ThucyBlog n° 195 – À la recherche du multilatéralisme perdu…

Sculpture d'Arnaldo Pomodoro à l'entrée du siège des Nations Unies à New York (crédit photo : Ting Chen, licence CCA)

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Par Guillaume Berlat, le 28 février 2022 

Le concept de multilatéralisme relève d’une démarche qualifiée de « paix par le droit » à l’opposé de la paix par la force. Après sept décennies de fonctionnement, plus ou moins chaotique, le système multilatéral mis en place en 1945 pour prévenir un nouveau conflit mondial ne serait-il pas « en état de mort cérébrale », pour reprendre la formule d’Emmanuel Macron concernant l’OTAN ? Cette crise relève de la vérité d’évidence sauf pour les universalo-béats. Que faire pour remédier à cette situation inquiétante ? Lancer des imprécations, réunir d’improbables commissions de réforme ou d’inutiles conférences pour se donner bonne conscience dans cette époque d’hypermoralisme. Tout a été essayé. Sans succès à ce jour y compris la proposition franco-allemande de travail sur un multilatéralisme efficace. Aujourd’hui, une nouvelle piste originale – dans l’air du temps – est explorée. Celle du recours à une mobilisation mondiale qui révèle les attentes de la génération Greta Thunberg. Elle conduit six dirigeants de la planète à formuler quelques propositions pour revigorer un multilatéralisme à bout de souffle[1].

Une méthodologie dans l’air du temps : la consultation citoyenne universelle   

Le citoyen, nouvel acteur des relations internationales. La méthode retenue pour dresser un bilan de l’état du monde est originale même si elle est dans l’air du temps. Emmanuel Macron l’a, du reste, utilisée lors de la convention climat avec les résultats que l’on connaît. En 2020, l’ONU met en place une consultation mondiale mobilisant plus d’un million de personnes dans 193 pays. Son objectif est d’explorer les moyens d’édifier un avenir meilleur. Les contributions recueillis mettent en évidence plusieurs priorités. Pour sa part, l’Assemblée générale de l’ONU se propose de répondre aux défis du XXIe siècle en renforçant le multilatéralisme fondé sur des règles communes. Vaste programme, comme aurait dit le général de Gaulle, alors même que les règles communes existent. Elles sont contenues dans la Charte constitutive de l’Organisation. Le seul problème tient à leur application, plus précisément à leur non ou à leur mauvaise application.

Le secrétaire général de l’ONU, improbable catalyseur d’injonctions contradictoires. Pour ce qui le concerne, Antonio Guterres publiait le rapport « Our Common Agenda » faisant suite à la Déclaration politique 75 adoptée par le tous les chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’organisation universelle, il y a un an ! Du côté de Manhattan, l’on nous explique que ce nouvel ordre du jour définirait un plan audacieux destiné à relever les défis présents et futurs du XXe siècle auxquels la gouvernance mondiale de ce début de XXIe siècle est confrontée. Or, pour quelles raisons – en dehors de la crise sanitaire – ne se passe-t-il rien de tangible depuis ces importantes échéances ?  Vraisemblablement parce que nous sommes au cœur de la diplomatie déclaratoire, déclamatoire à cent lieues de la diplomatie exécutoire, la seule qui vaille dans ces périodes d’incertitude.

Une attente généreuse des citoyens de la planète : la quête du meilleur des mondes 

Le passage obligé de la lutte contre le changement climatique. Fait intéressant à relever, les consultations conduites aux quatre coins de la planète permettent de constater la grande convergence des attentes, des espoirs des femmes et des hommes, des filles et des garçons ! Que veulent-elles ou veulent-ils sur le court et le moyen terme ? Cela relève de l’inventaire à la Prévert tant la génération du XXIe siècle est aussi gourmande qu’idéaliste : meilleur accès aux soins de santé de base et à l’assainissement ; recherche de davantage de solidarité vis-à-vis de ceux qui sont les plus touchés par la pandémie de Covid-19. Les problèmes qu’elle souhaite voir résolus sur le long terme, correspondent à une double préoccupation : crise du changement climatique et accélération de la perte de biodiversité (combien connaissent-ils la définition de ce terme ?).

Le mantra de l’indispensable coopération internationale. Près de 90% de l’échantillon retenu souligne que la coopération internationale est essentielle pour répondre aux défis actuels. Monsieur de la Palisse n’aurait pas dit mieux. Une majorité estime que la pandémie a rendu cette coopération mondiale encore plus urgente. La galaxie médiatique se réjouit de voir que les jeunes du monde entier appellent à plus de coopération internationale. Une certaine forme d’idéalisme de la jeunesse qui n’appréhende par encore très bien la différence entre le souhaitable et le possible. Avec le bon sens qui le caractérisait et l’accent rocailleux qui le différenciait du reste du troupeau, le cardinal François Marty déclarait : « L’art de gouverner ne consiste pas à rendre souhaitable ce qui est possible. Il consiste à rendre possible tout ce qui est souhaitable »

Une série de propositions de six dirigeants : la réforme d’un multilatéralisme à bout de souffle 

Le multilatéralisme, homme/femme malade de la planète. Pour ce qui les concernent, les signataires de la tribune (Costa Rica, Afrique du Sud, Sénégal, Nouvelle-Zélande, Suède, Espagne) partent du constat suivant : la menace d’un effondrement du système multilatéral doit être considérée comme une possibilité à ne pas écarter. C’est pourquoi, ils apportent leur plein soutien aux efforts du Secrétaire général de l’ONU visant à mettre en œuvre son ambitieux programme de réforme d’une structure qui peine à se conformer à ses « Buts et principes ».

