ThucyBlog n° 96 – Donald Trump, la maîtrise des armements et le désarmement, entre désengagement, effets d’annonce et impasse – 2016-2020 (1/2)

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Par Abdelwahab Biad, le 18 janvier 2021
Maître de Conférences (HDR) à l’Université de Rouen Normandie où il enseigne le droit international et les relations internationales

Le mandat de Donald Trump ne va pas rester dans les annales de l’histoire de la maîtrise des armements et du désarmement : aucun progrès enregistré dans les négociations et à fortiori aucun nouvel accord que le Président républicain aurait pu faire valoir dans son bilan. Au contraire, c’est une série de désengagement sur fond de tensions avec l’Iran, la Corée du Nord, la Russie, la Chine et les alliés européens. Si la présidence Trump n’est pas à l’origine de la crise de la maîtrise des armements et du désarmement amorcée depuis plus de deux décennies, elle l’a accentuée par des décisions unilatérales de retrait de plusieurs instruments. De l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien au traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) et à celui dit « Ciel ouvert » sans oublier le refus de proroger New START, les exemples sont édifiants. À ce désengagement s’ajoutent l’annulation de la signature américaine du traité sur le commerce des armes annoncée par Trump à l’occasion de la Convention annuelle de la National Riffle Association (août 2019) ainsi qu’une « fuite » relayée par le Washington Post (23 mai 2020) faisant état de son intention de reprendre les essais nucléaires en renonçant au moratoire en vigueur depuis 1992.

Au fond, c’est la volonté de se libérer des contraintes qu’impose l’architecture des accords de maîtrise des armements, de désarmement et de non-prolifération jugée « défectueuse ». Pour Donald Trump, il s’agit de se retirer de tous les accords « qui ne seraient pas respectés » et même de ceux qui respectés pourraient entraver les programmes de modernisation ou compromettre la prééminence stratégique des États-Unis. Mais, ce qui caractérise aussi l’administration Trump c’est la défiance à l’égard de la Chine qui au-delà de la guerre commerciale incarne désormais l’adversaire stratégique de l’Amérique.

Rebattre les cartes et le tropisme anti-chinois de Trump 

La publication du Nuclear Posture Review de 2018 pour une « dissuasion moderne, robuste, flexible, résiliente » pour dissuader les menaces du 21ème siècle contre les États-Unis et ses alliés donne le ton. La NPR version Trump tranche avec celle de son prédécesseur (Obama 2010). Ce qui est nouveau est la focalisation sur les nouvelles menaces du 21ème siècle représentées par la Chine et la Corée du Nord, même si le basculement vers la pivot Asie-Pacifique avait été amorcé sous la présidence Obama. C’est la marque d’une rupture avec la pratique passé qui s’en prenait à la Russie pour son arsenal militaire, et à la Chine pour son commerce, mais désormais la seconde figure au titre des deux paramètres. Conscient d’une montée en puissance de la Chine sur le plan militaire, l’administration Trump a entrepris de rebattre les cartes sur le terrain de la maîtrise des armements et du désarmement. La question chinoise sert même d’argument pour justifier l’abandon de l’accord sur les forces nucléaires à moyenne portée et du traité « Ciel ouvert ».

L’abandon des traités sur les FNI et « Ciel ouvert » : les Européens concernés

L’administration Trump a décidé de se retirer de traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) en vigueur depuis 1987 entre les États-Unis et la Russie et qui avait permis le retrait et l’élimination d’environ 3000 missiles d’une portée de 500 à 5 500 km stationnés en Europe. La décision de retrait annoncée en février 2019 et effective en août 2019 (compte-tenu du préavis de six mois) fut prise au motif que la Russie ne respectait pas les dispositions de l’accord en développant de nouveaux systèmes de missiles de croisière. Moscou annonçait aussitôt la suspension de ses obligations au titre du traité FNI, consciente que le retrait américain pourrait en définitive faciliter son propre effort de modernisation. Outre l’argument des présumées manquements de la Russie, l’accord FNI était en effet menacé à termes par les progrès technologiques rendant plus floue la distinction entre armes nucléaires stratégiques, de moyenne portée et tactiques ainsi que par l’évolution découlant de la montée en capacité balistique des puissances émergentes.

Les pays Européens qui accueillent sur leur territoire des armes nucléaires américaines (Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas, Turquie) dans le cadre du Pacte atlantique s’interrogent sur les plans américains de l’après-FNI, l’administration Trump n’ayant pas été claire sur la question de nouveaux déploiements de missiles en Europe. L’Allemagne souhaitait un délai supplémentaire pour donner une chance à la négociation sur la question des armes nucléaires de moyenne et courte portée, mais le contexte dégradé des rapports avec la Russie et la modernisation de l’arsenal russe annoncée par Vladimir Poutine laissait peu d’espace pour un compromis. Les critiques de Trump contre l’OTAN dont les membres ne contribueraient pas suffisamment aux coûts de la défense commune et l’annonce du retrait de 12 000 soldats américains stationnés en Allemagne (juillet 2020) relèvent de la stratégie de pression sur les alliés qui s’est avérée payante. En octobre 2020 les ministres de la défense de l’OTAN prennent acte de la décision américaine de retrait des FNI tout en exprimant leur préoccupation face à « l’agressivité croissante » de la Russie et… de la Chine.

Face à « l’unilatéralisme américain » la Russie s’efforce d’apparaître comme une puissance attachée à la préservation de la « stabilité stratégique » que le système des traités de maîtrise des armements et de désarmement visait précisément à assurer. En août 2019, le Président Poutine proposa un moratoire sur le déploiement de nouveaux systèmes de missiles à courte et moyenne portée basés au sol, proposition rejetée par Washington et l’OTAN. Il fit alors une nouvelle proposition (octobre 2020) visant à renforcer ce moratoire par des mesures de vérification additionnelles visant les système Aegis de défense antimissile déployés par l’OTAN et le missile de croisière 9M729 russe, objet des accusations américaines de violation du traité FNI. Ces propositions qui n’avaient aucune chance d’être acceptées visaient surtout à prendre acte de la fin du traité et d’en imputer la responsabilité pleine et entière à Washington.

Le « traité sur le régime ciel ouvert »[1] était l’accord suivant dans le viseur de Trump qui décidait de s’en retirer en mai 2020 au motif que la Russie imposait des restrictions de survol sur certaines parties de son territoire (Kaliningrad) et détournait la vocation initiale de l’instrument pour se livrer à des activités de collecte d’informations vitales pour la sécurité des États-Unis. Tout en regrettant la décision américaine de retrait 11 pays européens dont la France et l’Allemagne ont exprimé dans une déclaration commune (22 mai 2020) leur intention de continuer d’appliquer le traité qualifié « d’utile pour l’architecture de contrôle des armements conventionnelles en Europe », en dépit de problèmes d’application de certaines de ses clauses par la partie russe. Privée de la participation américaine, ce traité est condamné à termes par l’observation spatiale qui permet aux Etats d’acquérir des informations en tout temps.

Le traité New START, une renégociation problématique et la Chine dans le viseur

Accords emblématiques hérités de la Guerre froide les traités START[2] visent la limitation et la réductions des armements nucléaires. Ils régissent la stabilité stratégique et assurent une forme de transparence et de prédictibilité des capacités nucléaires des Etats-Unies et de la Russie qui détiennent 90% des arsenaux nucléaires. Dernier accord bilatéral de réduction des armes stratégiques encore en vigueur lors du mandat de Donald Trump, le traité New START (New Strategic Arms Reduction Treaty) limite le nombre d’ogives nucléaires déployé par chaque partie et prévoit un régime de vérification fondé sur des inspections sur place.

Conclu en 2010 cet accord arrive à expiration le 5 février 2021, posant la question de sa prorogation. Plusieurs options étaient sur la table avant l’élection américaine, ne pas renouveler l’accord à l’issue de l’expiration de la durée prévue ou son extension pour une période limitée de un à cinq ans. La Russie était favorable à une extension pour cinq ans, mais les exigences de l’administration Trump consistant en contrepartie d’une prorogation du traité d’exiger un gel vérifiable de tout nouveau déploiement et le renforcement des dispositions sur la vérification ont conduit à l’impasse. Les exigences de l’administration Trump paraissent étonnantes si on se réfère à la déclaration devant le Sénat des Etats-Unis de Rose Gottemoeller, cheffe de la délégation américaine durant la négociation du traité New START, qui avait jugé le régime de vérification « substantiel et effectif », le qualifiant même « d’innovateur » (juin 2012). Cette impasse sur New START intervenait dans un contexte de tension entre les deux parties sur le déploiement de systèmes de défense antimissiles et d’une nouvelle génération de vecteurs.

Faute d’acceptation de ses conditions par la partie russe, l’administration Trump opte pour la « mort naturelle » de New START (octobre 2020) car dans son format actuel il ne prenait pas en compte le changement majeur que représente le développement des nouvelles capacités nucléaires et balistiques, en particulier les nouveaux missiles hypersoniques (vitesses allant de Mach 5 à Mach 25) développés par les deux parties, mais aussi par la Chine. Cette dernière était invitée par l’administration Trump à se joindre à un exercice élargi de négociation sur la maîtrise des armements et le désarmement. Un pari qui ne résiste pas à un examen sérieux compte-tenu de l’écart considérable des capacités nucléaires et balistiques entre les États-Unis, la Russie et la Chine. En se fondant sur les estimations du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), le potentiel nucléaire chinois (320 ogives) est sensiblement inférieur à ceux des Etats-Unis (5800) et de la Russie (6375)[3]. Le refus de Pékin d’être associé à un exercice trilatéral sur le désarmement tant que les deux grands n’auront pas réduit de manière significative leurs arsenaux nucléaires en découle logiquement.

Avec l’entrée en fonction de Joe Biden le 20 janvier, la fenêtre d’opportunité pour sauver New START est très étroite (deux semaines). Lors de la campagne présidentielle, le candidat démocrate avait assuré que s’il était élu il rechercherait une extension du traité pour une période supplémentaire, sans toutefois en préciser ni les modalités, ni la durée…

Lire la suite (Partie 2/2) 

[1] Signé le 24 mars 1992 et entré en vigueur le 1er janvier 2002 entre 34 Etats parties membres de l’OSCE le traité autorise des vols d’observation des activités militaires dans le but de renforcer la confiance et la transparence.

[2] Des quatre traités bilatéraux adoptés : START 1 (1991) a expiré en 2009, START 2 (1993) jamais appliqué et remplacé par le traité SORT (2002) qui a expiré en 2012 et NEW START (2010).

[3] SIPRI Yearbook 2020.