ThucyBlog n° 98 – États-Unis, Israël et pays arabes, vers le chemin de la normalisation

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Par Insaf Rezagui, le 25 janvier 2021 

L’élection du 46e Président des États-Unis, Joe Biden, ne devrait pas remettre en cause le chemin de la normalisation pris par les pays arabes avec Israël sous l’Administration Trump, bien au contraire. Alliés historiques, les Israéliens et les Américains ont tout intérêt à poursuivre cette ouverture vers le monde arabe. A ce titre, les Accords d’Abraham et les annonces récentes de normalisation des relations entre Israël et deux autres États arabes, le Maroc et le Soudan, traduisent un état de fait implacable : le sort des Palestiniens n’est plus la priorité des dirigeants arabes et ne devrait pas être la priorité de la politique américaine de Joe Biden et de son secrétaire d’Etat, Antony Blinken, au Moyen-Orient au cours des quatre prochaines années.

L’officialisation de la normalisation des relations entre pays arabes et Israël

Annoncés durant l’été 2020, puis signés le 15 septembre à la Maison-Blanche, les accords d’Abraham actent la normalisation des relations entre Israël et deux monarchies du Golfe : les Emirats arabes unis et le Bahreïn. Ces normalisations brisent l’unité arabe à l’égard du conflit israélo-palestinien et reconfigurent des décennies d’une posture qui refusait toute normalisation des relations sans reconnaissance par l’Etat hébreu d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. Cette position fut notamment portée par l’Arabie saoudite lors de sa proposition de plan de paix arabe en 2002. Le royaume wahhabite, qui continue officiellement de défendre cette position, est pourtant un allié important des Etats-Unis et entretient des relations officieuses avec l’Etat hébreu. L’officialisation d’une normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël marquerait un chamboulement inédit au Moyen-Orient et transformerait l’ennemi d’hier en allié de demain.

Pour autant, le contenu de ces accords n’apporte rien de nouveau. Les trois Etats entretenaient déjà de manière informelle des relations depuis de nombreuses années et dans un certain nombre de domaines. Ces accords officialisent donc des relations officieuses et poussent deux pays arabes à afficher publiquement leurs liens avec l’Etat hébreu. Suite à ces accords, d’autres pays arabes se sont engouffré dans la brèche, sacrifiant la cause palestinienne au profit de leurs intérêts nationaux. C’est le cas du Maroc qui a annoncé le 12 décembre dernier, sous l’égide des Etats-Unis de Donald Trump, la normalisation de ses relations avec l’Etat hébreu en échange d’une reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

Après l’Égypte (1979) et la Jordanie (1994), qui avaient signé des traités de paix, quatre autres pays arabes ont donc conclu, sous la présidence Trump, des accords avec Israël. En revanche, la teneur de ces traités n’est pas la même. Abu Dhabi, Manama et Khartoum n’ont jamais été en guerre avec Tel-Aviv contrairement au Caire et à Amman.

Cette normalisation met fin à un certain consensus arabe et scelle la relégation au second plan du sort des Palestiniens, déjà observée depuis de nombreuses années.

Un monde arabe divisé face à Israël

Désormais la donne dans le monde arabe évolue. Au-delà du contenu de ces accords, cette volonté de certains pays arabes de nouer des liens officiels avec Israël révèle la division profonde entre les dirigeants du monde arabe, sur fond de mobilisation contre l’Iran. Le consensus politique et diplomatique, qui permettait aux leaders arabes de parler d’une seule voix sur la scène internationale, est rompu. Il est loin le temps où la cause palestinienne unissait les pays arabes.

A ce titre, l’incapacité de la Ligue arabe à porter un consensus fort est révélateur de cette désunion. La Ligue arabe, fortement mobilisée dans les années soixante et soixante-dix en faveur des Palestiniens, notamment dans le cadre de la Guerre des Six Jours en 1967, ne porte plus un grand intérêt pour la cause palestinienne, bien au contraire. Elle a ainsi refusé de se réunir en urgence, à la demande de l’Autorité palestinienne, suite à l’annonce des accords d’Abraham à l’été 2020. La sanctuarisation de la cause palestinienne au sein de la Ligue arabe n’est plus.

L’Iran, véritable cause de cette normalisation israélo-arabe

Cette normalisation cache un jeu politique bien plus profond de la part de ces Etats. Il s’agit de la lutte contre l’expansion et l’influence iranienne dans la région. Tout comme Israël, un certain nombre de pays arabes ont tout intérêt à trouver des alliés, même s’il s’agit des ennemis d’hier, pour faire face à la nouvelle menace.

Si les trois pays signataires des accords d’Abraham placent la lutte contre l’Iran et ses alliés, et donc plus largement contre l’axe chiite, comme priorité de leur politique étrangère, ils le font chacun pour des raisons différentes. Si Israël fait de l’Iran son ennemi numéro un, en raison du programme nucléaire de ce dernier, les Emirats arabes unis sont en conflit avec l’Iran au sujet d’îles situées dans le Golfe Persique. Le Bahreïn se mobilise, lui, pour réduire l’influence iranienne dans la région, mais surtout au sein de ses frontières. En effet, 60% de la population de cette monarchie du Golfe est chiite et fut au cœur du soulèvement populaire de 2011.

Enfin, la normalisation entre le royaume du Maroc et Israël s’est aussi faite au détriment du peuple sahraoui. En échange de cet accord, les Etats-Unis acceptent ainsi de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

La fin de la centralité de la question palestinienne

Cette série d’annonces, toutes chapeautées par les Etats-Unis de Donald Trump, acte le fait que la cause palestinienne n’est plus le vecteur de la mobilisation des pays arabes. Auparavant la Palestine était au cœur de l’agenda médiatique régionale et internationale, la colonisation israélienne était dénoncée, et les leaders du monde arabe se dressaient ensemble contre le blocus dans la Bande de Gaza et l’annexion d’une partie de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Mais au cours des dernières années, la cause palestinienne s’est effacée au profit d’autres sujets. Il y a eu les printemps arabes, la Tunisie, l’Algérie, le Soudan, le Bahreïn, puis les conflits et les guerres en Syrie, au Yémen et en Libye. A chaque fois, ces sujets ont éloigné plus encore la cause palestinienne de l’actualité. La longévité de ce conflit et les multiples échecs sur le dossier renforcent le désintérêt à l’égard du sort des Palestiniens.

Cependant, ce combat partagé ne doit pas masquer les autres intérêts politiques et économiques qui se cachent derrière de tels accords. En s’unissant de la sorte, chacun des pays entend renforcer sa puissance régionale et s’affirmer comme une grande nation. Israël sort ainsi de l’isolement dans la région et lisse son image médiatique. De leurs côtés, les Emirats arabes unis, premier pays arabe ayant initié officiellement ce mouvement en faveur d’Israël, entendent ainsi concurrencer le leader sunnite dans la région, l’Arabie saoudite. Puissance régionale majeure, l’Etat saoudien fait face à de nombreuses critiques dans le monde arabe pour son alliance inconditionnelle avec les Etats-Unis. Il continue tout de même d’être le leader du monde sunnite, en tant que gardien des lieux saints de l’Islam. Mais les Emirats arabes unis entendent bien se placer comme puissance régionale sur laquelle il faut désormais également compter.

L’élection de Biden et le maintien d’une position pro-israélienne

L’arrivée au pouvoir du 46e Président des Etats-Unis, Joe Biden, ne devrait pas remettre en question la position américaine sur ce dossier. Les dirigeants américains, démocrates et républicains, ont toujours plaidé en faveur d’une relation apaisée entre Israël et les pays arabes. Par ailleurs, la position américaine sur le dossier palestinien ne devrait pas connaître de grands chambardements. C’est en tout cas ce qu’a annoncé ce 19 janvier le nouveau Secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, devant les membres du Congrès à l’occasion du processus de confirmation. Ce dernier réaffirme que les Etats-Unis ne reviendront ni sur la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël ni sur le déménagement de l’Ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem. En revanche, l’Administration Biden plaidera en faveur d’une solution à deux États, même si elle reconnaît qu’« à court terme », cette solution n’est pas « réaliste ».

Cette position de la diplomatie américaine n’est pas nouvelle. Tout au long de sa carrière politique et notamment lorsqu’il fut vice-président de Barack Obama, Joe Biden a entretenu des liens chaleureux avec l’allié israélien. Son élection ne changera a priori pas cette position, même si celle-ci ne sera plus sans limites comme cela fut le cas avec Donald Trump. Ainsi les cadeaux de l’oncle Sam seront sans doute amoindris. En effet, Joe Biden continuera de défendre la normalisation des relations entre Israël et le monde arabe, mais promet par exemple de rouvrir la représentation de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) à Washington D.C. Il a aussi annoncé son intention d’injecter de nouveau des fonds à l’UNRWA, institution spécialisée des Nations Unies qui vient en aide aux Palestiniens réfugiés.

La position prise par ces quatre pays arabes, les Emirats arabes unis, le Bahreïn, le Soudan et le Maroc, ne préfigure pas des positions à venir d’autres pays arabes, mais révèle l’approche adoptée dans cette région à l’égard du conflit israélo-palestinien. Les crises économiques, politiques et sanitaires qui frappent le Moyen-Orient obligent les dirigeants arabes à revoir leurs priorités. Les Israéliens et les Américains l’ont bien compris et comptent bien continuer d’en jouer.