ThucyBlog n° 97 – Donald Trump, la maîtrise des armements et le désarmement, entre désengagement, effets d’annonce et impasse – 2016-2020 (2/2)

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Par Abdelwahab Biad, le 21 janvier 2021
Maître de Conférences (HDR) à l’Université de Rouen Normandie où il enseigne le droit international et les relations internationales

Lire le début (Partie 1/2)

LA NON-PROLIFÉRATION ET LES QUESTIONS DU NUCLÉAIRE CORÉEN ET IRANIEN DANS L’IMPASSE

Durant le mandat de Donald Trump, les tensions à propos du nucléaire et du balistique de la Corée du Nord et de l’Iran ont pris des directions contradictoires illustrant les erreurs d’appréciation du Président républicain. Les rapports avec Pyongyang ont connu alternativement des phases de crispation et de détente alors que ceux avec Téhéran on abouti à la rupture totale. Dans les deux cas on peut observer un échec de cette diplomatie erratique faite d’effets d’annonce et de communication du Président Trump. Les initiatives du locataire de la Maison blanche, en particulier le retrait de l’accord de Vienne de 2015 ont eu pour effet d’isoler les États-Unis en dehors de quelques alliés inconditionnels (Israël) avec pour effet une incompréhension des Européens et une convergence entre la Russie et la Chine pour dénoncer « l’aventurisme » américain en pointant du doigt les crises du nucléaire coréen et iranien. 

Les sommets Kim-Trump, un exercice de communication sans suite

La RDPC est frappée par le régime de sanctions le plus sévère au monde depuis plusieurs décennies. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump laissait augurer une aggravation des tensions avec Pyongyang confirmée par les diatribes du dirigeant républicain contre « little rocket man » assorties de menaces de « détruire totalement la Corée du Nord » (discours à l’Assemblée générale des Nations unies, 19 septembre 2017). Mais cette diplomatie imprévisible surpris plus d’un lorsqu’elle s’orienta dès 2018 vers l’apaisement et la recherche d’un « compromis historique » avec Kim Jong Un se traduisant par trois rencontres au sommet à Singapour (juin 2018), à Hanoï (février 2019) et sur la ligne de démarcation entre les deux Corées (juin 2019). Le Sommet de Singapour entre le Président américain et le leader coréen, fut même qualifié de « percée historique » ouvrant une « ère nouvelle » et un « avenir radieux si la Corée du Nord respecte ses engagements » (Marc Pompeo au Conseil de sécurité, 27 septembre 2018).

Le Sommet de Singapour (12 juin 2018) est pour une large part l’œuvre de la diplomatie sud-coréenne visant le maintien du dialogue intercoréen avec l’objectif d’une dénucléarisation de la péninsule. Si elle a ouvert quelques portes la rencontre de Singapour s’est soldée par une déclaration d’une page dépourvue de substance, sans mesures concrètes fixant un calendrier et un mécanisme de mise en œuvre. Ces portes se sont refermées au Sommet d’Hanoï (27 février 2019) qui devait être le second round d’une normalisation annoncée. L’absence de déclaration commune est symptomatique d’un désaccord profond sur les paradigmes définis à Singapour : levée des sanctions contre dénucléarisation.

Quant à la rencontre de Panmunjom (juin 2019), ce fut un pur exercice de communication illustré par le franchissement de la zone démilitarisée entre les deux Corées par un Donald Trump souriant posant le pied sur le sol nord-coréen qu’il avait menacé quelque temps auparavant du « feu nucléaire ». Mais, ce que l’histoire retiendra de cet exercice, c’est un dialogue de sourds à propos de la dénucléarisation de la Corée du Nord: des actions immédiates pour Donald Trump versus un processus pour Kim Young Un qui exigeait une levée préalable des sanctions et des garanties de sécurité américaines. En fin de compte, Donald Trump qui souhaitait inscrire dans son mandat un accord historique avec la Corée du Nord là ou ses prédécesseurs avaient échoué (accord cadre inappliqué de Bill Clinton en 1994 et « pourparlers à six » de Georges W. Bush en 2005) a du se rendre à l’évidence, l’échec retentissant de sa « politique des sommets ».

