ThucyBlog n° 94 – Comment nous souviendrons-nous de l’élection de 2020 ?

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Par Jean-Eric Branaa, le 11 janvier 2021
Chercheur au Centre Thucydide, maître de conférences à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Finalement, un nouveau chapitre a été écrit avec l’élection présidentielle 2020. De l’avis général, son déroulement était redouté, tant les signes annonciateurs étaient inquiétants. Les médias les plus catastrophistes avaient prévu un déraillement du système ; il avait même été question de guerre civile, d’aucun parlant de pillages, de destructions et même de morts ! A posteriori, le jugement le plus souvent porté par les observateurs n’est pas bien meilleur : certains y voient avec pessimisme l’écroulement de la fonction présidentielle, qui sortirait abîmée par le négationnisme borné d’un président qui a cherché à se maintenir au pouvoir à tout prix. Il a ainsi multiplié les recours et les plaintes, en s’appuyant sur des accusations de fraudes massives. Selon lui, ces falsifications ou tricheries auraient été organisées par une vaste et nébuleuse organisation dont il croit même distinguer des ramifications à l‘étranger et à laquelle seraient associés les élus des États ou fédéraux, y compris républicains, les juges, les fonctionnaires, les financiers et tous ceux qui ont un peu de pouvoir dans le pays. Il y aurait un « état profond » qui n’a pas cessé de vouloir sa perte depuis le premier jour de son mandat.

Les plus optimistes, pourtant, rappellent que le recours est de droit dans une élection et que cette possibilité donnée à chaque candidat est l’assurance qu’il n’y a pas de corruption du système électoral et doit nous rassurer. Bien sûr, Donald Trump a un peu abusé de ce droit, multipliant les recours, essuyant plus de soixante déboutements en justice, en première instance comme en appel, au niveau des États comme des Cours fédérales, après avoir été rabroué par les commissions électorales, échouant à obtenir satisfaction après les comptes, recomptes ou audits. Certes, l’impression qui en est sortie n’est pas apaisante et il n’y a rien de glorieux dans les coups de butoirs assénés de façon ainsi répétés, dans le fol espoir que l’édifice allait finir par céder. Mais justement : il n’a pas cédé ! 

Le monde politique malmené

Pourtant, beaucoup ont cru que le pays allait sombrer dans l’irréparable. Tout a commencé au mois de mars, lorsque Donald Trump a entrepris de jouer la petite musique du rejet du vote par correspondance. Mal compris au départ, il a poursuivi ainsi, alors que la pandémie gagnait du terrain et que les plus avisés pensaient qu’on avait juste affaire à l’affirmation d’un positionnement dans le dossier sanitaire. Juste un point de plus, donc, qui s’ajoutait à un refus du masque ou du confinement, ou de toutes les mesures sanitaires proposées et aussitôt repoussées par les républicains au nom de leur liberté de choix ou de circuler et de leur refus de voir le gouvernement fédéral intervenir trop profondément dans les vies des Américains.

Mais ce n’était pas la bonne analyse. Donald Trump avait une vue à plus long terme, qui n’a été réellement comprise que le 3 novembre à 20h. Passé ce délai, il a extirpé un nouvel élément, baptisé « les votes illégaux », par lesquels il a désigné tous les bulletins arrivés ou ajoutés au total après cette extrémité, qui était irrévocablement celle du vote « légal », selon lui et son équipe juridique. Peu importe que l’interdiction de commencer à compter les bulletins par correspondance avant cette limite, qui a été retenue dans certains États, ait été repoussée dans certains autres, par la volonté des élus républicains et sous l’impulsion de leur candidat : leur seule et unique conclusion est qu’ils devaient désormais être écartés.

Car en arrêtant le décompte au soir du scrutin à 20h, Donald Trump était reconduit pour un second mandat ! CQFD. S’arrêtant à ce constat et refusant avec obstination toute autre hypothèse, le président battu s’est lancé dans une bataille de contestation, la plus folle qu’il est possible d’imaginer, alors que le décompte se poursuivait. Il révélait alors sa défaite, de plus en plus cuisante, tant dans le vote populaire, où il était sèchement défait par plus de sept millions de voix, que dans le collège électoral, où il perdait ironiquement exactement sur le score par lequel il avait battu Hillary Clinton quatre ans plus tôt, et qu’il avait qualifié lui-même de « déroute pour la démocrate ».

