ThucyBlog n° 45 – Hosni Moubarak (1928-2020) : Réflexions sur 30 ans de pouvoir

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Par Dima Alsajdeya, le 15 juin 2020

Mohammad Hosni Moubarak est né le 4 mai 1928 dans le gouvernorat d’Al-Manuffiya dans le Delta du Nil. Il a obtenu sa licence en sciences militaires en 1948 et est devenu instructeur à l’Académie de l’armée de l’air en 1950. H. Moubarak a été nommé à la tête de l’Académie de l’armée de l’air en juin 1967. Il a été promu au grade de chef d’état-major de l’armée de l’air en 1969 et a participé, en 1973, à la guerre d’Octobre. Avant d’être nommé vice-président par Anwar al-Sadate en 1975, il avait occupé les fonctions de vice-ministre de la guerre et de commandant de l’armée de l’air. Après l’assassinat d’A. Sadate en octobre 1981, c’est donc H. Moubarak qui lui succède à la présidence de la République et à celle du Parti national démocratique (PND). Nommé le 7 octobre par l’Assemblée du peuple pour la présidence, H. Moubarak a été proclamé président de la République à la suite d’un référendum tenu le 13 octobre 1981.

Dans un régime autoritaire tel qu’instauré par H. Moubarak, la question de la sécurité du régime a toujours été une priorité. Plusieurs méthodes ont été employées sur les deux plans interne et international afin de faire face aux pressions multiples, de préserver la longévité du régime et de protéger ses intérêts. Si au début de son mandat, H. Moubarak a joui d’un soutien populaire, avec le temps, la pérennité de son régime reposait davantage sur les services de renseignement et les appareils de sécurité interne. Sa légitimité de façade, qu’il s’était appliqué à renouveler, a fini par disparaître.

Sa politique étrangère s’est caractérisée par un pragmatisme et un apaisement notable. Sur le plan régional, il a adopté une approche modérée comparée à celle d’A. Sadate ; il a permis la réintégration de l’Égypte au sein de la Ligue arabe après plus de dix ans d’exclusion, il a soutenu l’Irak dans sa longue guerre contre l’Iran et a préservé un rôle de premier plan sur le dossier israélo-palestinien. Sur le plan international, l’Égypte de H. Moubarak a préservé ses relations privilégiées avec les États-Unis et a renoué ses relations avec l’URSS dès juillet 1984. H. Moubarak a conservé la place de son pays au sein du mouvement des non-alignés et a appelé à le renforcer. Cet engagement reste paradoxal étant donné la relation de dépendance développée vis-à-vis des États-Unis dès la deuxième moitié des années 1970 par A. Sadate. Cette relation explique notamment la participation de l’Égypte à la guerre du Golfe en 1991 comme quatrième force de la coalition américaine. En effet, cette contribution à la guerre a permis l’effacement d’une dette égyptienne de 30 milliards de dollars sur quatre ans. En tout, entre 1979 et 2011, l’Égypte a bénéficié d’une aide essentiellement militaire de plus de 45 milliards de dollars, un soutien qui a par ailleurs permis le maintien du traité de paix entre l’Égypte et Israël.  Dans son environnement africain, l’Égypte de H. Moubarak a essayé de préserver des relations stratégiques lui permettant de sécuriser en premier lieu le cours du Nil, considéré comme étant sa source hydrique principale.

Dans sa politique étrangère, H. Moubarak a cherché à instaurer, au niveau régional, un état de paix durable et à nouer des alliances stratégiques au niveau international. S’agissant de sa politique interne, H. Moubarak s’est efforcé d’alimenter une stabilité face à la montée de l’islamisme dans le pays et d’entretenir un développement économique qui était jusque là difficile à maintenir.

