ThucyBlog n° 267 – Guerre d’influence et rapprochement entre la Russie et l’Afrique : le rôle des militants panafricains au service de l’influence russe sur le continent africain

Crédit photo : Kremlin (domaine public)

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Par Ibrahima Dabo, le 1er février 2023

On a tendance à imputer la responsabilité de l’exacerbation du sentiment anti-français ou du rejet de la politique africaine de la France à la Chine ou à la Russie par le biais de leurs médias internationaux très présents en Afrique. Au-delà de la manipulation de l’information et de la propagande menées par les organes informationnels russes et les réseaux liés à Evgueni Prigogine pour permettre à Moscou de reprendre pied en Afrique, force est de constater que la Russie a des relais d’influence qui agissent sur le continent pour accroitre son influence en même temps contribuer à pousser la France hors du continent africain. Ces relais d’influence sont des militants africains très influents qui œuvrent pour le rapprochement entre la Russie et l’Afrique. Le continent africain devient une priorité et occupe une grande place dans la politique extérieure russe. Le retour de la Russie en Afrique marque l’acmé des tensions dans les relations entre la France et la Russie. Ces deux pays se livrent à une bataille sans merci pour le contrôle du Sahel et toute cette zone de l’Afrique de l’Ouest. Le continent africain devient le nouveau théâtre des rivalités géopolitiques. Une guerre d’influence se joue entre Paris et Moscou en Afrique.

Depuis le sommet de Sotchi en 2019, Nathalie Yamb est devenue une figure emblématique du mouvement panafricain du fait de son combat contre la présence française en Afrique. Pour rappel, lors du sommet Russie-Afrique à Sotchi du 23 au 24 octobre 2019, elle faisait partie des invités de Vladimir Poutine. L’activiste avait tenu un discours hostile lors de ce sommet pour critiquer ouvertement la présence française en Afrique. « Pourtant force est de constater qu’après l’esclavage, après la colonisation, après les pseudos indépendances, on nous a reconnu que le droit d’être libre… mais seulement au sein de l’enclos français. L’Afrique francophone est encore aujourd’hui en octobre 2019 sous le contrôle de la France »[1]. Au lendemain de cette diatribe à l’égard de la France, Nathalie devient célèbre et s’illustre dans la lutte pour la libération du continent africain et contre la présence française. Depuis ce sommet, le nombre de ses abonnés sur Facebook et Twitter se multiplie du fait de ses sorties virulentes contre la France. Nathalie Yamb mène des opérations d’influence sur les réseaux sociaux pour le compte de la Russie. Force est constater que Nathalie Yamb surnommée « la dame de Sotchi » déroule l’agenda de Moscou en Afrique. Elle entretient de bons rapports avec le Kremlin. Cette suissesse d’origine camerounaise relaie à travers ses comptes Facebook, Twitter et YouTube le discours anti-français et promeut le rapprochement entre la Russie et l’Afrique. Elle soutient et défend les positions de la Russie. Elle ferme les yeux sur la présence et les agissements des mercenaires du groupe Wagner au Mali et en Centrafrique.

Nathalie Yamb entretient de bonnes relations avec le panafricain Kemi Seba qui la considère comme sa sœur de lutte. Au-delà de la proximité entre les deux militants, il est frappant de constater qu’ils partagent également les mêmes points de vue au sujet du rapprochement entre la Russie et l’Afrique. La dame de Sotchi peut être considérée comme un relais d’influence au service du Kremlin. C’est la raison pour laquelle elle cible la France dans ses différentes sorties pour permettre à la Russie de se repositionner en Afrique. Dans une de ses publications sur Twitter, elle s’en prend violemment à l’armée française : « Que ces bons à rien de français dégagent, on va se gérer autrement »[2]. De tels propos à l’endroit de la France ou de l’Armée française sont devenus récurrents. Les différentes publications de Nathalie Yamb sont reprises sur les réseaux sociaux par des activistes pro-russes de même que les médias internationaux RT et Spoutnik dans le but de toucher davantage le public francophone. Les organes informationnels russes RT et Spoutnik jouent un rôle non négligeable dans la propagation du discours pro-russe et servent de caisse de résonnance. Le rôle de Nathalie Yamb a été d’une importance capitale dans l’exacerbation du sentiment de rejet de la politique africaine de la France noté ces dernières années en Afrique francophone.

