pyromane ayant une tendance naturelle à mettre de l’huile sur le feu partout où il le peut. Le premier veut la paix en y mettant le prix (temps, concessions, équanimité…) alors que le second crée les conditions de la guerre (précipitation, exigences unilatérales, agitation…) en la favorisant, persuadé de l’emporter en cas de conflit. Les concepts de diplomatie et d’agressivité semblent antonymiques tant il paraît impensable de les réconcilier, de les conjuguer harmonieusement. Stefan Zweig prétendait « qu’un vrai diplomate se met toujours avec les forts et jamais avec les faibles ». Cela signifierait que certains diplomates sauraient faire le choix de la nécessité, du réel en prenant le parti de l’agressivité contre celui de l’accommodement qui est sa raison d’être. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes avec cette dichotomie, cette approche manichéenne des problèmes internationaux qui relèverait presque de la morale (le bien et le mal), de la casuistique (le général et le particulier).

Dans la pratique, la nature de la relation entre les deux concepts est moins clivante qu’il n’y paraît.

Relation entre les deux concepts : synergie ou antagonisme ?

Nombreux sont les exemples d’utilisation d’une diplomatie agressive tant elle combine les outils de la diplomatie avec ceux de la force, ou supposée telle, qu’elle soit verbale, voire pire physique. « La diplomatie peut s’entendre comme l’art d’user avec nuance des moyens de coercition » déclarait, en 1957, Henry Kissinger ! Dans une certaine mesure, il emboitait le pas à Raymond Aron pour qui : « L’art de convaincre du diplomate et l’art de contraindre du militaire sont indissociables ». Même si les cas de ce dualisme ne sont pas légions, ils peuvent parfois être le fait d’ambassadeur. Sur Twitter, les diplomates chinois mènent une guerre contre les autorités, journalistes et experts des pays occidentaux. Histoire de les déstabiliser et de les jeter en pâture à la meute médiatique et des réseaux (a)sociaux. L’ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye, est l’un des plus virulents critiques de la diplomatie occidentale sur les réseaux sociaux. Il qualifie de « Hyène folle », de « Petite frappe », de « Troll idéologique », un chercheur français de la FRS, Antoine Bondaz pour avoir lancé un programme « Taïwan sur la sécurité et la diplomatie » au moment où le projet d’un voyage des sénateurs sur l’île était programmé, déclenchant les foudres de l’ambassade de Chine à Paris. Plus fréquentes sont les saillies de chefs d’État. Le leader nord-coréen, Kim Jong-un n’est pas avare de menaces peu diplomatiques échangées avec son homologue adepte du Tweet, Donald Trump. Son successeur, Joe Biden, pourtant connu pour sa rondeur dans l’expression, qualifie Vladimir Poutine de « tueur » à qui il va faire rendre gorge. Ce qui n’est pas dans les canons de la diplomatie traditionnelle occidentale. Quelques mois plus tôt, le président turc, Recep Tayyip Erdogan estimait que ce n’était pas l’OTAN, qui était « en état de mort cérébrale » mais l’auteur de cette saillie, Emmanuel Macron. L’homme est coutumier du fait sur les dossiers kurde, syrien, libyen, européen… ou de la Méditerranée orientale (Grèce, Chypre). Sa conception de la diplomatie est agressive même si, au cours des dernières semaines, il montrerait quelques signes d’apaisement en raison de ses problèmes intérieurs.

Diplomatie et agressivité ne sont pas toujours antagoniques mais peuvent être combinées de manière plus ou moins harmonieuse.

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