ThucyBlog n° 162 – Diplomatie agressive : entre mesure et démesure… (2/2)

Crédit photo : Gage Skidmore (licence CCA)

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Par Guillaume Berlat, le 14 octobre 2021
Pseudonyme d’un ancien diplomate

Lire le début (Partie 1/2)

DIPLOMATIE ET AGRESSIVITÉ : SIGNES DE PUISSANCE OU D’IMPUISSANCE ?

Nous assistons au développement d’une diplomatie offensive au point de conduire parfois à la rupture. Elle peut être l’apanage, la force des faibles mais aussi la faiblesse des forts. « Invectives, ces ultimatums de l’impuissance » (Emil Michel Cioran).

Diplomatie agressive : la force des faibles

La diplomatie est l’art de la politesse, chaque détail comportemental traduit le degré d’amitié ou d’hostilité entre deux pays. L’Histoire fourmille d’exemples de gestes qui ont servi de prétexte à déclarer la guerre. Le camouflet infligé par le président turc Erdogan à Ursula von der Leyen la Présidente de la Commission européenne, du 7 avril 2021 à Ankara, est de ceux-là. Désormais, entre l’Union Européenne et le pays des mahométans Ottomans, rien ne sera plus comme avant… Toutes les belles paroles et les discours lénifiants sur la coopération euro-turque n’effaceront pas le souvenir de cette audience que les historiens rapprocheront du fameux coup d’éventail du Dey d’Alger au consul de France en 1827 Alors que cette rencontre était destinée à sceller une sorte de paix froide entre les deux parties, elle contribue à créer les relents d’une guerre froide. De cette rencontre diplomatique ne restera que sa dimension, agressive, voire la volonté affichée du président turc d’humilier ses interlocuteurs/trices et l’institution qu’ils représentent. Dans la même veine, on peut classer les affronts diplomatiques infligés par l’Algérie à la France. Le pouvoir algérien éconduit une délégation française conduite par le chef du gouvernement, Jean Castex : pas assez de ministres à sa suite pour se hisser « à la hauteur » des attentes d’Alger et des enjeux bilatéraux. S’y ajoute une déclaration, à tout le moins maladroite si ce n’est provocatrice du ministre algérien du Travail et de la Sécurité sociale, Hachemi Djaâboub pour qui : « La France est un ennemi traditionnel et éternel ». La susceptibilité offre une posture commode dans le jeu des apparences diplomatiques. Quelques jours plus tard, le conseiller pour les questions mémorielles du président algérien Abdelmadjid Tebboune, affirme que la France, ancienne puissance coloniale, a propagé l’analphabétisme en Algérie. L’immigration constitue l’arme ultime des pays du sud, un atout entre les mains des faibles pour faire pression sur les puissants. Aujourd’hui, décuplée par la force des réseaux sociaux, la diplomatie agressive prend une nouvelle dimension. Elle est monnaie courante. L’invective prennent souvent le pas sur la retenue, la mesure dans la pratique des relations entre États. Elle traduit « les nouvelles formes de retour de la conflictualité dans une réalité internationale toujours plus mouvante » (Thomas Gomart). Qui pourrait le nier ? Certains dirigeants refusent de se dissimuler derrière le paravent d’un vocabulaire diplomatique désuet jugé décalé par rapport à la réalité d’un monde du basculement.

La diplomatie agressive est souvent la force des faibles qui tentent de compenser leur faiblesse par une force apparente, celle du verbe.

