Par Guillaume Berlat, le 19 avril 2023
« Gérer le déclin d’un empire en ruine représente l’une des plus formidables gageures de la diplomatie » (Henry Kissinger, 1996). Même si comparaison n’est pas raison, tel est l’un des principaux défis que doit relever la diplomatie française à l’avenir si elle ne veut pas s’effacer. Elle doit s’interroger sur l’adéquation de ses moyens à ses fins ; la faisabilité de ses initiatives dans leurs dimensions géopolitique et financière ; l’importance de ses intérêts bien compris ; la cohérence avec l’action de l’Union européenne, de l’OTAN, de l’ONU ; la fiabilité de sa parole sur la scène mondiale… En un mot, elle doit se poser la question de sa crédibilité. Apporte-t-elle les réponses idoines aux problèmes qu’elle entend contribuer à résoudre ? Faute de quoi, elle tombera dans le piège qu’elle a elle-même armé. En schématisant à l’extrême, nous nous limiterons aux sept principaux dysfonctionnements de notre diplomatie qui la fragilisent.
Une myopie stratégique
Le devoir de tout diplomate est de présenter le pays dans lequel il est accrédité sans l’embellir ni le noircir à dessein pour plaire à sa hiérarchie. Cela vaut également pour les diplomates affectés à Paris, soumis aux pressions des cabinets ministériels, pour soumettre à leur hiérarchie plus ce qu’elle veut entendre que la réalité la plus triviale. Et cela est d’autant plus important à un moment où l’Occident est en déclin et le « Sud Global » conduit par la Chine et la Russie est en progression … sans parler de la doxa sur le « couple » franco-allemand et la solidarité européenne Tel n’est pas toujours le cas dans l’analyse guidée par le temps court, négligeant les dimensions spatiales et temporelles des crises internationales. Nous payons le prix de ce manque de clairvoyance alors que la France pratique une diplomatie louvoyante. La cohérence de l’idée et la clarté de son exposé constituent le meilleur gage du succès.
Une surestimation chronique
Le Président de la République n’est pas avare d’initiatives à l’international : inflation de sommets sur des sujets divers (Liban, climat, Forum de Paris sur la paix…), visites (Afrique, Chine) aux résultats problématiques. L’important est plus dans l’annonce de l’évènement que dans son contenu. La communication vaut stratégie. L’idéologie vaut prévision (Cf. le mantra « l’Ukraine doit et va gagner la guerre parce qu’elle est l’agressée »). Nous sommes au cœur de la diplomatie du gadget qui ignore le temps long, les initiatives patiemment préparées en amont, la nécessité de se concentrer sur quelques sujets. Dans la diplomatie, l’adage « qui trop embrasse, mal étreint » reste actuel. La pratique de la diplomatie de l’essuie-glaces fait qu’un sujet efface l’autre sans assurer l’indispensable suivi des mesures adoptées. Comme nous le reprochent certains de nos partenaires, nous voyageons en première classe avec un billet de troisième classe.
Une arrogance légendaire
L’arrogance est l’une des principales critiques formulées par nos partenaires à l’endroit de la diplomatie française. Nous pensons détenir la vérité sur tout. Ce travers ne fait que s’accentuer au fil du temps. Qui nous autorise à nous ériger en donneur de leçons à la terre entière avant de balayer devant notre porte comme le démontre l’annulation de la visite du roi d’Angleterre en France pour les raisons que l’on sait ? Qui nous autorise à imposer à des États à l’histoire, à la culture différentes nos obsessions sociétales ? Cette démarche provoque des réactions de rejet des pays concernés comme c’est le cas en Afrique où Chinois, Russes, Turcs … ne font pas la leçon mais retirent tous les bénéfices alors que nous sommes écartés de ce continent. L’argument mis en avant de l’action de la milice Wagner n’est qu’à moitié pertinent.
Une grandeur fantasmée
La crise de confiance croissante dans le politique conjuguée à l’ampleur de nos déficits publics colle assez mal avec le concept de grandeur de la France. Bien que nous soyons membre permanent du Conseil de sécurité, état doté de l’arme nucléaire, la voix de la France sur la scène internationale est de moins en moins audible, de moins en moins crédible. N’est-il pas contradictoire de mettre en avant notre grandeur alors que nous sommes de facto une « puissance moyenne » en déclin ? N’est-il pas vain de se draper dans les oripeaux d’une grandeur perdue pour justifier certaines de nos actions sur la scène mondiale ? Cette nostalgie semble hors de propos. Notre grandeur passée est aujourd’hui fantasmée comparée à celle de l’Allemagne (richesse par habitant, désindustrialisation, échanges commerciaux, dette publique…). La presse internationale fustige la « faiblesse » d’Emmanuel Macron après ses faux-pas sur le plan intérieur. Implicitement, elle raille les rêves de grandeur de notre pays, sa capacité d’influence.
