ThucyBlog n° 254 – Les perspectives de la politique étrangère de neutralité permanente suisse au Conseil de sécurité

Crédit photo : Compte Twitter de la Délégation suisse aux Nations Unies (domaine public)

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Par Balkissou Hayatou, le 23 novembre 2022

Le Conseil de sécurité est l’organe politique de l’Organisation des Nations Unies. Il a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Les chapitres VI et VII de sa Charte qui encadrent respectivement le règlement pacifique des conflits et actions en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression, contribuent à la mise en œuvre de ses décisions et recommandations. Au cœur de son action, quinze membres dont cinq permanents et dix non permanents discutent et négocient les projets de résolutions en cas de conflit ou lorsqu’il y a constatation de menaces à la paix. Ainsi, la coopération multilatérale au Conseil repose sur un ensemble d’instruments internes, répertoire intérieur provisoire (RIP), manuels de procédures, note S/507/2017 du président du Conseil de sécurité. Elle est complétée et renforcée par la vision des plus hautes autorités des pays membres à travers la formulation de la politique étrangère. Dans son acception la plus large, la politique étrangère est l’ensemble des principes, des tendances générales et des objectifs essentiels de l’action extérieure de l’État. Au sein des organisations internationales, les principes de politique étrangère et doctrines diplomatiques sont lisibles dans les déclarations, les négociations et les votes. Toutefois, leur mise en œuvre est confrontée aux divergences qui résultent des situations de conflits et à la question du positionnement des États neutres sur les questions de la paix et la sécurité internationales.

Depuis le 1er octobre 2022, la Suisse occupe le siège de membre observateur du Conseil de sécurité avant le début de son mandat prévu du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2024. La confédération trilingue et parlementaire située en Europe occidentale se positionne aujourd’hui comme l’une des références mondiales « des bons offices en politique de paix entre les parties en conflits » d’une part, et, d’autre part, comme le deuxième centre névralgique de la diplomatie mondiale à travers la ‘Genève internationale’. Berceau du droit humanitaire, la Suisse se caractérise par son armée atypique dévouée exclusivement à la sécurité du pays et à celle des populations, et une politique étrangère centrée sur la neutralité permanente. En tant qu’État neutre comment la Suisse organise-t-elle sa stratégie pour atteindre ses objectifs au Conseil de sécurité ? cette interrogation amène à l’analyse de la neutralité permanente, objectif de la politique étrangère et symbole d’un héritage historique assumé. Elle vise par ailleurs, à examiner la stratégie de la Suisse pour le mandat 2023-2024. En conclusion, elle va déduire du postulat selon lequel, la politique étrangère de neutralité de la Suisse se caractérise par la volonté de renforcer les méthodes de travail du Conseil de sécurité et les connexions entre les différents pôles de la diplomatie mondiale. 

1/ La politique étrangère de neutralité permanente, symbole d’un héritage historique assumé