Le retrait de l’accord sur le nucléaire iranien, le pari risqué et… perdu de Trump

Mettant en œuvre une promesse électorale, Donald Trump décidait en mai 2018 de retirer les États-Unis de l’Accord de Vienne de 2015 sur le nucléaire iranien qualifié de « pire accord auquel les États-Unis aient jamais adhéré » et d’imposer de nouvelles sanctions sur les secteurs bancaires et pétroliers iraniens. Le Président nourrissait-il l’espoir d’une négociation sur le mode nord-coréen avec les dirigeants iraniens (« quand ils veulent » déclarait-il le 27 juillet 2019) ? En réaction Téhéran a menacé de ne plus se conformer à certaines limites fixées par le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA). Cet accord multilatéral (entre l’Iran d’une part et d’autre part les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni) vise à limiter la capacité iranienne à produire des matières fissiles à usage militaire, à mettre en œuvre un système international de vérification à long termes tout prévoyant en contrepartie la levée des sanctions internationales inscrite dans la résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité.

Les sanctions pouvaient toutefois être réinstaurées en cas de manquement par l’Iran à ses obligations relevé par un État partie à l’accord durant la période de mise en œuvre (allant jusqu’à 10 ans). C’est précisément cette clause dite « snapback » que l’administration Trump invoque pour réinstaurer toutes les sanctions en vigueur avant l’Accord JCPOA. Les États-Unis n’étant plus partie au JCPOA depuis leur retrait unilatérale en 2018, ils n’ont aucun titre à en empêcher l’application. Même si Washington invoque son statut de « participant » à l’accord dénoncé au motif que la résolution 2231 qui le lui a octroyé est toujours en vigueur, pour les autres participants à l’Accord de Vienne, le « snapback » n’est pas d’actualité.

La controverse sur le « snapback » accentue l’isolement des États-Unis sur la question du nucléaire iranien, les autres parties à l’accord de Vienne étant déterminées à le mettre en œuvre. Si cette affaire est l’occasion d’un nouveau front commun de la Russie et de la Chine contre l’unilatéralisme américain, elle est pour l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni un exemple de plus de la fissure transatlantique, fissure aggravée par la prétention américaine à faire prévaloir l’extra-territorialité de ses sanctions unilatérales. Le Président Biden qui prendra ses fonctions le 21 janvier 2021 a indiqué son intention de revenir dans l’Accord de Vienne entérinant l’échec de la diplomatie de son prédécesseur, mais n’a pas été prolixe sur le sujet, même s’il a insisté sur le respect par les Iraniens de leurs engagements[1]. 

Le nucléaire iranien représente une menace supplémentaire pour le TNP en constituant un stimulant dangereux pour la prolifération dans un Moyen-Orient instable déjà nucléarisé de facto par Israël. Fragilisé par le retrait de la Corée du Nord dotée depuis de la bombe atomique, ce traité est aujourd’hui confronté aux programmes de modernisations nucléaires. Ces évènements ajoutés à l’entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) le 22 janvier 2021 contre la volonté des neuf puissances nucléaires laisse présager une prochaine Conférence d’examen du TNP peu sereine dans un contexte international tendu (prévue en mai 2020 la réunion fut reportée en août 2021 en raison de la crise du Covid-19).

À la veille de l’entrée en vigueur du TIAN, l’administration Trump dans une lettre aux Etats parties, leur demandait de retirer leurs instruments d’adhésion ou d’accession au traité car ils commettaient une grave erreur stratégique. Mais une fois n’est pas coutume, la position américaine est en harmonie avec celle des autres membres permanents du Conseil de sécurité dans leur rejet du TIAN. Un changement de locataire à la Maison Blanche ne devrait pas en toute logique se traduire par une révision de la position américaine sur cette question.

Conclusion 

La diplomatie de Trump relève du « miroir aux alouettes », beaucoup d’effets d’annonce et de « com » appuyé sur une réthorique accusatrice prônant la rupture pour aboutir en fin de compte à l’impasse. C’est l’échec programmé d’une diplomatie aussi erratique que son instigateur, caractérisée par un discours agressif et un « retard à l’allumage ». Ainsi, le retrait de l’Accord de Vienne (pourtant une promesse de campagne de Trump) ne fut effectif qu’à mi-mandat, l’abandon des traités FNI et « Ciel ouvert » ainsi que la négociation sur New START occupant le reste de la mandature. Des divergences entre ses conseillers dont beaucoup tel John Bolton seront remerciés est une partie de l’explication, mais pas la seule. Le résultat est le désengagement de traités majeurs sur le contrôle des armements doublé de l’incapacité de progresser vers de nouveaux accords avec la Russie. La mission du Président Biden n’en sera que plus délicate pour restaurer les principes de la négociation en vue de nouveaux accords sur la maîtrise des armements et le désarmement.

[1] François Nicoullaud, « Biden, l’Iran, le nucléaire et les autres », ThucyBlog n°87, 10 décembre 2020.