ThucyBlog n° 37 – Elections et Covid-19 en Afrique

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Par Danielle Mouori, le 18 mai 2020

Le COVID-19 sévit dans le monde entier avec aujourd’hui plus de 2,5 millions de populations contaminées, et n’épargne pas pour autant l’Afrique qui apparait toutefois comme l’un des continents les moins touchés. On y dénombre, à ce stade, un peu plus de 1000 morts selon les chiffres officiellement recensés par l’OMS. Cette lente progression de la pandémie dans le continent engage malgré tout les Etats dans la lutte et la gestion de cette crise. Au travers des mesures gouvernementales et sanitaires, ils s’efforcent tant bien que mal de faire face à ce fléau générant des implications économiques, sociales et politiques majeures. Sur ce dernier point en particulier, la pandémie n’est pas sans conséquences sur la tenue d’élections programmées cette année dans plusieurs Etats du continent, quand bien même leur organisation suscite des enjeux politiques importants pour leur évolution démocratique.

La perturbation des calendriers électoraux

Le recensement des premiers cas et l’expansion de l’épidémie dans le continent ont des répercussions sur la programmation des élections devant se tenir au cours de cette année 2020. Plusieurs Etats ont donc envisagé la modification de leurs calendriers électoraux, à travers le report ou la suspension de certaines actions liées aux processus électoraux déjà engagées sur leur territoire. C’est le cas pour l’Ethiopie qui avait retenu la date du 29 août pour la tenue de ses élections générales, et qui a décidé de les reporter sine die en raison de la pandémie, contraignant ainsi la Commission électorale à interrompre ses travaux. Si cette décision a été anticipée par les autorités nationales éthiopiennes en prévention de la propagation du virus dans le pays, elle n’a pas par ailleurs empêché d’autres Etats de maintenir leurs scrutins prévus pour l’instant, comme de la Côte d’Ivoire, la RCA et le Burundi.

Alors que l’élection présidentielle ivoirienne était programmée pour octobre, les débats sont actuellement en cours sur son possible report. La récente hausse de cas recensés dans le pays ayant conduit au ralentissement de la procédure d’inscription des électeurs sur les listes électorales et à la suspension des procédures engagées en vue de la réforme constitutionnelle du code électoral.

Si aucune annonce n’a encore été faite dans ce sens en Côte d’Ivoire, notamment par les autorités gouvernementales qui réfléchissent probablement aux moyens d’éviter une crise institutionnelle avec un éventuel report de ce scrutin tant attendu, en RCA, les suspicions sur un glissement du calendrier électoral dû à cette pandémie, nourrissent déjà des polémiques dans le pays. Les dispositions de la Constitution centrafricaine ne permettent pas, en effet, la prorogation du mandat des institutions en place, dont les élections générales devaient assurer le remplacement, avec un premier tour prévu le 27 décembre.

En dépit de toutes ces perturbations, au Burundi, la CENI a confirmé le maintien de ses élections présidentielles, législatives et municipales prévues pour le 20 mai prochain. Malgré les mesures envisagées sur le plan sanitaire pour la tenue de ces élections et la volonté affichée de faire respecter les règles d’hygiène et de distanciation sociale, les conditions dans lesquelles se dérouleront ces processus électoraux ne sont pas de nature à rassurer sur l’organisation des scrutins à venir. En témoignent les dernières opérations électorales qui ont eu lieu récemment en Guinée Conakry et au Mali.

La tenue des scrutins dans des conditions minimalistes

En effet, malgré ce contexte de crise sanitaire, des scrutins ont été maintenus dans ces pays, alors qu’ils ne répondaient pas à toutes les exigences requises pour garantir un processus électoral optimal[1]. Au Mali, les autorités ont évoqué des contraintes budgétaires liées à un processus électoral trop avancé ainsi que la pression du renouvellement du mandat des députés expiré depuis un an, pour justifier le maintien des législatives dans le pays dont les premiers et seconds tours se sont tenus les 29 mars et 19 avril. En Guinée, le gouvernement était déterminé à tenir un référendum constitutionnel et des élections législatives le 22 mars, malgré un processus électoral controversé et vicié, ayant suscité la réaction de la CEDEAO, de l’UA et même de l’OIF. L’enjeu était en effet de faire adopter une nouvelle Constitution permettant au Président Alpha CONDE de briguer un troisième mandat. L’urgence était d’adopter ce nouveau texte dans le respect des délais préconisés par les dispositions des normes régionales, soit dans les six mois précédant l’expiration de son mandat actuel en octobre[2].

A défaut d’un report, ces élections ont toutefois été organisées, dans des situations extrêmes et des conditions minimalistes ne garantissant ni la protection des populations ni la crédibilité des scrutins. Ces derniers se sont déroulés après une campagne électorale timide, menée sans grands rassemblements des populations et occultée par les campagnes de lutte contre le COVID-19 à l’initiative des autorités locales. Malgré cela, les mesures barrières mises en place dans les bureaux de vote n’ont pas été respectées par les populations, situation amplifiée par un manque de moyens de nature à éviter la transmission et la diffusion du virus. Par ailleurs, la psychose née de cette épidémie et l’abstention des électeurs, ont conduit à un taux de participation des plus bas au Mali sans large représentativité (35% au 1er tour). Cette situation est aggravée par les problèmes sécuritaires qui minent le pays, notamment dans le Centre et le Nord où le chef de file de l’opposition Soumaïla CISSE a été enlevé et absent du vote. En Guinée en revanche, le scrutin boycotté par l’opposition s’est soldé par des résultats douteux (plus de 90% de « oui » au référendum) à l’issue d’un processus électoral non inclusif et non consensuel, tenu en l’absence d’observateurs internationaux.

Bien plus que favoriser une avancée politique, le maintien de ces élections dans ce contexte de crise sanitaire fait courir le risque de voir ces consultations souffrir d’une illégitimité démocratique. Surtout, elles peuvent apparaître comme l’instrument d’un immobilisme politique, tentation des dirigeants en place qui ne se réaliserait qu’au détriment d’une alternance au sommet des Etats.

[1] Voir la Déclaration de l’OUA /UA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique, Addis Abeba, 8 juillet 2002.

[2] CEDEAO, Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, Dakar, 21 décembre 2001, Art. 2, §1 ; UA, Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, Addis Abeba, 30 janvier 2007, Art. 23, §5.