La neutralité permanente de la Suisse tire son fondement juridique du traité de Paris signé le 20 novembre 1815. Les puissances victorieuses des guerres de quatre-vingts ans invitaient la confédération helvétique à ne pas participer directement ou indirectement aux guerres avec la promesse qu’aucunes guerres ne seraient menées sur son territoire. À la différence du neutralisme qui est une notion d’ordre politique, la neutralité permanente est une notion juridique organisée par le droit international dont la substance est précise. Elle octroie un statut déterminé qui est générateur des droits et d’obligations spécifiques pour l’État bénéficiaire dont des puissances tierces vont assurer la garantie[1]. Le droit de la neutralité fixe les droits et les obligations existant entre les États belligérants et les États neutres dans le cadre d’un conflit armé international. Il est régi par les conventions de la Haye de 1907 concernant les droits et les devoirs des puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre et en cas de guerre maritime, ainsi que par le droit coutumier international. Le droit de la neutralité se conjugue avec la politique de neutralité́. Au regard du droit international, tout État détenteur de la neutralité permanente a le devoir de ne pas s’impliquer dans les conflits armés. Du point de vue historique et constitutionnel, la neutralité permanente ne constitue pas le but mais l’objectif de la politique étrangère de la Suisse. Elle est un des instruments qui lui permette en particulier d’assurer son indépendance, sa sécurité́ et de promouvoir un ordre international juste et pacifique[2]. L’usage direct de la force à titre offensif est rejeté par la Confédération. La neutralité permanente de la Suisse est donc obligatoire car elle repose sur le droit international y compris la Charte des Nations Unies. La Suisse ne voit pas en cette neutralité permanente un inconvénient pour assumer le rôle de membre non-permanent, au contraire, elle constituerait selon ses plus hautes autorités un avantage diplomatique qui lui donne la capacité d’expression et de réaction sur les affaires courantes et les sujets internationaux. D’ailleurs, la pratique observée au sein du Conseil de sécurité́ révèle l’acceptation de la neutralité des États membres. Le ministre des Affaires étrangères de la confédération déclare à ce propos : « Si nous devons nous exprimer au Conseil de sécurité, ou si un vote devait avoir lieu sur certaines questions nous voterions sur la base de notre stratégie de politique extérieure et notre profil de politique étrangère. La Suisse partage régulièrement son point de vue sur des questions actuelles et sensibles au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Les conflits d’objectifs font partie de la vie quotidienne en politique étrangère. La Suisse entend préserver ses intérêts et valeurs fondées sur la constitution et le droit international au Conseil de sécurité[3]».

Dans un contexte marqué par le conflit en Ukraine, les États neutres sont souvent critiqués pour leur prise de position considérée comme faisant partie d’un autre temps. La réaction du ministre des Affaires Étrangères de la Confédération conduit à deux constats. La promotion de la personnalité internationale de la Suisse et l’effectivité de la mise en œuvre de la neutralité permanente dans le cadre du multilatéralisme. La politique étrangère de neutralité Suisse contribue au rayonnement diplomatique en renforçant la diffusion les préoccupations de la politique exterieure et de sécurité dans le cadre de l’ONU.  Elle ne s’applique pas aux mesures coercitives adoptées par le Conseil de sécurité́. En revanche, tant que le Conseil de sécurité n’a pas adopté de mesures pertinentes, la Suisse continue à invoquer sa neutralité en cas de conflit armé international. La formulation de la politique étrangère Suisse ne saurait de ce fait, être modifiée au prétexte de son élection au Conseil de sécurité.  Lors des conflits au Kosovo en 1999, et en Iraq en 2003, la non-autorisation par l’ONU du recours à la force a amené la Suisse à refuser l’autorisation des survols militaires de son territoire vers ces zones de conflits. Ces derniers mois, depuis le début du conflit en Ukraine, elle a de nouveau refusé le survol de son espace aérien par les armées allemandes et danoises. Malgré les votes en faveur des sanctions vis-à-vis de la Russie, la Suisse maintien sa ligne directrice. L’historien Christophe Farquet précise à ce sujet que « la neutralité Suisse n’est pas une politique à géométrie variable, elle n’est pas intangible mais varie en fonction de l’époque et des circonstances »[4].

Finalement, la politique étrangère de neutralité permet à la Suisse de maîtriser ses relations internationales. Au même titre que les autres États souverains elle possède tous les instruments pour influer sur les activités du Conseil de sécurité. Dans la mesure où sa vision semble cohérente, comment la confédération prévoit d’agir lors de son mandat ? quelles sont ses priorités ? À ce propos il convient de souligner que le programme de la Suisse pour le mandat 2023-2024 s’organise autour de quatre axes transversaux qui lui donnent l’opportunité de consolider ses atouts et de construire des ponts entre les hommes, les institutions et les pays engagés dans la préservation de la paix et la sécurité internationales.

 2/ La politique étrangère de neutralité permanente, pierre angulaire de la stratégie Suisse au Conseil de sécurité.

