ThucyBlog n° 202 – Au Mali, Ara Pacis ou les mercenaires de la diplomatie italienne

Luigi di Maio, ministre des Affaires étrangères de l’Italie, Nicoletta Gaida, Présidente de Ara Pacis et les représentants des groupes armés de la Plateforme et de la CMA à Rome le 5 mai 2021 (crédit photo : Ara Pacis Initiative).

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Par Bertrand Ollivier, le 24 mars 2022

De la Rébellion armée à l’Accord pour la paix

Le 17 janvier 2022 a marqué le dixième anniversaire de la bataille de Ménaka au Mali. Cette date, encore célébrée dans certaines localités, marque le début des combats entre les rebelles touarègues du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) et les Forces Armées du Mali (FAMa). Les combats aboutiront en quelques mois à une prise de contrôle des principales villes du nord Mali et à la déclaration d’indépendance de l’auto-proclamé État de l’Azawad le 6 avril 2012.

Sur les ruines de cette rébellion, plus de deux ans de médiation furent nécessaires pour démêler de façon parfois superficielle la nature des acteurs – entre rebelles pro-indépendantistes, rebelles pro-gouvernementaux et djihadistes – afin que la situation se stabilise autour de l’Accord pour la Paix et la réconciliation issus du processus d’Alger (« L’Accord »)[1]. L’Accord encadre les revendications de la rébellion à travers un ensemble de réformes institutionnelles et de mesures intérimaires visant une meilleure prise en compte des revendications des populations du nord. En échange, les groupes signataires reconnaissaient l’intégrité du territoire national et acceptaient le principe d’un programme de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR). L’ensemble de ces mesures était encadré par un chronogramme très ambitieux[2]. Néanmoins, en dépit de ce chronogramme, les retards dans la mise en œuvre de l’Accord furent et demeurent très importants, questionnant même aujourd’hui le réalisme de son applicabilité.

La politique du statu quo, une ligne à double tranchant

La situation sécuritaire, tout comme bien d’autres facteurs propres au contexte malien, a joué en faveur du statu quo qui a prévalu pendant de nombreuses années autour de l’Accord. Au-delà de ces facteurs, le manque de confiance entre les parties a constitué un terreau très fertile à l’immobilisme et ni les efforts de la médiation internationale, ni l’activisme des nations unies n’auront pu éviter la lente désagrégation des espoirs et des relations entre les parties. Cette ligne a finalement conduit la partie gouvernementale a essuyé « un effet boomerang ». Dans un premier temps et avec un certain succès, Bamako a profité des divisions internes historiques aux touarègues, sur des lignes de crête tribales, pour voir les groupes signataires se discréditer eux-mêmes. Dès 2016, CMA et Plateforme se sont affrontés militairement, entrainant de multiples ruptures du cessez-le-feu. Ces situations ont également conduit le MNLA à subir plusieurs scissions internes[3], sapant un peu plus leur crédibilité. Mais à partir de 2018 cette situation s’est renversée. Des médiations internes et les efforts de communauté internationale ont permis aux groupes de se rapprocher à nouveau via des accords communautaires, à l’instar des accords d’Anefis. Peu de temps après, le pouvoir central commençait à essuyer de fortes contestations internes qui finirent par aboutir à deux coups d’Etat successifs en aout 2020 et mars 2021, inversant l’équilibre de la stabilité des parties.

Face à l’immobilisme, la place pour une diplomatie parallèle

Face aux remous politiques a Bamako, face à la méfiance des parties signataires et face à l’incapacité de la communauté internationale à impulser une nouvelle dynamique, un boulevard s’ouvrait pour l’intervention d’une tierce partie aux méthodes différentes, moins rigide, moins règlementée, moins transparente. Cette place fut prise par l’ONG italienne Ara Pacis. L’ONG, déjà connu pour ses actions auprès des tribus dans le sud libyen, a fait parler d’elle en mai 2021 en parallèle à l’ouverture de l’ambassade italienne à Bamako. L’organisation italienne a su rapidement se positionner comme un pivot de la médiation inter-groupes entre membres de la Plateforme et de la CMA tout en redoublant d’effort pour inclure le gouvernement dans ses actions. Ara Pacis a su trouver les ressources, les relais et les leviers pour que les groupes se décident à offrir un front uni face au gouvernement de Bamako pour mieux peser dans les négociations relatives à l’Accord. Cette entente fut matérialisée par une photo prise à Rome en mai 2021 et la création du « Cadre Stratégique Permanent » (CSP).

Le soutien du gouvernement italien à Ara Pacis, s’il reste discret, n’en est pas moins officiel comme en atteste la présence du ministre des Affaires étrangères de l’Italie sur la photo du 5 mai. A contrario, l’initiative italienne illustre l’absence totale de marge de manœuvre dont dispose Paris pour explorer de nouvelles pistes à la résolution de la situation au Mali. En effet, dans le contexte politique actuel, face au sentiment « anti-français » et aux accusations de partition du pays, il serait impossible d’imaginer une telle initiative prise par une quelconque organisation française, encore moins avec le soutien officiel du Quai d’Orsay.

Les intérêts italiens au cœur de la démarche Ara Pacis

Néanmoins, bien qu’elle n’ait pas suscitée de levée de bouclier, cette initiative Ara Pacis n’est pas restée sans critique et sans soupçon sur les intentions italiennes. En effet la crédibilité que ce nouveau format a donné aux groupes armés signataires a finalement soulevé des réactions de méfiance de la part de Bamako. Sur le terrain, cette nouvelle alliance politique entre groupes signataires implique le contrôle des deux tiers du territoire malien, de Ménaka jusqu’à Tessalit et de Tombouctou jusqu’à Kidal. Cette situation fait craindre le gouvernement malien, dont les efforts sont accaparés par la situation diplomatique avec la CEDEAO et la France, d’assister à la mise sur pied d’un para-gouvernement du Nord qui viendrait raviver les blessures du 6 avril 2012.

Pour fausser les accusations d’ingérence de Ara Pacis qui voyait poindre les accusations de soutenir une initiative séparatiste avec des groupes armés, une seconde réunion s’est tenue à Rome le 30 janvier 2022. Cette fois Ara Pacis a réussi à convaincre le Ministre malien de la réconciliation d’être présent et de discuter de l’implication et du rôle du gouvernement dans le CSP, même si les résultats de cette entente restent encore incertains.

Derrière cette initiative, Ara Pacis s’est imposé comme un mercenaire de la diplomatie italienne. Rome utilise Ara Pacis pour consolider sa stratégie migratoire et potentiellement positionner son champion de l’énergie national, ENI. Il est à se demander si l’Italie ne serait pas discrètement en train d’anticiper, par l’intermédiaire d’Ara Pacis, de traiter avec les futurs responsables d’une région autonome. Mais si les hostilités devaient reprendre entre le gouvernement de Bamako et les groupes du nord, le choix d’avoir cherché indirectement à anticiper le processus d’autonomisation d’une région sera facilement interprété comme une accusation d’ingérence et de partition d’un pays.

[1] L’Accord a été Signé en 2015 entre la partie gouvernementale, la Plateforme constituée des groupes touarègues pro-gouvernementaux et la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) constituée des ex-rebelles pro-indépendance.

[2] Les mesures intérimaires devaient être prises sur une période allant de 18 à 24 mois et visaient à préparer le terrain des réformes institutionnelles : réforme constitutionnelle, réforme du secteur de la sécurité ou redécoupage administratif.

[3] En 2016, division du MNLA et créations successives du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA) et du Congrès pour la Justice dans l’Azawad (CJA) 2016.