ThucyBlog n° 253 – Le désengagement de la force Barkhane : un parcours semé d’embûches

Crédit photo : Ministère des Armées (domaine public)

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Par Christophe Richer, le 16 novembre 2022 

Le lundi 2 mai 2022, le Mali a décidé de dénoncer trois accords le liant à la France : le traité de coopération en matière de défense du 16 juillet 2014, l’accord déterminant le statut de la force « Serval » des 7 et 8 mars 2013 et son protocole additionnel des 6 et 10 mars 2020 encadrant le statut des forces non françaises insérées dans l’opération Takuba. Ces dénonciations s’intègrent au contexte de la crise diplomatique opposant les autorités maliennes, issues du coup d’État de mai 2021, à la France et ses alliés. En effet, depuis mai 2021, la junte militaire malienne conteste régulièrement la présence d’éléments militaires sur son territoire, et l’atteinte à sa souveraineté, quand bien même, elle a autorisé la présence sur le territoire des mercenaires russes du groupe Wagner.

Le 17 février dernier, le Président Macron avait annoncé la fin des opérations Barkhane et Takuba et la réorganisation du dispositif militaire français dans la bande sahélo-saharienne, après 9 ans de présence militaire dans la région. Ce retrait, ordonné, doit durer 6 mois. En réaction à l’annonce d’Emmanuel Macron, le colonel Goïta, président des autorités de transition, a demandé le départ « sans délai » des forces françaises et européennes.

Cette dénonciation appelle trois séries de remarques.

Le contenu des accords dénoncés

À la demande des autorités maliennes, la France a déclenché le 11 janvier 2013 l’opération Serval qui avait pour objectif premier d’empêcher que les groupes terroristes installés au Nord-Mali ne s’emparent du pouvoir à Bamako. L’opération Serval, et à sa suite l’opération Barkhane, étendue le 1er août 2014, à l’ensemble de la bande sahélo-saharienne, ont reçu comme mandat d’empêcher la réinstallation de ces groupes terroristes.

 L’accord des 7 et 8 mars 2013 vient encadrer cette présence militaire, en accordant à la France un ensemble de facilités. En application de cet accord, les militaires français affectés aux opérations Serval et Barkhanepeuvent entrer sur le territoire malien sans formalités, peuvent s’y déplacer librement, peuvent porter des armes conformément à la législation française, peuvent importer librement le matériel dont ils ont besoin, etc. En outre, dans le respect du droit international humanitaire, les militaires françaises peuvent assurer la rétention de ressortissants maliens. Ceux-ci sont ensuite remis aux autorités maliennes à des fins de judiciarisation. À cet égard, la France a obtenu un certain nombre de garanties, dont l’engagement du Mali à ne pas recourir à la peine de mort ou à des traitements inhumains, notamment la torture, et le droit de visite, dans les prisons maliennes, des personnes remises.

L’accord des 6 et 10 mars 2020 vient étendre le bénéficie des dispositions de l’accord de mars 2013 aux militaires européens participants à l’opération Takuba. Cet accord leur reconnaît les mêmes droits et les mêmes obligations qu’aux forces françaises. La particularité de cet accord tient à ce qu’il juxtapose les coopérations trilatérales, entre la France, l’État européen qui apporte des forces spéciales et le Mali puisque le consentement de l’État européen à être lié par cet accord de mars 2020 doit être signifié à la France et au Mali.

Le traité de coopération en matière de défense du 16 juillet 2014 a un objet beaucoup plus large. À la fin des années 2000 et au début des années 2010, la France a pris l’initiative de réviser son réseau d’accords de défense conclus avec les États africains après leur indépendance. La conclusion du traité de coopération de 2014 s’inscrit dans ce mouvement. Ce traité a vocation à remplacer l’accord de coopération militaire technique de 1985 qui organisait alors la coopération de défense entre Paris et Bamako. Il vient encadrer les activités entreprises par la France aux fins, notamment, d’entraînement des Forces armées maliennes.

Le régime juridique prévu par ce traité est bien plus strict que le régime juridique envisagé par l’accord de mars 2013, en ce qu’il stipule la soumission partielle des éléments militaires français à la loi malienne. Ainsi, le port d’arme par les soldats français est ici soumis au respect de la loi malienne. Préalablement à l’importation de matériels, l’armée française doit respecter un certain nombre de procédures douanières qui permettent, entre autres, aux autorités maliennes de fouiller les marchandises. Surtout, l’article 15 du traité affirme la compétence de principe des juridictions maliennes pour juger les infractions commises par les militaires français.

L’effectivité des dénonciations

L’article 26 du traité de 2014 prévoit que sa dénonciation est effective six mois après notification de la dénonciation à l’autre partie. Ce délai a été rappelé par les autorités maliennes. La dénonciation sera donc effective le 2 octobre 2022.

