ThucyBlog n° 242 – De Montesquieu à la Charte des Nations Unies en passant par l’Abbé Grégoire

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Par ThucyBlog, le 14 septembre 2022

Les origines intellectuelles de la Charte des Nations Unies sont multiples. On peut ici mentionner deux d’entre elles, marquées par l’esprit de la philosophie des Lumières. Il s’agit d’un côté de Montesquieu et de l’autre de l’abbé Grégoire. Dans l’Esprit des lois, Montesquieu traite en passant du droit des gens, de façon plus réaliste qu’il n’y paraît. Il y prend acte de la diversité irréductible des peuples, et de la fatalité de la guerre. Sa formule « les nations doivent se faire dans la paix le plus de bien et dans la guerre le moins de mal possible » renonce à l’idée d’une paix structurelle.

Très proche de lui est la Déclaration du droit des gens présentée à la Convention, quelques décennies plus tard par l’Abbé Grégoire, qui reprend la formule qui vient d’être citée. Personnage singulier, seul autorisé à venir en soutane à la Convention, il a milité pour l’abolition de l’esclavage et celle de la discrimination contre les Juifs. Cette Déclaration n’a jamais été adoptée, pour des raisons diverses. On observera d’abord qu’elle correspond assez bien à l’esprit du droit international contemporain, ensuite qu’elle ajoute la liberté et l’égalité des peuples, d’inspiration révolutionnaire, à leur diversité. On remarquera ensuite que l’on est très loin du cosmopolitisme d’inspiration fédéraliste d’Emmanuel Kant, plus proche d’une certaine conception de la construction européenne.  

Si l’on considère la Charte des Nations Unies sous son aspect de traité entre États et non sous celui d’une structure institutionnelle, on comparera les textes de Montesquieu et de l’Abbé Grégoire aux principes qu’elle pose au XXe siècle, et on pourra mesurer leur proximité. En début du XXIe siècle, tous conservent trop souvent, malheureusement, le caractère d’un rêve.

Montesquieu
L’esprit des lois (1748)

« Considérés comme habitants d’une si grande planète, qu’il est nécessaire qu’il y ait différents peuples, ils ont des lois dans le rapport que ces peuples ont entre eux ; et c’est le Droit des Gens. () Le Droit des gens est naturellement fondé sur ce principe, que les nations doivent se faire dans la paix le plus de bien et dans la guerre le moins de mal qu’il est possible, sans nuire à leurs véritables intérêts. Toutes les nations ont un droit des gens ; et les Iroquois même, qui mangent leurs prisonniers, en ont un. Ils envoient et reçoivent des ambassades ; ils connaissent des droits de la guerre et de la paix : le mal est que ce droit des gens n’est pas fondé sur les vrais principes ». 

Abbé Grégoire
Déclaration du droit des gens (1793-1795)

1) Les peuples sont entre eux dans l’état de nature ; ils ont pour lien la morale universelle ;

2) Les peuples sont respectivement indépendants et souverains, quels que soient le nombre d’individus qui les composent et l’étendue du territoire qu’ils occupent.

Cette souveraineté est inaliénable.

3) Un peuple doit agir à l’égard des autres comme il désire qu’on agisse à son égard ; ce qu’un homme doit à un homme, un peuple le doit aux autres ;

4) Les peuples doivent, en paix, se faire le plus de bien, et en guerre, le moins de mal possible ;

5) L’intérêt particulier d’un peuple est subordonné à l’intérêt général de la famille humaine ;

6) Chaque peuple a droit d’organiser et de changer les formes de son gouvernement ;

7) Un peuple n’a pas le droit de s’immiscer dans le gouvernement des autres ;

8) Il n’y a de gouvernement conforme aux droits des peuples que ceux qui sont fondés sur l’égalité et la liberté.

Charte des Nations Unies, 26 juin 1945

PRÉAMBULE

NOUS, PEUPLES DES NATIONS UNIES, RÉSOLUS

à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances,

à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites,

à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international,

à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande,

ET À CES FINS

à pratiquer la tolérance, à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage,

à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales,

à accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun,

à recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples,

AVONS DÉCIDÉ D’ASSOCIER NOS EFFORTS POUR RÉALISER CES DESSEINS

En conséquence, nos gouvernements respectifs, par l’intermédiaire de leurs représentants, réunis en la ville de San Francisco, et munis de pleins pouvoirs reconnus en bonne et due forme, ont adopté la présente Charte des Nations Unies et établissent par les présentes une organisation internationale qui prendra le nom de Nations Unies.

Article 1

Les buts des Nations Unies sont les suivants :

  1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ;
  2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ;
  3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ;
  4. Être un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes.
Article 2

L’Organisation des Nations Unies et ses Membres, dans la poursuite des buts énoncés à l’Article 1, doivent agir conformément aux principes suivants :

  1. L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres.
  2. Les Membres de l’Organisation, afin d’assurer à tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu’ils ont assumées aux termes de la présente Charte.
  3. Les Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger.
  4. Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.
  5. Les Membres de l’Organisation donnent à celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte et s’abstiennent de prêter assistance à un État contre lequel l’Organisation entreprend une action préventive ou coercitive.
  6. L’Organisation fait en sorte que les États qui ne sont pas Membres des Nations Unies agissent conformément à ces principes dans la mesure nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité internationales.
  7. Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII.