ThucyBlog n° 27 – Une Corée du Nord miraculeusement épargnée par le Covid-19, les sanctions et l’aide internationale : Kim Jong Un rebat les cartes

Crédit photo : Alexandra Novosseloff

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Par Marianne Péron-Doise, le 13 avril 2020

La Corée du Nord nous a habitué à bien des singularités. En ces temps où le monde livre une lutte difficile et qui promet d’être longue contre le covid-19, elle proclame être l’un des rares pays à ne compter aucun cas de contamination. On devrait s’en féliciter mais cette information, inlassablement relayée par les autorités nord-coréennes vers le représentant local de l’OMS ne lasse pas d’inquiéter, suscitant nombre de questions. Celle-ci portent sur la capacité du régime mais surtout d’une population déjà vulnérable et malnutrie à faire face à une épidémie.

Certes les responsables nord-coréens ne sont pas restés inactifs contre les dangers d’une épidémie du virus. Ils sont, en effet, très conscients des fragilités sanitaires du pays et des vulnérabilités d’une population de 23 millions d’habitants soumise à des standards d’alimentation et de soins médiocres. Les frontières terrestres, maritimes et aériennes ont été fermées dès février 2020. Les étrangers, en majorité des touristes et des diplomates, ont été priés de quitter le pays tandis que les retours sur le territoire étaient astreints à une stricte quarantaine. Des photos émanant de l’agence de presse officielle nord-coréenne, Korea Central National Agency, KCNA, ont montré la population de Pyongyang arborant des masques. Fin mars, le régime annonçait la prolongation de l’état d’urgence sanitaire lancé le 24 janvier. De plus, mettant de côté son nationalisme ombrageux, il a demandé l’aide internationale. Celle-ci a commencé à être acheminée, non sans quelques difficultés en raison de délais découlant des procédures d’exemptions exigés par les sanctions, relançant une énième polémique quant à leur impact sur le sort de la population.

Les sanctions, un obstacle à l’acheminement de l’aide humanitaire : un « nouveau-débat » ?

Cette polémique n’est pas nouvelle, mais dans le contexte d’urgence humanitaire actuelle, elle prend une acuité particulière. Lors d’une conférence de presse, le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne, Josep Borrell, a appelé l’ensemble des pays à vérifier que les sanctions prises par ceux-ci en dehors de celles votées dans le cadre des Nations Unies ne constituent pas des entraves à l’envoi d’aide vers un certain nombre de pays, dont la Corée du Nord. Si le Haut représentant a semblé exonérer les Nations Unies et les pays européens d’une quelconque volonté de blocage, ses propos ont mis en lumière l’ambiguïté apparente de la position américaine alors qu’ils intervenaient après une récente passe d’arme entre Mike Pompeo et des responsables politiques nord-coréens. Fin mars, la Corée du Nord avait, en effet, fustigé le secrétaire d’état américain et ses déclarations lors de la conférence des ministres des affaires étrangères du G7 du 25 mars qui, selon elle, liaient trop les sanctions et le dossier de la nucléarisation, dénonçant de nouvelles pressions alors qu’elle était dans une position vulnérable. Était en cause la lettre récemment envoyée par le Président américain à son homologue nord-coréen proposant aide et coopération entre les deux pays dans la lutte contre le covid-19. L’épisode illustre opportunément l’ambivalence de la posture de Donald Trump dans sa façon de cultiver un rapport de connivence avec Kim Jong Un tout en déléguant à Mike Pompeo le rôle plus ingrat de négociateur dans un dossier de dénucléarisation sur lequel la Corée du Nord n’est prête à aucune concession. Au demeurant, elle n’a pour l’heure accepté ni l’aide des Etats-Unis, ni l’aide de Séoul.

Pour l’heure s’il est vrai que les sanctions économiques appliquées à la Corée du Nord n’empêchent pas la délivrance et l’acheminement d’aide humanitaire pour lutter contre le covid-19, des délais ont été constatés en raison d’attitudes tatillonnes tant des douanes chinoises que du trésor américain. Sans surprise, la Chine et la Russie, qui depuis longtemps demandent une levée partielle de certaines sanctions économiques au motif qu’elles pèsent durement sur la population nord-coréenne se sont engouffrées dans la brèche. La Russie, elle-même sous sanctions, trouve un intérêt direct dans la manœuvre. Ils ont trouvé avec le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, et la Haute-Commissaire aux droits de l’homme de l’organisation, Michelle Bachelet, des alliés inattendus mais résolus dans l’affichage de nouvelles solidarités mondiales.

La « communauté internationale » peut-elle se constituer en partenaire de dialogue alternatif pour une Corée du Nord fragilisée ?

Ce langage volontariste de l’UE et des Nations Unies se trouve incarné par l’aide internationale actuellement acheminée vers la Corée du Nord. Celle-ci est vitale pour le pays qui, quoiqu’il en dise, aura besoin d’un soutien d’ampleur de long terme pour être en mesure de protéger sa population. Si la Corée du Nord est un pays qui ne manque pas de docteurs ou d’infirmières, ses hôpitaux sont, en revanche, mal équipés et loin de disposer des moyens nécessaires pour combattre l’épidémie et en limiter l’extension. La réception de gels hydroalcooliques, de masques, de vêtements de protections et de respirateurs a commencé. La Chine et la Russie ont été parmi les premiers pays à apporter une aide. Cette dernière a envoyé près de 150 000 kits de dépistage. Toutefois, la communauté internationale devrait aller au bout de sa logique humanitaire en investissant l’espace qui lui est offert en étant active, visible et efficace.

Avant la crise, l’OMS avait élaboré un budget de l’ordre de 9 millions de dollars, en partie grâce à des financements en provenance de Corée du Sud, de Suisse et d’Allemagne pour des programmes d’assistance sanitaire. De son côté l’UNICEF avait planifié une aide globale de 22,5 millions de dollars avec des actions ciblant la population la plus vulnérable, enfant et personnes âgées, qui représenterait 11 millions selon ses calculs. Des organisations humanitaires ont pu conduire des programmes d’aide médicale auprès des populations ces dernières années, dont la fondation américaine Eugene Bell qui œuvre pour lutter contre la tuberculose multirésistante, très présente dans le pays. Mais ces efforts ont été discontinus sans le temps nécessaire pour établir un lien durable avec la population que d’ailleurs le régime redoute. La Croix Rouge Internationale, Médecins sans frontières et bien d’autre ONG spécialisées se sont entre temps mobilisées dans le cadre de la lutte contre le covid-19. Ce regain de présence de la communauté internationale sous l’égide des Nations Unies suffira-t-elle à contrebalancer l’influence chinoise et à convaincre le régime de l’intérêt d’une ouverture nouvelle ? Ce pari avait été fait à la fin des années 1990 lorsque le père de Kim Jong Un confronté à la menace d’une famine – qui n’a été que partiellement évitée – avait fait appel à l’aide alimentaire mondiale. Mais l’habileté du régime à détourner cette aide à son profit en le redistribuant vers l’armée et les cercles privilégiés avait dissipé toute perspective de « normalisation » de la situation. Depuis, la révélation des capacités balistiques et nucléaires du pays a changé la donne. Pour autant, le pragmatisme de Kim Jong Un a su créer bien des opportunités diplomatiques ces dernières années, dont les deux rencontres au sommet avec le président américain. Le Covid-19 et la vulnérabilité nouvelle du régime qu’elle peut représenter, verront-ils Kim Jong Un reprendre l’initiative et se tourner vers l’UE et les Nations Unies pour sortir de son isolement ?