Les différentes sorties et positions hostiles de Nathalie Yamb à l’égard de la France ont poussé les autorités françaises à réagir. Un arrêté du ministère de l’Intérieur datant du 12 janvier 2022, a été sorti le 14 octobre 2022, pour interdire l’activiste d’entrer et de séjourner sur le territoire français. Selon les autorités françaises, la militante panafricaine exacerbe les tensions et encourage la haine et la violence à l’égard des symboles de la présence française en Afrique. La France reproche à Nathalie Yamb « des propos virulents à l’égard des positions françaises sur le continent africain susceptibles de favoriser l’entrisme des puissances étrangères hostiles à la France sur le continent africain et d’alimenter le développement d’un ressentiment populaire anti-français en Afrique, mais également parmi les diasporas africaines en France »[3]. Si les autorités françaises ont pris cette décision, c’est parce qu’elles sont conscientes de la portée du discours qu’elle propage sur le continent à travers les réseaux sociaux contre les intérêts français. Nathalie Yamb a contribué à sa manière à la perte d’influence de la France en Afrique de l’Ouest du fait de son implication dans la lutte panafricaine contre la présence française en Afrique. La France est très décriée sur les réseaux sociaux par des militantes comme Nathalie Yamb, ce qui a contribué à faire perdre à Paris une grande partie de la bataille de l’opinion et un pan de son pré-carré. Plusieurs militants panafricains sont aujourd’hui des pro-russes reconnus.

La Russie a réussi à avancer ses pions sur le continent par le biais de ses relais d’influence.  Ils ont joué un rôle d’une importance capitale dans le retour de la Russie en Afrique. Il est important de souligner que la plupart des relais d’influence au service de l’influence russe sont des militants très influents sur le continent africain. On peut citer Kemi Seba, Nathalie Yamb, Adama Ben Diarra du mouvement Yerewolo au Mali et de Blaise Didacien Kossimatchi de la Galaxie nationale en Centrafrique. Toutes ces figures panafricaines sont des pro-russes reconnues. Ils défendent la Russie et œuvrent pour le rapprochement entre Moscou et le continent africain. La Russie compte sur ces activistes pour gagner les cœurs et les esprits des africains afin de pousser la France hors du continent africain. Le discours et le narratif de ces militants pro-russes sont repris par une grande partie de la jeunesse africaine sur les réseaux sociaux. C’est la raison pour laquelle, il n’est pas surprenant de voir lors des manifestations le drapeau russe à Bangui, à Bamako à Ouagadougou et à Niamey. Le drapeau russe est même devenu le symbole de la libération du continent qu’on voit de façon récurrente lors des manifestations.

Le discours de ces militants trouve un terrain fertile à la propagande et à la manipulation. La France a beaucoup perdu sur le continent africain à cause des agissements de ces militants qui alimentent le sentiment de rejet de la politique africaine de la France. Ces militants panafricains mènent un combat contre la présence française et se montrent favorables par rapport au rapprochement entre la Russie et l’Afrique.

Tout comme Nathalie Yamb, Kemi Seba est aussi un acteur incontournable dans la lutte contre le néocolonialisme et connu pour ses diatribes contre la présence française en Afrique. L’activiste béninois dirige l’ONG Urgences panafricanistes. Kemi Seba entretient des liens très étroits avec l’idéologue Alexandre Douguine, celui qui a théorisé l’idée d’un monde multipolaire, un des grands détracteurs de la présence occidentale en Afrique. Selon Douguine, une décolonisation profonde du continent africain est devenue une nécessité. Il considère Kemi Seba comme « l’un des acteurs les plus populaires d’Afrique, un combattant éminent contre le colonialisme, et en particulier la France-Afrique, ainsi qu’un critique sévère du mondialisme et du libéralisme »[4]. Kemi Seba partage une grande partie de la pensée de Douguine dont ses contributions servent d’éléments de langage pour légitimer le combat panafricain. Partageant le même combat, Alexandre Douguine a accepté de préfacer le livre de Kemi Seba intitulé « L’Afrique libre ou la mort » publié en 2018. Douguine écrit au sujet de l’activiste béninois, « A nos yeux, et considérant tous ces éléments, en ce début 21ème siècle, Kemi Seba ne constitue pas seulement une chance pour l’Afrique. Il est un espoir pour toutes les forces de résistances multipolaires »[5]. Kemi Seba a été reçu le 13 décembre 2017 à Moscou par Alexandre Douguine. L’idéologue lui considère comme étant un élément important dans la lutte contre le néocolonialisme. Kemi Seba partage la pensée de Douguine sur le monde multipolaire où l’Afrique sera un des pôles. Alexandre Douguine l’a théorisé dans son livre intitulé « pour une théorie du monde multipolaire »[6]. L’activiste considère la fille de l’idéologue, Daria Douguina (morte lors d’un attentat, l’explosion de sa voiture) son amie et sa collaboratrice. Ceci montre véritablement les liens entre Kemi Seba et la famille d’Alexandre Douguine. La proximité entre Douguine et Kemi Seba traduit une convergence de vue sur le néocolonialisme occidental en Afrique et l’idée d’un monde multipolaire qu’ils partagent. C’est pourquoi, il n’est pas surprenant de voir Kemi Seba se montrer favorable au retour de la Russie en Afrique. Il porte même le discours du retour de la Russie en Afrique et se montre virulent à l’égard de la France.