Un universalisme prégnant
Les diplomates citent souvent ce passage de la pièce de théâtre du diplomate-écrivain, Jean Giraudoux, L’impromptu de Paris (1937) pour stigmatiser notre propension à l’universalisme : « Permets-moi de te dire que c’est sur ce point que tu as tort. Laisse-moi rire quand j’entends proclamer que la destinée de la France est d’être ici-bas l’organe de la retenue et de la pondération ! La destinée de la France est d’être l’embêteuse du monde. Elle a été créée, elle s’est créée pour déjouer dans le monde le complot des rôles établis, des systèmes éternels. … Tant qu’il y aura une France digne de ce nom, la partie de l’univers ne sera pas jouée, les nations parvenues ne seront pas tranquilles, qu’elles aient conquis leur rang par le travail, la force ou le chantage. Il y a dans l’ordre, dans le calme, dans la richesse, un élément d’insulte à l’humanité et à la liberté que la France est là pour relever et punir. Dans l’application de la justice intégrale, elle vient immédiatement après Dieu, et chronologiquement avant lui … La mission de la France est remplie, si le soir en se couchant tout bourgeois consolidé, tout pasteur prospère, tout tyran accepté, se dit en ramenant son drap : tout n’irait pas trop mal, mais il y a cette sacrée France… ». Il n’y a rien de plus à rajouter.
Une communication omniprésente
Si la communication est indispensable à l’explication de la diplomatie, elle doit être utilisée avec mesure. Or, c’est de moins en moins le cas, la communication valant stratégie. Aujourd’hui, ce concept est associé à celui de « narratif » (transposition de l’anglais narrative). « Il nous faut un narratif », entend-on dire face à un problème. C’est l’art de filer, avec ce qui faut de partialité, un récit avantageux au service d’une cause. Comme le rappelle Jacques Lacan : « Le réel, c’est quand on se cogne ». Les embardées de la diplomatie française actuelle ne manquent pas : OTAN jugée en état de mort cérébrale, Françafrique moribonde, Union européenne désunie, fantasme sur la souveraineté européenne, axe franco-allemand survivance lexicale, éviction du Proche et du Moyen-Orient, humiliation chinoise… Moins on en dit, mieux l’on est écouté. Au-delà des déclarations sonores, que reste-t-il ?
Un sentimentalisme déplacé
« La diplomatie ignore la sentimentalité » (Stefan Zweig). Dans le monde diplomatique, il n’y a pas d’amis. Il y a des partenaires, des alliés d’un jour qui peuvent se révéler des adversaires dans d’autres circonstances. Les Britanniques en sont le meilleur exemple. Après les effusions à l’Élysée avec Emmanuel Macron, son homologue anglais signe, quelques jours plus tard, un traité tripartite de sécurité (AUKUS) à San Diego avec Américains et Australiens. Ainsi, Canberra achète aux Britanniques des sous-marins à propulsion nucléaire. Ceux qui ont fait l’objet d’une annulation du contrat conclu avec la France. Nos voisins allemands prennent de plus en plus de distance au sein du fameux « couple » franco-allemand. Les Américains ne sont pas en reste à notre endroit. La personnalisation surjouée des contacts personnels du chef de l’État avec ses partenaires (diplomatie tactile) ne peut avoir raison de la diplomatie des intérêts pratiquée par nos « alliés ».
Ce n’est pas l’annonce d’une hausse des moyens financiers et humains, le 16 mars 2023 au Quai d’Orsay, d’Emmanuel Macron à la clôture des « États généraux de la diplomatie » – lancée pour calmer la grogne suscitée par la réforme de l’ENA et ses conséquences sur le statut diplomatique – qui changera la donne tant le mal est structurel. Il ne s’agit pas simplement d’une crise existentielle du corps diplomatique. Le problème est plus profond. À quand le lancement d’une véritable réflexion sur la diplomatie française par des experts indépendants posant un diagnostic sans tabou de ses maux suivi de l’exposé des remèdes pour qu’elle retrouve sa place dans le monde ? Nous n’en sommes pas encore là alors que nos problèmes internes ne trouvent pas de solutions. D’ici là, nous serons contraints de rappeler les sept péchés capitaux de la diplomatie française !