La stratégie de la Suisse au Conseil de sécurité s’est construite à partir du statut d’observateur[5] et de son admission comme 190e pays membre des Nations Unies, le 10 septembre 2002[6] par résolution S/RES/1426. Il s’agit pour le pays de gagner en visibilité tout en jouant un rôle de facilitateur. Pour devenir membre du Conseil de sécurité la Suisse s’est préparée pendant onze années et sa campagne sur le thème « Un plus pour la paix, A plus for Peace » était renforcé par des sous thèmes apportant au dossier de candidature de la crédibilité. Ainsi, les sous-thèmes, un plus pour l’humanité, place l’homme au centre de toutes les actions, un plus pour le développement, a pour but d’atteindre les 17 objectifs de l’Agenda 2030, un plus pour le multilatéralisme, entend donner une dimension universelle aux bonnes pratiques et au renforcement des méthodes de travail au sein des Nations Unies, et un plus pour l’innovation, promeut le savoir-faire et les avancées de la Suisse dans le cadre global. Le travail de fond effectué par les diplomates suivant les orientations des autorités politiques et parlementaires s’est soldé par la présentation du programme stratégique[7]. En mai 2023, mois dédié au débat sur la protection des civils durant les conflits, la Suisse va assurer la présidence mensuelle tournante. Elle pourra alors décliner ses priorités et défendre ses propositions.  L’on sait déjà à travers la voix de ses autorités politiques qu’elle est déterminée à mettre en valeur ses atouts dans le domaine des droits de l’homme. Cette déclaration du ministre des Affaires Étrangères résume l’ambition de la Suisse au Conseil de sécurité : « Au Conseil de sécurité nous souhaitons apporter l’expertise Suisse en matière de paix dans le monde, défendre nos intérêts et nos valeurs. En tant que pays neutre avec notre tradition humanitaire et de bons offices contribuer à des solutions de compromis ». Aussi, le 4 août 2022 la confédération a présenté ses quatre axes prioritaires : construire une paix durable, protéger la population civile, renforcer l’efficience du Conseil de sécurité et agir pour la sécurité climatique. L’évolution et les changements du contexte de la mondialisation amènent la Suisse à plaider en faveur d’un multilatéralisme plus efficace. Aussi, les principes de la Suisse s’énoncent à travers la solidarité et la responsabilité, la prévention des conflits et la médiation, la promotion et le maintien de la paix, le désarmement et la non-prolifération des armes nucléaires. La ligne directrice de l’action multilatérale se résume à la recherche des solutions négociées en cas de conflits.

Il convient de souligner que la Suisse a acquis au sein de l’ONU la réputation d’un partenaire impartial et toujours prêt à rechercher des solutions. Elle s’est engagée à faire respecter l’État de droit, les droits de l’homme et le droit international humanitaire mais également renforcer l’aide humanitaire dans le monde. Conformément à ses aspirations pacifiques, la Suisse propose un ensemble d’actions concertées en temps de crises pour la résolution des conflits par le dialogue. Bien qu’elle n’ait pas souvent joué un rôle actif dans le débat sur la réforme du Conseil de sécurité notamment l’élargissement de ses membres, la Suisse entend au cours de son mandat, renforcer sa contribution. Il s’agit de faire du Conseil de sécurité une plate-forme représentative et efficace d’une part, et d’autre part, poursuivre des processus existants tout en encourageant des interactions entre les deux points névralgiques de la paix et la sécurité internationales, Genève et New-York.