Diplomatie agressive : la faiblesse des forts

Quid de la diplomatie agressive pratiquée, de manière occasionnelle ou systématique, par les grandes puissances : Chine, États-Unis, Russie, voire Turquie ? Aujourd’hui, elle fait partie de la panoplie sémantique de leur e-diplomatie. Chacun, dans son registre, s’essaie à cette posture que les Anciens pratiquaient pour intimider l’adversaire avant un combat, pour le dissuader. Une sorte de dissuasion du fort au faible pour le prévenir de franchir la ligne rouge qui lui vaudra la correction méritée. Pékin pratique la diplomatie de la force vis-à-vis de l’OMS qui l’accuse de ne pas avoir coopéré avec sa mission venue s’enquérir des origines de la pandémie. La Chine sort de ses gonds lorsque Washington titille les Chinois pour la situation à Hong Kong, sur leurs visées sur Taïwan… La Russie considère clairement dans ses documents stratégiques l’OTAN comme une menace au même titre que l’OTAN. Par ailleurs, nous apprenons que les Etats-Unis et Chine « s’engagent à coopérer » au sujet du dossier crucial du changement climatique en découvrant le contenu d’un communiqué commun publié à la suite de la visite de l’émissaire américain John Kerry à Shanghai. Et cela à quelques jours du sommet organisé par Joe Biden. Le Kremlin indique qu’il allait « étudier » la proposition de sommet formulée par le président Joe Biden la veille lors d’un entretien avec Vladimir Poutine, face à la multiplication des sources de tensions. Est-créer un climat favorable à une telle rencontre par Joe Biden de traiter son homologue de « tueur », d’expulser ses diplomates pour raisons d’espionnage, de menacer Moscou à propos des « provocations » russes en Ukraine, de la situation d’Alexeï Navalny et d’évoquer l’adhésion de Kiev à l’OTAN ? N’existe-t-il pas une continuité dans les pratiques diplomatiques américaines qu’elles soient républicaines ou démocrates ? Une sorte de continuité dans le temps et dans l’espace de la diplomatie du sheriff appliquée au reste du monde. Dans un monde marqué par le retour des puissances prédatrices, certains stratèges estiment qu’il faut se préparer au conflit. « L’ombre de la guerre » chère à Raymond Aron. Dès lors, n’est-il pas incontournable de soulever certaines questions relevant de la géopolitique, de la géostratégie ? Ne sommes-nous pas conduit, par ces pratiques agressives, vers un retour d’une nouvelle Guerre froide, guerre que l’Occident pensait avoir définitivement remporté après l’éclatement de l’Union soviétique ? N’assistons-nous pas « à un grand retour des nationalismes qui s’accompagne d’une certaine désinhibition quant à l’emploi de la force » ? (Marc Semo).

Cette diplomatie de l’excès ne constitue pas un gage d’efficacité au vu des objectifs poursuivis.

DIPLOMATIE ET AGRESSIVITÉ : PREUVE D’EFFICACITÉ OU D’INEFFICACITÉ ?

S’interroger sur les modalités de la diplomatie agressive revient à s’interroger sur son efficacité ou son inefficacité. Ainsi, faut-il faire la part des choses entre paroles suivies d’actes et autres.

Diplomatie agressive : les paroles et les actes

La diplomatie agressive n’a d’intérêt que dans sa capacité à dissuader son partenaire/opposant de faire ou de ne pas faire. Pour parvenir à ce but, elle doit accepter de mettre en adéquation paroles et actes. Tant du point de vue de l’éventuel recours à la force que de la poursuite de la pratique multilatérale dans le cadre des institutions existantes. À titre d’exemple, la Chine entend « jouer un rôle plus proactif et de promouvoir sa vision du monde et du multilatéralisme » au sein de l’ONU qui se traduit notamment par son engagement en faveur du maintien de la paix ». Cette démarche représente également pour Pékin « un véhicule pour promouvoir [sa vision] d’un multilatéralisme strictement interétatique, du respect de la souveraineté et de non-ingérence ». Ce faisant, la Chine table sur l’effondrement de l’Occident et sa propre montée en puissance qui la conduit à manier de front diplomatie traditionnelle et diplomatie agressive. Aux yeux de certains, « l’agressivité croissante du discours chinois paraît insultante ». Jamais, la diplomatie du président turc ne s’était montrée aussi agressive sur tous les terrains de sa politique étrangère : Syrie, Libye, Arménie. Vladimir Poutine n’est pas en reste sur le dossier ukrainien, pratiquant une diplomatie des extrêmes pour tester les réactions de Kiev et des Occidentaux (États-Unis, OTAN, Allemagne, France…). À titre d’exemple, Moscou annonce, le 16 avril 2021, « suspendre » pendant six mois, du 24 avril au 31 octobre, « le passage à travers les eaux territoriales de la fédération de Russie pour les navires militaires et autres bâtiments étatiques ». Joe Biden manie souvent le verbe provocateur mais sait, quelques jours après, proposer à son homologue invectivé de revenir discuter autour du tapis vert à Genève. La Russie fait ressurgir quelques pseudo-affaires d’espionnage comme au bon vieux temps de la Guerre froide, surtout avec ses anciens alliés du Pacte de Varsovie, provoquant l’ire de ces derniers. In fine, l’on peut/doit reconnaitre un minimum d’efficacité spatio-temporelle à cette forme de diplomatie agressive pour autant qu’elle soit un moyen et non la fin d’une politique étrangère articulée.

La diplomatie agressive présente des inconvénients pour celui qui n’en possède pas tous les codes. Elle peut se retourner contre l’inconscient qui peut en subir de fâcheuses conséquences.

