Par Donatienne Sadicoult, le 27 janvier 2022
Le Kosovo, ancienne province de la Serbie puis territoire indépendant depuis 2008, très médiatisé au début des années 2000, semble un peu oublié de l’actualité. Le pays est aujourd’hui reconnu en tant qu’Etat seulement par une partie de la communauté internationale, pendant que la Serbie ainsi que la Russie et cinq pays de l’UE, ne le reconnaissent pas.
Dans ce contexte, sous tutelle internationale depuis 1999 le Kosovo tente aujourd’hui de s’affirmer en tant qu’Etat bien que les relations avec la Serbie restent toujours tendues.
Le dialogue « Pristina – Belgrade » mis en place par la communauté internationale en 2013 espérait avec une forme d’« optimisme nihiliste » mettre fin à ce chapitre douloureux entre les deux pays et ouvrir la perspective d’un avenir européen pour leurs citoyens. En réalité, ce dialogue avance avec des pas rétrogradés pendant que les tensions ethniques entre les deux pays n’arrêtent pas de se reproduire, conduisant la communauté internationale à intervenir ou à faire appel à l’ordre et à l’apaisement de manière continuelle.
Changement politique
En termes de politique interne, le pays qui stagnait depuis deux décennies, a connu des changements politiques récents avec d’une part, l’inculpation du Président Hashim Thaqi et du Président de l’Assemblée, Kadri Veseli, par le tribunal spécial de la Haye chargé des crimes de guerre commis au Kosovo en novembre 2020[1], et, d’autre part, avec l’arrivée du Mouvement Vetevendosje (Autodétermination) au pouvoir. Le paradoxe de la situation politique actuelle réside sur le fait que ce sont précisément ceux qui étaient en faveur de la création d’un tribunal spécial pour les crimes de guerre au Kosovo qui sont inculpés par ce dernier, et les opposants à la création de ce tribunal qui se retrouvent au pouvoir.
Cependant, le Premier Ministre actuel, Albin Kurti, depuis son entrée en politique avec la création de son mouvement pour l’Autodétermination est connu pour avoir mené par le passé une campagne féroce contre ce qu’il considérait la présence coloniale des Nations Unies, qui ont administré le pays de 1999 à 2008, et contre la mission de l’Union Européenne (EULEX) par la suite. Il avait également rejeté résolument toute négociation avec la Serbie en menant des grandes campagnes de graffitis sur les murs de chaque ville avec le slogan « Non aux négociations – Autodétermination[2] », dont certaines d’entre elles sont encore visibles aujourd’hui.
La promesse phare de la campagne d’Albin Kurti était celle de « libérer l’Etat de l’intérieur » en chassant de la politique les anciens combattants pour l’indépendance des années 1990, qui pour arriver au pouvoir ont éliminé les opposants politiques et une fois au pouvoir ont laissé proliférer la corruption sous les sourdes oreilles de la mission européenne au Kosovo (EULEX)[3].
Depuis quelques mois seulement, le gouvernement Kurti essaie de s’attaquer aux problèmes intérieurs du Kosovo en luttant contre la corruption, en garantissant de meilleures normes démocratiques, en atténuant certaines des difficultés économiques du pays et en essayant de mettre un terme à deux décennies de clientélisme. Mais cette étincelle de changement reste cependant assez pâle, dans un pays ou le clientélisme est devenu une tradition et les critiques des opposants accusant le nouveau gouvernement de continuer avec la même politique du népotisme et du clientélisme ne manquent pas.
Relations avec Belgrade : mettre les morts à table
Bien qu’on doutait de la continuation du dialogue avec Belgrade avec l’arrivée du nouveau gouvernement kosovar, celui-ci ne s’est pas arrêté. Cependant, le mouvement d’autodétermination du Kosovo, a souhaité donner une autre donne au dialogue avec Belgrade, estimant que le Kosovo n’était pas traité comme partie égale dans les négociations. N’étant pas reconnue en tant qu’Etat par la Serbie, son nom figure avec un astérisque (Kosovo*)[4] dans le document de l’accord de Bruxelles, qui explique en bas de page qu’il s’agit d’une ancienne province de la Serbie. Et, le passée douloureux doit faire partie des négociations, selon le Premier Ministre du Kosovo, qui demande que la Serbie reconnaisse les crimes commis lors de la guerre en 1999 et qu’elle aide à l’élucidation du sort des personnes disparues durant cette guerre. Cette attitude très plébiscitée par l’opinion publique kosovare montre que les plaies de la guerre sont assez présentes et assez sensibles.
