ThucyBlog n° 164 – L’Iran dans la stratégie moyen-orientale de la Chine (2/2)

Crédit photo : Iranian Army office / AFP (usage éditorial exclusivement)

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Par Kevan Gafaïti, le 21 octobre 2021

Lire le début (Partie 1/2)

Cette stratégie chinoise en Iran n’a rien de conjoncturel et s’aligne avec un constat flagrant, renforcé dans la crise du détroit d’Ormuz : la Chine est un partenaire économique vital pour l’Iran du fait de son isolement, en étant son premier exportateur de biens et un de ses principaux importateurs de pétrole. La Chine voit donc l’Iran comme un partenaire économique de long terme. 

Un partenariat stratégique global

Ce partenariat stratégique global se concrétise durant la crise du détroit d’Ormuz de 2018. Le 27 mars 2021, le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi rencontre son homologue iranien à Téhéran et les deux signent un accord de coopération stratégique et commerciale, baptisé « Lion-Dragon Deal ». L’Iran déclare qu’il s’agit d’une feuille de route complète, négociée depuis des années, avec des volets tant politiques, stratégiques et économiques étalées sur une période de 25 ans. Bien que le contenu de l’accord ne soit pas rendu public au moment de sa publication, la déclaration commune aux deux États évoquent un partenariat économique majeur bénéfique aux deux parties. Une ébauche de l’accord fuite toutefois et évoque un montant global de 400 milliards de dollars d’échanges économiques à l’issue des 25 années prévues. Le gigantisme de cet accord annoncé en grande pompe laisse place à l’idée selon laquelle la coopération irano-chinoise devrait s’approfondir dans les prochaines années et probablement même après cet accord.

Devant un Iran éreinté sur le plan économique et isolé par les États-Unis durant la crise de 2018, la Chine parvient intelligemment à se rapprocher de l’Iran. La Chine se présente comme la seule option viable et nécessaire à l’Iran, d’où la signature de cet accord qui prévoit des livraisons de pétrole iranien à un prix extrêmement avantageux et non corrélé aux cours mondiaux.

Si l’Iran semble devenir le joyau de la stratégie moyen-orientale de la Chine, cette dernière poursuit une stratégie de partenariats variés et ne cherche pas à se lier les mains avec un seul État. Elle n’hésite pas à conclure des contrats dans le cadre de la nouvelle route de la soie avec les États arabes riverains du golfe Persique, à hauteur d’environ 100 milliards de dollars. Pis encore, elle est en juin 2020 le plus grand importateur de pétrole saoudien au monde.

La Chine avance donc de manière discrète mais efficace au Moyen-Orient. Elle noue de solides attaches économiques en Iran mais ne s’y limite pas et traite avec les autres riverains du golfe Persique. Le principal objectif chinois dans la région apparaît alors nettement : sécuriser les points stratégiques dans sa chaîne d’approvisionnement, à savoir les détroits d’Ormuz mais aussi de Bab-el-Mandeb, au sud du Yémen. Ce but explique ainsi le renforcement militaire de la Chine dans la région, à l’image de l’ouverture de sa base militaire navale à Djibouti, première de ce genre en dehors de ses frontières nationales.

Des plaques tectoniques en mouvement au Moyen-Orient

Face à la prise de conscience américaine de l’enlisement dans de trop nombreux théâtres d’opération au Moyen-Orient, la Chine observe et se place de manière minutieuse comme nouveau partenaire stratégique des États de la région. Alors que la Russie cherche à réinvestir les espaces laissés vides par les États-Unis, la Syrie pour n’en citer qu’un, la Chine entretient des relations fournies avec tous les acteurs sans parti pris ou prétention de se poser comme médiateur. Qu’il s’agisse de la crise du détroit d’Ormuz de 2018 ou de la crise du Conseil de coopération du Golfe de 2017, rien ne laisse transparaître de quelconques bons offices chinois entre les différentes parties.

Néanmoins, les États-Unis restent lucides et identifient une avancée masquée de leur rivale. L’ancien Président Donald Trump avait par exemple mis en garde, lors de l’affaire Khashoggi, qu’une éventuelle annulation des contrats d’armement avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis serait une erreur stratégique. Une telle décision aurait potentiellement pu faire balancer les deux alliés traditionnels des États-Unis vers le pôle sino-russe pour obtenir d’autres fournisseurs d’armements plus conciliants. La suspension momentanée de contrats d’armement par l’actuel Président américain Joe Biden s’analyse ainsi plus comme un effet de manche que comme une volonté sincère de redéfinir la relation avec les pétromonarchies.

Depuis l’isolement international imposé par la guerre Iran-Iraq et prolongé par l’embargo américain sur les armes, l’Iran se retrouve aussi dans le giron chinois pour acquérir de nouvelles technologies et matériels militaires. Dès sa guerre imposée de 1980, l’Iran acquiert, utilise et modernise les missiles chinois Ver de soie, qui deviennent une constante dans les conflits du golfe Persique. Sur la période 1981-2019, la Chine est le second fournisseur d’armement conventionnel de l’Iran, malgré les tentatives américaines de blocage de transferts technologiques. Les avancées iraniennes en matière balistique doivent ainsi beaucoup à la Chine, qui lui permettent de mener à bien sa doctrine basée sur la dissuasion et la fermeture du détroit d’Ormuz.

Ce soutien chinois se formalise une nouvelle fois le 23 janvier 2016 lorsque le Président chinois Xi Jinping se rend à Téhéran, constituant ainsi la première visite d’un dirigeant étranger depuis la signature du JCPOA, et déclare que les relations avec l’Iran s’élèvent au niveau de partenariat stratégique global. Ce titre de partenariat est le plus élevé de la hiérarchie des collaborations que la diplomatie chinoise établit et officialise le statut majeur que la Chine estime revenir à l’Iran dans le Moyen-Orient. La publication de ce partenariat stratégique global couvre de nombreux aspects de leur relation. Le partenariat prévoit des rencontres diplomatiques annuelles, des accords de principe sur le plan économique et l’assurance d’un soutien réciproque sur les thématiques touchant à leurs « intérêts fondamentaux ». Cependant, cet accord n’a pas eu d’impact visible et concret durant la crise du détroit d’Ormuz et lors de l’escalade des tensions avec l’administration Trump. Il en ressort les limites pratiques de l’annonce de ce partenariat qui ne s’est pas encore révélé réellement utile à l’Iran lorsqu’il aurait pu tirer bénéfice d’un soutien chinois.

L’Iran participe également aux initiatives multilatérales de la Chine, en premier lieu l’Organisation de coopération de Shanghai. Par l’intermédiaire de la Chine et de la Russie, l’Iran parvient à s’extirper de son isolement diplomatique en rejoignant comme pays observateur l’initiative chinoise depuis juin 2005. Devenu membre depuis le 17 septembre dernier, l’Iran affiche une autre réussite de sa stratégie visant à chercher de nouveaux partenaires économiques. Les plaques tectoniques du paysage international sont en plein mouvement, et le golfe Persique n’y échappe pas.