Par Kevan Gafaïti, le 18 octobre 2021
Alors que les États-Unis lèvent l’ost dans leur confrontation avec la Chine, cette dernière cherche à renforcer son implantation à travers le monde. Le Moyen-Orient, comme à sa triste habitude, est le théâtre de confrontation par procuration des influences des hyperpuissances. Les relations internationales ayant horreur du vide, la Chine réinvestit les espaces stratégiques dont les États-Unis se retirent progressivement. Ainsi, le golfe Persique est inclus dans le projet de nouvelle route de la soie. L’Iran a vu en la Chine un potentiel partenaire pour s’extirper de son isolement imposé par l’aigle américain, et de son côté la Chine assied astucieusement son implantation économique dans un pays en quête d’échanges commerciaux. Le Grand Jeu moyen-oriental opère.
La nouvelle route de la soie à travers le Moyen-Orient
Avec son projet de nouvelle route de la soie, ou « Initiative ceinture et route », la Chine avance à pas feutrés au Moyen-Orient et notamment dans le golfe Persique. Ce projet consiste en l’établissement d’un réseau de voies maritimes et ferroviaires s’étendant de la Chine jusqu’à l’Europe occidentale. Outre la création ou l’amélioration d’infrastructures de transport, cette route annoncée en 2013 s’accompagne de très grands investissements chinois dans les pays impliqués.
Malgré la rareté des communications et documents officiels chinois sur ce projet, la liste des États membres partenaires de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures démontre l’implantation de la Chine dans la région. Cette banque a pour objet d’organiser financièrement la nouvelle route de la soie. En 2021, tous les pays riverains du golfe Persique font partie de cette banque, sauf l’Iraq et le Yémen. En réunissant l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, l’Iran, Oman et le Qatar dans son projet, la Chine révèle la large étendue de son projet, autant que sa vision non clivante. La Chine intègre dans sa nouvelle route de la soie des États qui se retrouvent parfois en compétition dans la dernière crise du détroit d’Ormuz. L’interconnexion des flux de mouvements marchands dans le golfe Persique pourrait donc être modifié à l’avenir par le projet chinois.
Le caractère global et dénué de toute logique partisane semble d’autant plus visible à l’échelle de la région moyen-orientale : font partie de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures l’Afghanistan, l’Égypte, Israël, la Jordanie et la Turquie. La réunion d’autant d’États aux intérêts et politiques divergents prouve l’engouement suscité auprès de ces États, prêts à faire partie d’un projet économique mondial autant que l’attractivité du projet chinois. Et malgré le contrecoup causé par la pandémie de Covid-19, l’actualité de l’implantation chinoise dans le golfe Persique et en Iran apparaît toujours aussi vivace. Au cœur de la crise du détroit d’Ormuz de 2018, le ministre iranien des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif se rend en Chine pour rencontrer son homologue Wang Yi. Cette rencontre vient rappeler le partenariat stratégique global unissant les deux pays, et l’importance que la Chine voit dans la participation iranienne à la nouvelle route de la soie.
Outre son projet de nouvelle route de la soie, la Chine dispose déjà d’une infrastructure portuaire à quelques centaines de kilomètres à peine du détroit d’Ormuz. Le port pakistanais de Gwadar est massivement investi par la Chine et se trouve proche de l’embouchure du golfe Persique. De là, la Chine peut gérer ses importations pétrolières en provenance du golfe Persique autant qu’elle peut naturellement se placer comme partenaire commercial incontournable dans la région. Le rôle premier du port de Gwadar permet à la Chine de stimuler le développement de ses provinces intérieures, moins compétitives que les zones économiques spéciales de son littoral. Ce corridor Chine-Pakistan aboutit à Gwadar et lui permet d’irriguer en hydrocarbure et en énergie ses provinces enclavées, en particulier celle du Xinjiang. L’importance de ce port est donc capitale pour la Chine et dépend des importations énergétiques venant des pays riverains du golfe Persique. Son implantation dans le port de Gwadar a aussi un versant militaire, puisque la Chine a conclu un accord avec le Pakistan pour y placer une base militaire pour les dizaines d’années à venir. La Chine tisse ainsi son influence dans le Moyen-Orient et plus précisément dans le golfe Persique. Le maillage de ses implantations fortifie sa présence et elle mise notamment sur l’Iran pour parvenir à ses fins.
L’Iran, futur joyau du collier de perles chinois ?
La Chine perçoit l’Iran comme un partenaire-clé dans la région du golfe Persique, et donc du Moyen-Orient. De là, la Chine cherche depuis des années à lier des contacts économiques profonds et solides avec l’Iran. Sur les 464,5 millions de tonnes de pétrole brut qu’elle consomme en 2018, la Chine en importe 203,1 millions du Moyen-Orient, dont la majeure partie provenant du golfe Persique. La Chine a besoin du golfe Persique pour près de la moitié de sa consommation de pétrole, et donc besoin d’un partenaire économique stable dans la région.
Pour ce faire, elle approfondit depuis des années sa coopération économique avec l’Iran, notamment depuis la signature du JCPOA de 2015. Ainsi, si Gwadar est l’un des points principaux du maillage portuaire filé par la Chine dans l’océan Indien (appelé « stratégie du collier de perles »), il apparaît que l’Iran est en passe de devenir le joyau du collier de perles chinois, à l’image de l’Inde, ancien « joyau de la Couronne » britannique. Avec le partenariat économique que la Chine ne cesse d’élargir, même pendant la crise du détroit d’Ormuz de 2018, sa sécurisation de son approvisionnement énergétique en provenance du Moyen-Orient n’est que plus forte. Dès la signature du JCPOA, la Chine remporte des marchés publics en Iran pour rénover le métro de Téhéran, ses infrastructures ferroviaires et ses ports. Elle récupère même les parts de l’entreprise française Total dans le plus grand champ gazier au monde, South Pars, après le retrait de la compagnie française suite à la ré-instauration des sanctions américaines.
Plus directement dans le golfe Persique, la Chine n’hésite pas à investir massivement dans les terminaux pétroliers. Par exemple, dès juin 2016, l’Iran annonce la signature d’un contrat entre deux sociétés iranienne et chinoise pour la construction de réservoirs pétroliers sur l’île de Qeshm, à hauteur de 550 millions de dollars. Il s’agit de la plus grande île du golfe Persique et qui se trouve dans le détroit d’Ormuz. La Chine profite du statut de zone franche de l’île iranienne pour y renforcer sa présence. En janvier 2017, la Chine poursuit sa percée dans le golfe Persique et conclut un autre contrat avec l’Iran, concernant cette fois la ville d’Âbâdân, à la frontière iraquienne. Le vice-ministre iranien du pétrole annonce la signature d’un contrat de trois milliards de dollars avec le groupe pétrolier chinois Sinopec pour la modernisation des raffineries iraniennes de pétrole. La Chine fait fi des sanctions américaines qui prohibent tout investissement de plus de 20 millions de dollars dans les infrastructures pétrolières iraniennes. L’Iran peut ainsi moderniser ses complexes pétroliers et potentiellement augmenter sa production alors que la Chine se place comme son seul partenaire crédible afin de contourner les sanctions américaines.