La planète frappée de multiples maux. Le constat du sextuor repose sur quelques évidences. Alors que nous vivons dans un monde interconnecté et interdépendant, nous sommes confrontés à toute une série de fléaux : vagues de chaleur inhabituelles, inondations dévastatrices, incendies de forêts… démontrant clairement la menace posée par le changement climatique. Créée il y a plus de sept décennies, l’ONU se situe au cœur du système international. Elle est censée utiliser la coopération internationale pour résoudre les différends internationaux. En dépit de ses lacunes, l’organisation universelle perdure. Pour nos dirigeants : « Elle montre que la voie vers un avenir meilleur, plus pacifique et plus durable est pavée de coopération – et non de concurrence à somme nulle ». Mais, les auteurs de la tribune sont conduits à dire que les organisations internationales ont été pensées pour résoudre des problèmes interétatiques et non des problèmes transcendant les frontières : crises financières, pandémies, terrorisme, réseaux criminels, menaces sur les océans, changement climatique…

Paroles, paroles, paroles. Les propositions des six pour sortir de l’impasse actuelle, en modernisant les institutions multilatérales pour les adapter aux objectifs et les doter de moyens de faire face aux défis actuels, relèvent de l’idée que le monde a changé par rapport à 1945. Elles ont pour ambition la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU (vaste serpent de mer), la poursuite de la revitalisation de l’Assemblée générale (vaste tarte à la crème) et le renforcement du Conseil économique et social (vaste problématique). Conformément à la déclaration commune ratifiée à Madrid, le 10 novembre 2020, notre sextuor propose trois domaines d’action (1) engagement renouvelé en faveur de la coopération internationale grâce à un système multilatéral plus ouvert et plus inclusif (plus grande participation de la jeunesse, de la société civile, du secteur privé, du monde universitaire) ; (2) adaptation de mesures audacieuses pour lutter contre la pauvreté, les inégalités, assurer l’inclusion, l’égalité de participation et de justice, enrayer la crise climatique et l’accélération de la perte de biodiversité, pour lutter plus efficacement contre les futures menaces de pandémie.

Ils précisent que le Covid nous a appris que nous « devons renforcer notre capacité collective à anticiper, prévenir et gérer des risques complexes tels que les épidémies, les nouvelles guerres, les cyberattaques, les catastrophes environnementales ou d’autres évènements imprévus. Nous nous félicitons donc des suggestions du secrétaire général sur la manière de renforcer la prospective mondiale et la capacité de gestion des risques, en particulier la proposition d’une nouvelle « plate-forme d’urgence » mondiale » (ceci nous parait crucial dans un monde aussi imprévisible que complexe) et (3) appui à la proposition d’un Sommet de l’avenir en 2023 qui permettra de créer un « système multilatéral plus agile, plus efficace et plus responsable, nous permettant de relever les défis qui nous font face ». Grâce à toutes ces propositions, les auteurs de la tribune se veulent à l’avant-garde « pour donner un second souffle à un multilatéralisme fondé sur des règles, portant en son sein une ONU plus forte et plus inclusive. Voilà la grande tâche politique de notre temps ! »

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Si cette initiative force le respect par son idéalisme, son lyrisme parfois, elle ne répond que très partiellement à l’importante question qu’elle soulève dans un monde san repères, dans un dérèglement de la planète sans précédent. Si l’insistance des six dirigeant sur le renforcement la capacité de prospective mondiale afin de mieux anticiper et gérer les risques et crises doit être saluée, un mot important fait défaut dans leur présentation, celui de confiance (terme utilisé par Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec Joe Biden le 29 octobre 2021 à Rome). Rien ne sera possible sans que ne soit dépassé le stade actuel de défiance, de méfiance, existant aujourd’hui entre les principaux acteurs de la société internationale. Nous sommes au cœur du problème de la crise mondiale actuelle que n’abordent malheureusement pas ou peu nos éminents stratèges qui se contentent, le plus souvent, d’enfoncer quelques portes ouvertes, d’énoncer quelques truismes. La question reste entière : comment agir concrètement pour gagner la bataille de la recherche du multilatéralisme perdu ?

[1] Carlos Alvaro Quessada, Cyril Ramphosa, Macky Sall, Jacinda Ahern, Stefan Lôfven, Pedro Sanchez, Donner un second souffle au multilatéralisme, Le Monde, 6 octobre 2021, p. 32.