Par Guillaume Berlat, le 17 février 2023
« Un petit succès pratique vaut mieux qu’un plein wagon de bavardages éloquents » déclarait l’ambassadeur de l’URSS à Londres en 1935, Ivan Maïski. À l’heure de la communication reine, ce jugement n’a pas pris la moindre ride tant la diplomatie déclaratoire prend, de nos jours, le dessus sur la diplomatie exécutoire. Comme la plupart de ses principaux partenaires occidentaux, la France n’échappe pas à la règle. Le moins que l’on puisse est qu’elle excelle dans l’art de la diplomatie du mégaphone. En un mot comme en cent, elle brille au firmament de la diplomatie de la communication. Et cette tendance « Nouveau Monde » ne fait que se confirmer au fil du temps à tel point qu’il est parfois difficile de faire le départ entre diplomatie et communication tant la seconde prend le pas sur la première. Une chose est certaine : à l’heure de la médiacratie, de l’infobésité, de la « vérité alternative », la diplomatie en sort souvent dépréciée, affaiblie.
Une diplomatie de la communication
« On peut mesurer la capacité d’un homme d’État à sa faculté de se taire et de ne rien écrire ». Cette invite de Jules Cambon fut, jusque dans un passé encore récent, le mantra de tous les responsables de la détermination de la politique étrangère, et, surtout, de sa mise en œuvre par les diplomates. En ces temps révolus, les silences du diplomate étaient remarqués, presque à l’égal de ses paroles. À tel point que le porte-parole du Quai d’Orsay était qualifié de porte silence, se contentant d’infirmer ou de confirmer une information et de rappeler les principes pérennes de notre action internationale. Il était vivement conseillé aux jeunes diplomates de se tenir à bonne distance des journalistes et de les renvoyer systématiquement à la voix autorisée du porte-parole. Cette pratique avait l’immense mérite d’éviter la cacophonie médiatique en se gardant de la pratique de la diplomatie oratoire. Il existait une diplomatie des mots choisis pour dire les choses avec prudence. Les diplomates savaient d’expérience que leurs paroles pouvaient être utilisées à mauvais escient. Ils appliquaient à la lettre l’adage, si la parole est d’argent, le silence est d’or. Si elle veut être efficace, la diplomatie doit, au moins dans un premier temps, passer par une certaine confidentialité.
Mais le vent de l’Histoire a, tel un tsunami, balayé ces pratiques d’un autre temps. Le monde a changé : il est devenu fou, rapide et déréglé. Internet et les médias sociaux ont profondément transformé l’exercice du métier de diplomate. La pratique de la réaction immédiate sur les réseaux sociaux (« twiplomatie ») conduit fréquemment à une escalade verbale (en 140 signes) incompatible avec la prudence traditionnelle du langage diplomatique. Morale, compassion et communication : telle est la nouvelle devise de la diplomatie française qui rompt avec la tradition de la raison d’État, de la défense des intérêts nationaux. Elle se complait dans le déclamatoire, parfois la menace ou l’invective gratuite. Et cette approche est d’autant plus dangereuse que l’utilisation d’un mot inapproprié au mauvais moment peut faire dévisser la bourse ou créer une, voire de multiples crises aux effets cumulés. L’on oublie trop souvent que l’un des rôles essentiels du diplomate est celui de parler avec ses adversaires et non de les isoler.
On l’aura compris, nous sommes loin du pouvoir de la parole diplomatique quand les choses sont dites avec à-propos dans des termes aussi simples que possible et qui atteignent leur cible. Ce qui n’est pas le cas dans les trop fréquentes prises de positions de nos dirigeants sur la scène mondiale.
Quelles sont les conséquences pratiques de cette irruption de la communication dans la sphère diplomatique ?
Une diplomatie de la dépréciation
L’inflation des mots, l’abus du langage sont souvent le symptôme du fossé croissant entre les paroles et les actes, entre le poids des mots et le choc du réel. Le président de la République et son/sa ministre de l’Europe et des Affaires étrangères apparaissent plus, de nos jours, comme des commentateurs de l’actualité internationale que comme des acteurs des bouleversements de l’ordre mondial induits en partie par les compétitions sino-américaine et russo-américaine. Leur langage traduit les limites de l’influence française (« soft power ») en Europe et dans le monde. Comme l’écrivait le diplomate Romain Gary, porte-parole de la délégation française à l’ONU au début des années 1950, pour qualifier un certain langage diplomatique ayant cours au sein du machin, « les mots mentent comme ils respirent ».
Sept décennies plus tard, le phénomène n’a fait que s’accentuer tant la diplomatie médiatique (ostentatoire) se substitue à la diplomatie de papa (discrète). Ainsi, la communication fait de plus en plus office de stratégie… avec le résultat que l’on sait sur les principaux dossiers internationaux du moment. À tel point qu’il paraît difficile de définir clairement et simplement les linéaments de notre politique étrangère (la « grande stratégie »), son cap et sa boussole dans ces temps de turbulence durable, sans parler de notre diplomatie fluctuante (« la petite tactique »). Au lieu de clarifier la position française sur les principaux dossiers d’actualité, la ligne politique présidentielle ne cesse de l’obscurcir au point de la rendre parfois illisible[1]. La crise ukrainienne fournit un exemple éclairant de cette politique de gribouille. À une semaine d’intervalle, le chef de l’État proclame qu’il ne faut pas humilier la Russie pour promettre, ensuite, un soutien sans faille à Kiev jusqu’à la victoire finale. Comprenne qui pourra !
En diplomatie, pour être écouté, il faut peu communiquer. Communiquer à bon escient sur les grands principes guidant la politique étrangère française et leur déclinaison concrète à travers la diplomatie. Voir loin dans l’espace et dans le temps ! Une utopie par les temps qui courent. Les responsables de la diplomatie française semblent éprouver quelques difficultés à distinguer l’accessoire de l’essentiel, le détail de la perspective. Par contre, ils multiplient les leçons de morale et de droit à toute la planète, les avertissements virils aux autocrates de la planète, les menaces de sanctions aux fauteurs de trouble, les signes d’arrogance intellectuelle peu prisés de nos partenaires… Plus récemment, les célébrations du 60èmeanniversaire du traité de l’Élysée furent l’occasion d’un florilège de la diplomatie de la langue de bois épaisse.
Le résultat est là : la diplomatie française est de moins en moins audible et son influence est de plus en plus limitée en Europe comme dans le reste du monde.
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La diplomatie doit se montrer sinon secrète, du moins discrète pour être efficace. La diplomatie bavarde, voire compassionnelle n’est jamais de bon augure en termes de lisibilité et d’efficacité. Il est rare qu’elle nous dise grand-chose que nous ne sachions déjà par la documentation ouverte. La diplomatie du verbe ne suffit plus à masquer les contradictions qui affaiblissent la politique étrangère de la France et à compenser sa perte d’influence dans le monde. À trop croire que les mots sont des évènements, la diplomatie se fourvoie dans des chemins de traverse. Même si les mots sont le principal outil du diplomate, il est facile de se perdre dans la sémantique, reléguant ainsi l’action au second rang. Réapprenons avec humilité le langage de la diplomatie et notre pays sera plus influent dans le monde ! D’ici là, le résultat de notre action extérieure est pour le moins contrasté : langage fort, diplomatie faible.
[1] Ariane Chemin, Dans les coulisses de la diplomatie à l’Élysée, Le Monde, 30 juin 2022, p. 27.