Kemi Seba entretient également des liens très étroits avec les autorités russes. C’est le cas avec le vice-ministre des Affaires étrangères chargé de l’Afrique et du Moyen-Orient, Mikhaïl Bogdanov qu’il a rencontré dans le but de revigorer les relations entre la Russie et l’Afrique. Il a également des liens avec Evgueni Prigogine, celui qu’on peut considérer comme l’élément central chargé de l’influence et de la propagande russe en Afrique. Prigogine mène des opérations d’influence et de propagande en Afrique pour le compte du Kremlin par le biais de ses réseaux. Le patron du groupe Wagner, Evgueni Prigogine est un acteur incontournable de la désinformation et de la propagande russe en Afrique.

Kemi Seba peut être considéré comme étant un activiste au service de l’influence russe en Afrique. Le 24 octobre 2022, il était invité à l’institut d’État des relations internationales de Moscou pour assister à la conférence sur les relations entre la Russie et l’Afrique. La thématique générale de cet évènement portait sur « Africa-Russia, what next ? ». Pour Kemi Seba son allocution portait sur le « rôle du panafricanisme dans la résistance multipolaire à l’oligarchie occidentale ». Il a profité de cette occasion pour critiquer la présence française en Afrique et appeler à un partenariat avec la Russie. Cette conférence marque un tournant décisif dans le combat qu’il mène sur le continent africain. Il assume ses positions par rapport au rapprochement entre la Russie et l’Afrique dans le but de contrecarrer l’hégémonie occidentale comme l’a déjà théorisé Alexandre Douguine. La Russie compte sur l’Afrique pour mettre en place un monde multipolaire. « Et dans cette juste cause, l’Afrique peut être aidée par la Russie, qui restaure son rôle mondial. Après tout, aujourd’hui, la Russie se bat contre l’hégémonie mondialiste occidentale pour un monde multipolaire. Et dans un monde aussi multipolaire, l’Afrique est appelée à devenir un pôle libre et indépendant. Par conséquent, la libération des peuples d’Afrique de la dictature des élites libérales du monde est aussi notre lutte, notre but, notre titre »[7]. Le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov déclare également que l’Afrique est devenue l’un des centres du monde multipolaire. Pour Kemi Seba, la Russie devient garante de la multipolarité et un allié de l’Afrique. Les activistes africains pro-russes se rapprochent de la Russie pour contrecarrer et combattre la présence occidentale en Afrique. Ce rapprochement s’inscrit également dans la politique de la Russie de réaffirmer son rang de grande puissance mondiale perdu depuis la chute de l’URSS et une réelle volonté de mettre fin au monde unipolaire.

[1] Discours de Nathalie Yamb à Sotchi lors du Sommet/Forum Russie-Afrique, octobre 2019

[2] Nathalie Yamb sur Twitter 5 juin 2021

[3] La France informe Nathalie Yamb de son interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire national, RFI

[4] Alexandre Douguine : « la libération complète de l’Afrique est la mission de la Russie », 16 septembre 2021

[5] Alexandre Douguine : « Kemi Seba, un espoir africain d’un monde multipolaire », 18 mai 2022

[6] Alexandre Douguine, « pour une théorie d’un monde multipolaire », Ars Magna Editions mars 2016

[7] Article d’Alexandre Douguine, liberté pour l’Afrique vis-à-vis des mondialistes et des libéraux, geopolitika.ru 24 mai 20212