H. Moubarak a hérité de son prédécesseur deux projets de libéralisation : politique et économique. Sa gestion hésitante des deux projets n’a finalement pas abouti. Sur le plan politique, H. Moubarak a essayé d’apaiser la tension montante après l’assassinat d’A. Sadate le 6 octobre 1981, a donc libéré les prisonniers politiques et a maintenu le système multipartite mis en place par A. Sadate. Il a toutefois instauré un régime d’état d’urgence qui octroyait aux services de sécurité et de police des pouvoirs étendus. Les libertés publiques comme celles de réunions et d’organisations étaient strictement surveillées par ces services. Comparée aux autres pays du monde arabe, seule la liberté de la presse a été élargie sous H. Moubarak malgré des restrictions périodiques. Par ailleurs, les élections législatives pluralistes tenues régulièrement depuis 1976 et les élections présidentielles tenues pour la première fois en 2005, servaient de façade démocratique pour le régime et atténuaient les différentes pressions internationales. L’opposition et notamment les Frères musulmans y ont participé en 2005 tout en respectant les règles imposées par le régime : se présenter en tant qu’indépendants et ne jamais menacer la primauté du régime.

Sur le plan économique, H. Moubarak a maintenu la politique d’ouverture économique initiée par A. Sadate. Celle-ci a pris de l’ampleur sous la présidence de H. Moubarak mais s’est rapidement transformée en une politique de népotisme et de corruption profitant principalement aux partisans du régime et à son cercle proche. La question de la montée de l’islamisme politique étant étroitement liée aux conditions économiques et sociales très difficiles, H. Moubarak a opté pour une stratégie double pour y mettre fin. Le premier aspect concernait un certain nombre de mesures afin de diminuer la crise économique : réduire les subventions, se rattacher au secteur privé et privatiser une partie des entreprises d’État. Le deuxième aspect consistait en une répression massive contre les activistes islamistes dès la fin des années 1980.

En réalité, ces apparences de démocratisation n’ont pas effacé le fondement autoritaire du régime. Ce dernier a su s’adapter aux changements internes et externes et a su modeler sa politique en fonction de ce que Steven Heydemann nomme « Authoritarian upgrading ». Cette stratégie implique, outre les mesures sélectives de libéralisations économique et politique, un endiguement de la société civile en lui imposant des lois restrictives. Il convient de souligner que malgré toutes les restrictions, un mouvement actif des droits de l’homme s’est développé sous sa présidence.

Finalement, l’implication active des fils de H. Moubarak et de leur cercle proche dans la vie économique et politique, la persistance des problèmes sociaux, l’aggravation de la pauvreté, de la corruption et de la répression n’ont pas manqué d’exaspérer la population. Plusieurs mouvements se sont organisés, notamment après la deuxième Intifada palestinienne en 2000 et la guerre en Irak en 2003, pour dénoncer le système répressif de H. Moubarak et l’éventuelle arrivée au pouvoir de son fils Gamal. Le 11 février, H. Moubarak décide de quitter le pouvoir à la suite des revendications des manifestants ; le Conseil Suprême des Forces Armées s’en empare. Enfin, si l’armée a finalement décidé de soutenir les manifestants, c’est en partie à cause de la politique de népotisme de H. Moubarak. Il était surtout difficilement envisageable qu’un non-militaire comme Gamal Moubarak, un étranger de leur institution, puisse prendre le pouvoir. L’armée profite donc de ce mouvement populaire pour protéger son système et garantir sa continuité.

Pendant ses trente ans de pouvoir, H. Moubarak a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat. En 2012, à la suite de sa destitution, il a été accusé de meurtre de manifestants et condamné à perpétuité. En 2017, sous la présidence d’Abdel Fattah al-Sisi, il a été acquitté et libéré. H. Moubarak est décédé le 25 février dernier à l’âge de 91 ans. L’actuel Président égyptien a décidé de lui rendre hommage lors d’une cérémonie militaire. Un geste largement contesté par des militants pro-révolution qui ont dénoncé la répression sanglante du mouvement contestataire par H. Moubarak en 2011. Son décès a suscité des réactions mitigées au sein de la population entre « révolutionnaires » qui ne regrettaient rien et « nostalgiques » exaspérés par la situation économique et politique actuelle encore plus difficile qu’elle ne l’était déjà sous H. Moubarak.