Diplomatie agressive : les paroles sans les actes

L’utilisation de la diplomatie agressive peut tourner au fiasco faute de cohérence conceptuelle entre paroles et actes. Une menace non suivie d’effet est ce qui peut arriver de pire en termes diplomatiques. Démosthène souligne que : « Les ambassadeurs ne disposent ni de vaisseaux de guerre, ni d’infanterie lourde, ni de citadelles ; la parole et le temps sont toutes leurs armes ». La littérature diplomatique est riche d’enseignements sur le sujet. Talleyrand écrivait : « L’encre des diplomates s’efface vite, quand on ne répand pas par-dessus de la poudre à canon ». Il pénètre ainsi au cœur du sujet de la relation entre le diplomate et le militaire, de la frontière entre paix (apanage du premier) et guerre (apanage du second). Le chancelier Bismarck poursuit sur cette lancée : « la diplomatie sans les armes, c’est la musique sans les instruments ». Se situant dans le registre de l’humour grinçant, le général de Gaulle résume ainsi la problématique : « Pour un militaire, céder à un pays étranger, c’est trahir. Pour un diplomate, c’est faire une bonne manière à un collègue ». Que vaut une diplomatie qui s’appuie sur des baïonnettes émoussées surtout si elle prend les atours de l’agressivité ? Car « l’art de convaincre du diplomate et l’art de contraindre du militaire sont indissociables » (Raymond Aron) si conviction et contrainte se conjuguent harmonieusement. La pratique de la diplomatie agressive, déclaratoire discrédite celui qui en est l’auteur. Elle démontre le décalage entre objectifs et moyens, entre volonté et velléité. Souvenons-nous des fameuses « lignes rouges » édictées par Barack Obama en cas d’utilisation alléguée ou avérées d’armes chimiques par le régime syrien de Bachar al-Assad ? N’avait-il pas parlé trop vite avant de lancer de tels avertissements aux allures guerrières ? Résultat, les États-Unis voient leur parole diplomatique démonétisée au Proche et au Moyen-Orient. Dans le même temps, la Russie, qui tient ses promesses vis-à-vis du régime syrien, voit son rôle dans la région reconnu et son crédit augmenter d’autant. Comment inspirer la confiance en sanctionnant Moscou tout en prônant la désescalade comme le fait le président américain ? Sa marge de manœuvre – entre fermeté et provocation – avec Xi Jinping est étroite. Surtout s’il veut éviter la création d’une Sainte Alliance Moscou-Pékin ! Le rôle de « gendarme du monde » ne met pas à l’abri de folles embardées (Cf. les récentes évolutions de la crise afghane). Gardons à l’esprit les mises en garde lancées par l’Union européenne à la Chine qui restent, aujourd’hui encore, lettres mortes !

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LA PLUME ET L’ÉPÉE OU L’ÉLOGE DE LA MESURE

En cette période de basculement du monde amplifiée par la pandémie et l’entrée dans l’ère des mégafeux, « la susceptibilité offre une posture commode dans le jeu des apparences diplomatiques ». Talleyrand nous rappelle que tout ce qui est excessif est insignifiant. Le succès de la diplomatie agressive repose sur une conjonction de facteurs : cohérence dans le temps, l’espace, adéquation entre fins de moyens et respect d’un minimum de formalisme diplomatique. Washington ne peut se contenter d’affûter sa stratégie vis-à-vis de Pékin. Encore faut-il que les États-Unis définissent une stratégie pérenne qui vaille par bon et mauvais temps et non variable en fonction des nécessités du moment au risque de retrouver dans le piège chinois. C’est toute la différence entre stratégie (long terme) et tactique (court terme). Il est inutile, voire contreproductif de se livrer à un exercice de diplomatie théâtrale comme ce fut le cas en Alaska (18 mars 2021) par la délégation américaine lors de la rencontre Blinken-Yang Jiechi. Pékin possède le sens de la stratégie, de l’Histoire et du long terme. Sans tomber dans le piège du consentement à l’humiliation, il est hasardeux de se laisser piéger par son orgueil. La diplomatie est considérée comme l’art de contenir la force ! Devenue agressive, voire explosive, elle ne peut remplir ce rôle, les erreurs diplomatiques pouvant avoir des effets aussi désastreux que les erreurs militaires. Très souvent, le chaos est résultat d’une diplomatie insuffisante. En matière de diplomatie agressive, une conclusion s’impose : la voie est étroite entre mesure et démesure.