La question est moins évidente pour les accords de mars 2013 et de mars 2020. Lors de l’annonce de la dénonciation, les autorités maliennes ont affirmé que celle-ci prenait immédiatement effet. Pourtant, ni l’accord de mars 2013, qui envisage seulement sa disparition après le départ des militaires français du Mali, ni l’accord de mars 2020, qui impose une concertation sur la mise en œuvre de la dénonciation entre les trois parties, ne prévoient la possibilité d’une dénonciation immédiate. Il faut alors regarder le droit international général, qui, en matière de droit des traités, est codifié par la Convention de Vienne sur le droit des traités.

La Convention de Vienne pose le principe d’un délai de 12 mois entre la notification de la dénonciation par une partie et l’entrée en vigueur de celle-ci. Ce délai peut être réduit en cas d’accord entre les parties, ce qui en l’espèce est improbable, ou en cas de violation substantielle du traité. Dans ce cas, la dénonciation est immédiatement effective. Au soutien de son argumentation, le gouvernement malien invoque « les atteintes flagrantes » par les militaires français à la souveraineté nationale malienne et « les multiples violations » de l’espace aérien malien.

Pour le moment, les autorités maliennes ne précisent pas les faits qui attesteraient de l’atteinte à la souveraineté nationale malienne par les militaires français. Il est donc impossible de juger de la pertinence de cet argument, mais il est à replacer dans le contexte de la brouille diplomatique qui oppose Paris à Bamako. Le 12 janvier dernier, le Mali avait, en effet, annoncé la mise en place d’interdiction de survol de certaines parties de son territoire aux appareils militaires européens. Or, cette interdiction de survol est en contradiction avec les accords de mars 2013 et de mars 2020 qui permettent aux forces françaises et aux forces européennes de circuler librement sur le territoire malien. La junte militaire reproche donc à la France de violer une interdiction qui est elle-même illicite. On le voit bien, l’argument est peu convaincant.

En l’état, ces éléments ne permettent pas de considérer que la France aurait substantiellement violé les accords précités de sorte qu’il faut considérer que ceux-ci perdront leur valeur juridique à la suite du départ du dernier militaire français affecté à Barkhane du territoire malien ou dans un délai de douze mois à compter de la notification de la dénonciation à la France et aux partenaires européens de l’opération Takuba. Le mardi 3 mai, la France a annoncé regretter la dénonciation, qui ne modifierait pas son calendrier de retrait, qui doit s’achever en août.

L’impact sur le désengagement français et sur les relations franco-maliennes 

Même à considérer que les accords de statut des forces cessent d’exister à compter de la notification de leur dénonciation, la présence militaire française au Mali n’est pas illicite. Elle s’opère dans le cadre du traité de 2014 qui, pour 6 mois encore, constitue le droit commun entre la France et le Mali de la coopération militaire entre les deux États. La France peut donc continuer son désengagement du Mali, en respectant les stipulations du traité de 2014. En revanche, il lui est devenu impossible de continuer toute opération offensive sur le territoire malien contre les groupes terroristes. Ces remarques s’appliquent également aux contingents européens affectés à Takuba.

Concrètement, ces dénonciations risquent de compliquer les relations avec les militaires maliens auxquels les militaires français restituent les bases. Ces relations s’étaient tendues déjà en avril après que l’armée malienne a tenté d’accuser la France d’avoir, à Gossi, près d’une base française, tenté de camoufler des crimes de masse en creusant un charnier. L’armée française a accusé les mercenaires du groupe Wagner.

La France a donc intérêt à accélérer son retrait du Mali, notamment en direction du Niger, dont le Parlement vient d’approuver le déploiement d’installations militaires sur son territoire. Ces dénonciations témoignent de l’impossibilité de travailler avec les autorités maliennes, qui préfèrent faire porter à la France seule la responsabilité de l’échec des politiques déployées dans le nord Mali qui ne sont pas parvenues à réinstaller l’État malien dans des zones qui échappent à son contrôle.

Cet épisode interroge la pérennité de la MINUSMA, déployée par l’Organisation des Nations Unies. L’Allemagne, qui affecte 1000 hommes à l’opération, a d’ores et déjà annoncé réexaminer sa contribution en vue de la renégociation du mandat de l’opération qui doit intervenir avant juin au Conseil de sécurité. L’attitude du Mali isolera le pays de ses alliés européens et renforcera l’emprise de la Russie sur l’appareil sécuritaire du pays. Les expériences ukrainiennes et centrafricaines nous ont montré que les Russes ne s’embarrassaient guère du respect du droit international. Là-bas aussi, les populations en seront les premières victimes.