Une Constitution à la solidité éprouvée

La seule leçon que nous pouvons retenir de la séquence étonnante que nous venons de vivre est que les Pères fondateurs ont fait un travail admirable. Combien de fois n’a-t-il pas été répété dans les amphithéâtres des universités que les États-Unis n’ont jamais changé leur constitution ? Quel professeur n’a pas mis l’accent sur la solidité de ce texte, bien que très bref – à peine 7 000 mots, qui régit tout à la fois la vie des Américains, les relations entre eux, la forme et la profondeur de leurs institutions ? Les enseignants en droit, en politique, en histoire, en philosophie, entre autres, insistent souvent sur l’apport de Montesquieu ou Locke, qui en créant un système vertueux de contrôles et de contre-pouvoirs, ont contribué au renforcement de cette voute visiblement indestructible qui maintient les Américains dans un même ensemble : une nation.

Donald Trump n’aura pas eu raison de la nation Américaine. La Cour suprême lui a opposé une fin de non-recevoir, à l’unanimité et avec la plus grande brièveté qui lui était possible, par une seule et unique phrase, presque dédaigneuse, affirmant qu’il n’y avait aucun motif de recours ; le Congrès est certes tout d’abord resté silencieux, du moins pendant le temps des chicaneries. Mais le leader des républicains au Sénat a douché tous les derniers espoirs du président-sortant dès que le vote du collège électoral a rendu officiel le résultat à l’échelon fédéral. Donald Trump a encore tenté de forcer la main des élus, en les invitant à contester à leur tour le vote populaire ou celui des États et d’appliquer une disposition constitutionnelle qui existe réellement : en contestant les résultats, les parlementaires peuvent inverser le choix du peuple, par le recours à la règle d’un vote d’une voix par État. Cela ferait alors de Donald Trump à nouveau le président. Cette règle a été appliquée pour John Adams en 1800, ou pour son petit-fils en 1824. Mais cette tentative est mort-née : Mitch McConnell, le leader des républicains au Sénat, a sifflé la fin de la partie, qualifiant ceux qui s’engageaient sur une telle voix de « dingues ». La Chambre certifiera le résultat parce que sa majorité est démocrate. Mitch McConnell s’assurera que le Sénat ne fera pas autrement.

« L’après »

Cette page malheureuse sera très vite tournée. Les historiens lui feront le sort qu’elle mérite. On retient de ce mandat que l’Amérique en sort à genoux, épuisée par ses divisions et des luttes intestines qui ne peuvent pas permettre d’aborder avec sérénité les trois crises –économique, sanitaire et sociale– que la nouvelle administration doit affronter et que l’Amérique toute entière doit dépasser.

Les nominations du nouveau président peuvent cependant rassurer : il met en place une équipe brillante, diverse, éprouvée et pionnière, qui sera prête dès le premier jour avec une réponse nationale unifiée, fondée sur la science et l’équité. La grande connaissance des dossiers économiques de Janet Yellen et de toutes celles et ceux qui l’aideront dans sa tâche devrait permettre au pays et à ses entreprises de relever la tête très vite. Sa volonté de dépolitiser la pandémie a déjà des effets dans un pays meurtri par plus de 300 000 morts : de nombreux gouverneurs républicains, qui répétaient les messages négationnistes de Donald Trump, ont désormais changé de registre. Il faudra aussi, très vite, apporter une réponse aux millions d’Américains qui ont perdu leur assurance-santé et vivent dans l’angoisse du lendemain pour eux et leur famille. Les messages envoyés à l’international, avec l’équipe en charge de la sécurité nationale et des affaires étrangères extrêmement qualifiée, rassure sur la capacité à intervenir dans les grands dossiers du monde, à affronter dès le premier jour la menace existentielle du changement climatique et envoie un message simple à toute la planète : l’Amérique est de retour.