ThucyBlog n° 256 – Que reste-t-il de la Ligue arabe ?

Crédit photo : présidence algérienne (domaine public)

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Par Rachid Chaker, le 7 décembre 2022 

Le sommet de novembre dernier à Alger se voulait être un moment fédérateur pour les Etats membres de l’organisation panarabe, déchirée depuis l’éclatement des révolutions populaires à la fin de l’année 2010 et ayant fortement contribué à remodeler le paysage politique régional. Cette contribution vise à établir un état des lieux de l’organisation panarabe, qui semble à bien des égards n’être plus que l’ombre d’elle-même.

La cause palestinienne, jadis fédératrice au sein de la Ligue mais désormais dépourvue de soutien concret

Créée en 1945, la Ligue arabe s’est rapidement articulée autour du soutien à la cause palestinienne. La création de l’Etat hébreu en mai 1948 servira en effet d’élément fédérateur des nations adhérant à cette organisation voulant garantir la souveraineté des Etats arabes, dans un contexte globalisé de décolonisation. Malgré les divergences qui ont pu survenir à plusieurs reprises entre ses membres sur la question au cours de la seconde moitié du vingtième siècle (sans parler des rivalités intra-arabes en partie liées aux personnalités affirmées des différents leaders), la lutte pour la libération de la Palestine a souvent permis de relancer une organisation dont l’utilité réelle fut à plusieurs reprises questionnée, notamment à partir des années 1980. Ainsi, en 2000, fut instaurée l’organisation annuelle d’un sommet réunissant les chefs d’Etats des vingt-deux Etats arabes, dans un contexte de seconde Intifada palestinienne. Dans la continuité de cette décision, en 2002, le sommet arabe de Beyrouth proposa, à l’initiative du prince héritier saoudien, dirigeant de facto le royaume, un plan de paix à Israël prévoyant la reconnaissance par les Etats arabes de l’Etat hébreu en échange notamment d’un retour aux frontières d’avant le conflit de 1967. Cette proposition fut renouvelée lors du sommet de 2007 mais fut de nouveau rejetée par Israël. Toutefois, cette mise sur le devant de la scène de la question palestinienne ne doit pas faire oublier que la Ligue à ce jour, malgré ses nombreuses déclarations hostiles à Israël, s’avère être davantage passive qu’une véritable force d’initiative. Et ce d’autant plus que plusieurs Etats, tels que les Emirats arabes unis, Bahreïn ou le Soudan ont engagé en 2020 une normalisation avec Israël sans exiger de contrepartie sur le dossier palestinien, comme le prévoyait pourtant le plan de paix de 2002.

Est-ce à dire que les questions arabes ne préoccupent plus les populations du Maghreb au Golfe? Même si la cause palestinienne semble en effet avoir été reléguée au second plan des thématiques arabes, il demeure toutefois une solidarité latente avec les Palestiniens au sein des populations arabes. En témoignent les exhibitions de drapeaux palestiniens par des supporters (notamment marocains et tunisiens) lors du Mondial de football à Doha.

Des divisions creusées par les Printemps arabes

L’éclatement des Printemps arabes, et les divisions survenues entre membres de la Ligue, contribuèrent par ailleurs à paralyser sérieusement l’organisation. L’exclusion de la Syrie (2011), la prise de position hostile à Mouammar Kadhafi (2011), puis le classement comme organisations terroristes de plusieurs groupes armés du Moyen-Orient, comme le Hezbollah libanais (2016), malgré les réticences de plusieurs Etats membres, exposa au grand jour les divisions d’un monde arabe traversé par une crise sans précédent. Il est par ailleurs possible d’ajouter à ces tensions les affrontements politiques et/ou militaires directs ou indirects entre membres ayant pu survenir en Libye ou en Egypte (on se souviendra de la crise du Golfe débutée en 2017), ainsi que les positions divergentes entre Etats membres sur le rapport à l’Iran. Aujourd’hui encore, la réintégration de la Syrie au sein de l’organisation panarabe fait débat. Certains Etats comme le Qatar semblent y être défavorables, lorsque les Emirats arabes unis semblent avoir pris politiquement acte de la « victoire » politique de Bachar Al Assad.

Le sommet d’Alger, un acte manqué ?

Alors que la diplomatie algérienne espérait faire de ce sommet un moment de relance de l’unité arabe, après une absence de réunion de ses leaders depuis près de trois années, force est de constater que cette grande messe diplomatique fut un échec. L’absence remarquée de plusieurs dirigeants arabes de premier plan (comme Mohamed Ben Salman d’Arabie saoudite, prétextant un problème à l’oreille l’empêchant de voyager – problème semble-t-il résolu préalablement à son déplacement au sommet du G20 prévu seulement quelques jours plus tard) laissait d’emblée planer le doute quant à une volonté partagée des dirigeants arabes de relancer collectivement l’organisation. Par ailleurs, la relative faiblesse du communiqué final qui, malgré sa réaffirmation du soutien de la Ligue à la cause palestinienne, ne laisse envisager aucune action réelle sur le sujet, symbolise l’incapacité de l’organisation à entreprendre quoi que ce soit de concret sur la question. Plus largement, les grands dossiers concernant la Ligue elle-même, notamment la réforme de son fonctionnement, semblent patiner et ce sommet n’aura en rien permis d’engager un tournant décisif.

Vers une disparition politique de la Ligue ?

Par le passé, de grandes personnalités arabes (Gamal Abdal Nasser, Hosni Moubarak, Hussein de Jordanie, Hassan II, voire même Mouammar Kadhafi, connu pour ses discours remarqués à la Ligue) ont pu faire des sommets arabes des vitrines de la vie politique régionale, pouvant donner à ces réunions politiques une portée presque historique. Ce temps semble aujourd’hui révolu. Pour preuve, ces sommets désormais organisés chaque année, à l’exception des années 2020 et 2021 pour cause de COVID, ne font plus nécessairement l’objet d’une diffusion en direct sur les chaines de télévision arabes, et plusieurs chaines d’information de référence n’ont mentionné le sommet d’Alger qu’à la marge. Le développement politique du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et la création de nouveaux sommets régionaux  (comme celui entre l’Irak, la Jordanie, et l’Egypte en 2021 ou celui plus récent d’aout 2022 auquel participèrent également les Emirats arabes unis et Bahreïn) pourraient avoir relégué la Ligue à une place secondaire et sans intérêt dans le paysage politique arabe. Il est ainsi à se demander si à terme la Ligue arabe ne subira pas le même sort que l’UMA, l’Union du Maghreb arabe, créée en 1989 et paralysée depuis 1994 en raison notamment des tensions algéro-marocaines.

A l’heure où la scène internationale se voit en partie reconfigurée par l’agression russe de l’Ukraine, que les questions énergétiques et alimentaires occupent le devant de la scène, avec des impacts certains pour les populations de plusieurs pays arabes, il ne peut être que regrettable de constater un tel immobilisme et de telles divisions au sein du monde arabe. En conclusion, rien ne semble plus pertinent pour décrire cette situation que la célèbre citation particulièrement répétée dans le monde arabe : « les Arabes sont d’accord pour ne pas se mettre d’accord ».