La poursuite de ses actions s’organise à travers des groupes et institutions onusiennes auxquels elle est affiliée et au sein desquels elle joue les rôles de coordinateur, de facilitateur ou alors elle assume la présidence. Faisant partie des dix premiers États contributeurs au maintien de la paix dans le monde, la Suisse s’engage dans des processus de médiation qui vise à faciliter, encourager et promouvoir les accords de paix entre parties antagonistes dans le cadre du renforcement de la coopération entre le Conseil de sécurité et la Peace Building commission. Membre actif du comité directeur de l’AIEA dans le cadre de la lutte contre le désarmement et la non-prolifération des armes nucléaires, elle assure la présidence du centre de contrôle des missiles technologiques pour la période 2022-2023. La Suisse coordonne le groupe ACT de représentation transrégionale de 21 membres de l’ONU qui œuvre à la révision des méthodes de travail du Conseil de sécurité et à l’augmentation des responsabilités des membres ainsi que la transparence des méthodes de travail. Point focal avec l’Afrique du Sud, du réseau d’experts sur les femmes, la paix et la sécurité, elle a présidé le mécanisme de la commission de paix des Nations Unies au Burundi. La Suisse participe également aux opérations de paix même si sa contribution en ressources humaines n’est pas importante.  Cette année par exemple elle a déployé trente-cinq ressortissants civils et militaires dans six opérations de maintien de la paix dans le cadre de MINURSO-MINUSMA-UNMISS-UNMOGIP-UNTSO. La Suisse tient également des enjeux climatiques c’est la raison pour laquelle elle prend en compte de l’urgence climatique. Finalement, il en résulte de ce qui précède qu’à partir de la neutralité permanente la politique étrangère la Suisse a l’ambition d’accroître sa crédibilité, sa fiabilité et de mettre en avant ses compétences. La dimension représentative de la diplomatie vient en soutient à son image. Finalement, au cours de son mandat la Suisse veut contribuer à l’instauration d’un ordre international équitable sur la promotion de ses valeurs, la défense de ses intérêts et assumer ses responsabilités par ses propres moyens de manière autonome.

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Il est difficile en l’état de prédire de la mise en œuvre optimale du programme de la Suisse au Conseil de sécurité.  Toutefois, le caractère conciliable de la neutralité permanente de sa politique étrangère avec le siège de membre élu lui offre l’opportunité de consolider son rôle de médiateur traditionnel et impartial aux Nations Unies. Sur le plan technique, la Suisse pourra partager son savoir-faire dans les bons offices et en matière d’innovation. Grâce aux interactions coopératives, elle va renforcer ses alliances dans le cadre dynamique des solidarités entre petits États. L’on suppose que les expériences des pays tels que la Norvège, la Suède et la Finlande sont à même de l’inspirer. Sur le plan pratique, il sera intéressant de voir comment la Suisse influence les négociations à travers l’axe de renforcement du multilatéralisme. Finalement, la Confédération va certainement multiplier les projets de résolutions autour des pourparlers et sur la protection dans les conflits d’une part, et d’autre part, les propositions pour des réunions de groupes des amis et des formations à l’endroit des acteurs impliqués dans les négociations. Toutes ces actions contribueront à pérenniser sa vision globale dont les leviers de la politique étrangère s’inscrivent dans la promotion d’un ordre international juste et pacifique.

[1] Pancracio Jean-Paul, Dictionnaire de la diplomatie, Canéjean, 2019, p.451.

[2] Constitution de la Confédération Suisse, art.2. chap.4

[3] Déclaration de monsieur du ministre des Affaires Étrangères

[4] Bondolfi Sibilla, « À quel point la Suisse est-elle vraiment neutre ? » en ligne sur le site de swissinfo.com https://www.swissinfo.ch/fre/a-quoi-pourrait-ressembler-la-neutralit%C3%A9-%C3A0-l-avenir-/47419, 7 juin 2022, consulté le 10 octobre 2022.

[5] Ce statut d’observateur n’avait aucune base juridique mais reposait sur un arrangement tacite depuis 1946 à New-York et 1965 à Genève.

[6] La demande d’adhésion s’est effectuée après le référendum du 3 mars 2002 qui a connu un vote de favorable avec un taux de 54,6% soit la moitié de la population Suisse.

[7] Rapport du Conseil Fédéral en réponse au postulat (13.3005) de la Commission de politique extérieure du Conseil national (CPE-N) du 15 janvier 2013 publié le 5 juin 2015. En ligne sur le site du Département Fédéral des Affaires Étrangères de la Confédération Suisse.