De l’autre côté, inquiète pour la population serbe vivant au Kosovo, la Serbie a conditionné ces pourparlers avec la création de l’Association des communes serbes au Kosovo. La création de cette association, qui est le résultat de pourparlers passés à Bruxelles dès le début des négociations en 2013, a été ratifié par le Parlement du Kosovo la même année avec le désaccord des partis d’opposition de l’époque, ceux-là mêmes qui actuellement au pouvoir mènent les négociations. Cet accord, qui depuis était resté un sujet écrit sur le papier sans vraie mesure officielle parce que jugé en désaccord avec la Constitution du Kosovo[5], est contesté par le gouvernement kosovar, qui voit en cela le risque de la création d’une Republika Srpska, du modèle bosnien, au sein du pays.
Plus récemment, les affrontements entre les deux pays ont été alarmants, suite à des « mesures de réciprocité » émises par le Premier Ministre du Kosovo, interdisant ainsi aux véhicules des citoyens serbes de circuler avec des plaques d’immatriculation émises en Serbie, en les obligeant à les remplacer par des plaques kosovares comme faisaient les autorités serbes avec les véhicules kosovars depuis des années. Cette décision, qui s’est suivie d’une opération de la police kosovare contre des trafiquants dans la ville de Mitrovica a créé un des affrontements les plus tendus entre les deux pays depuis la guerre de 1999. Ces derniers évènements, montrent que comme par le passé, beaucoup de sujets restent assez funestes, et qu’avec une certaine ironie du tragique, dans les Balkans comme dans l’humour, on peut parler de tout mais pas avec n’importe qui.
Illustration musicale – Musique kosovare : https://youtu.be/CX9i19fptaE
L’attente fatigue
Pour l’intégration des pays des Balkans occidentaux dans l’Union Européenne, les relations entre Belgrade et Pristina constituent un des principaux obstacles et la stagnation permanente de ces négociations amène les pays des Balkans à se retourner vers la Russie pour les serbes et les Etats-Unis pour les albanais kosovars. Pour certains analystes, c’est même cette gestion de l’Union Européenne, qui ne sait plus comment faire, qui déstabilise les Balkans[6].
Pour les populations vivant sur le territoire, les albanais du Kosovo connaissent depuis plus de deux décennies une période de paix, mais sans croissance économique, voire une détérioration. Et, la population serbe du Kosovo, bien qu’elle vive sur le territoire du Kosovo, reste toujours très isolée, à part de la vie citoyenne et liée à Belgrade. Les serbes du Kosovo sont certes représentés au Parlement, mais sont quasi inexistants dans la société, et malgré les efforts de la Kfor et l’Union Européenne pour la construction d’une convivialité entre les deux peuples, cela n’a eu aucun résultat notable. La situation n’est pas plus simple, ni moins problématique pour les personnes des trois municipalités à majorité albanaise qui vivent au sud de la Serbie. Plus de vingt ans après la guerre, en Serbie ou au Kosovo, les serbes et albanais constituent deux peuples qui vivent seuls mais ensemble, et ce qui devait être une « win-win » solution, ne semble faire que des perdants.
Cette situation d’immobilité politique et économique pousse aujourd’hui beaucoup de personnes des Balkans à quitter la région avec l’espoir de pouvoir s’installer en Europe. Le Kosovo a connu depuis 2015 le plus grand exode en temps de paix. Et cela va de même pour tous les pays des Balkans[7]. Rien ne semble bouger dans les Balkans, à part les gens.
Une histoire « agitante » et agitée
Berceau des influences américaines et russes et le « malheur des européens », le Kosovo qui devait être l’exemple de réussite des occidentaux dans les Balkans, un pont de réconciliation entre albanais et serbes, persiste depuis deux décennies à être un « conflit sans résolution » qui par son immobilité et sa constance de tensions devient un « conflit tacite », dans lequel l’occident devra continuellement intervenir afin d’en désamorcer les dangers de guerre.
[1] Le président du Kosovo à La Haye, Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin, Le Temps, 06 Novembre 2020 https://www.letemps.ch/monde/president-kosovo-haye
[2] Kosovo’s Vetevendosje Keep Faith in Graffiti, Bujar Aruqaj, 1 mai 2012 https://balkaninsight.com/2012/05/01/kosovo-s-vetevendosje-keep-faith-in-graffiti-power/
[3] EU’s biggest foreign mission in turmoil over corruption row, Julian Borger, The Guardian, 5 Novembre 2014, https://www.theguardian.com/world/2014/nov/05/eu-facing-questions-dismissal-prosecutor-alleged-corruption
[4] Serbia and Kosovo*: historic agreement paves the way for decisive progress in their EU perspectives, Communiqué de Presse de la Comission Européenne, Bruksel 23 avril 2013 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_13_347
[5] Décision de la Cour Constitutionnelle du Kosovo, Nr. K0130/15
[6] THE COWARDICE OF ‘BOTH SIDES’, Aidan Hehir, Kosovo 2.0, 01 octobre 2021 https://kosovotwopointzero.com/en/the-cowardice-of-both-sides/
[7] Comment les Balkans se vident de leur population, https://www.letemps.ch/monde/balkans-se-vident-population