ThucyBlog n° 44 – Un siège pour deux au Conseil de sécurité : Les politiques étrangères du Kenya et de Djibouti à l’épreuve du multilatéralisme

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Par Balkissou Hayatou, le 11 juin 2020

Le compte à rebours est lancé pour la 74e session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies. Prévue à New-York au mois de juin 2020, elle sera marquée par l’élection de cinq nouveaux membres non permanents au Conseil de sécurité pour la période 2021-2022. Selon le principe de rotation, c’est un État de la région orientale qui remplacera l’Afrique du sud. Dans la course pour accéder à cet organe stratégique, deux États s’affrontent dans une bataille diplomatique qui n’a pu faire l’objet de consensus à l’Union Africaine. Convaincus de l’efficacité de leur politique étrangère, les acteurs antagonistes campent sur leur programme respectif. Point marquant, les slogans des deux parties. ‘Africa endorsed candidate’ pour le Kenya et ‘Africa’s legitimate candidate’ pour Djibouti. Ce dernier mise sur des soutiens arabophones et francophones, tandis que son rival se conforte dans le soutien de l’Union Africaine. Qui finira par l’emporter ? l’imperturbable ou le téméraire ?

Imperturbable Kenya 

Le Kenya a siégé deux fois au Conseil de sécurité de l’ONU, durant les années 1977-1978 et 1997-1998. 7e puissance économique de l’Afrique, cet immense territoire de 580 367 km2 compte 49 millions d’habitants. Dès 2014, sous l’impulsion de son chef d’État, M. Uhuru Kenyatta, le Kenya redéfinit les grandes lignes de sa politique étrangère à travers la vision d’un « Kenya pacifique, prospère et globalement compétitif ». La stratégie repose sur « la projection, la promotion et la protection de l’image et des intérêts globaux à travers une diplomatie innovante qui participe à l’édification d’un monde juste, pacifique et équitable ». Ce qui traduit le déploiement diplomatique du Kenya ancré sur les principes et textes fondamentaux de l’ONU et de l’UA. S’agissant de sa candidature au Conseil de sécurité, le Kenya est motivé par sa position d’État pivot dans la lutte contre le terrorisme en Afrique et dans le monde.

Il a fallu quatre années au Ministère kenyan des Affaires étrangères pour mettre sur pied un programme en dix points dans le cadre de l’Agenda de paix et sécurité pour un développement durable. Au-delà des questions sécuritaires, le Kenya se propose de contribuer à la mise en œuvre des projets dans les domaines humanitaires, le développement durable et les changements climatiques, la promotion des jeunes, la justice et la démocratie, le rôle des femmes dans le développement, etc. De fait, les administrations de souveraineté se sont investies dans la promotion de cette candidature. S’agissant spécifiquement des coulisses des négociations, le Kenya aurait stratégiquement optimisé sa démarche par l’organisation des sessions de formation de ses bureaucrates et l’envoi des émissaires à travers le réseau diplomatique mondial. Assuré du soutien de l’UA, le président Uhuru Kenyatta déclarait le 8 septembre 2019 devant le Comité des représentants permanents de l’Union Africaine : « I am grateful to the Africa Union’s PRC for the confidence they have shown by endorsing our candidature for the UNSC non permanent (…) Kenya is informed by the critical role the UNSC plays in the maintenance of international peace and security ». La réussite du Kenya dans sa quête d’une place au Conseil de sécurité n’est pourtant pas totalement garantie dans la mesure où, « Exercer de l’influence ne dépend pas seulement des ressources dont dispose un État par rapport aux autres dans des domaines spécifiques ». C’est dire que toutes les précautions du Kenya n’ont pas eu vocation à décourager Djibouti qui a entrepris de rallier à sa cause certaines organisations internationales.

Téméraire Djibouti 

Dans son allocution devant le corps diplomatique et les médias accrédités à New-York, le 19 décembre 2019, le ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Ali Youssouf affirmait que : « La République de Djibouti considère sa candidature comme légitime, et comme étant celle de l’Afrique réunie, en l’occurrence, elle entend la défendre et la promouvoir jusqu’au vote devant l’Assemblée Générale en juin 2020 ».

Djibouti est situé sur la côte orientale de l’Afrique entre le Golfe d’Aden et la Mer rouge. Il s’étend sur 25 030 km2 avec une population d’environ 1 040 400 d’habitants. Sa situation idéale a incité l’installation de cinq bases militaires étrangères. Ce qui lui permet de participer aux côtés des grandes puissances à la mise en œuvre de la paix et sécurité internationales. Le pays a développé une marque ambitieuse « Djibouti, Terre de rencontres et d’échanges », qui inspire sa politique étrangère axée sur « le renforcement de l’attractivité du pays et l’affirmation de sa présence sur la scène internationale ». Depuis son accession à l’indépendance, Djibouti a siégé une fois au Conseil de sécurité en 1993-1994. Ce constat amène certains analystes à le classer dans la catégorie des non-permanents « absents ou quasi-absents » surnommés les « touristes ». Depuis cette date, et malgré le petit score de 11 voix lors du vote à l’Union Africaine, Djibouti a réfuté le processus de désignation du représentant de l’Afrique. D’après ses officiels, des entorses auraient été commises par le comité ministériel de candidatures des États de l’Afrique de l’Est. Il aurait refusé de trancher entre les deux candidatures en marge de la réunion du comité des représentants lors du Sommet de Niamey en Juillet 2019. Depuis cette période, Djibouti ne cesse de multiplier des propositions originales afin d’inverser la tendance et faire de ses faiblesses un atout sur le plan diplomatique. La République de Djibouti a misé sur la diplomatie des couloirs, une technique de négociation qu’il ne faudrait pas sous-estimer. Cela a permis au président Ismaïl Omar Guelleh et aux diplomates de rallier à leur cause bon nombre de pays africains membres de la francophonie. À la clôture de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Union Africaine, qui s’est tenue le 5 février 2020, le gouvernement de Djibouti a affirmé dans un communiqué : « (…) Nous voulons, bien entendu, préserver nos bonnes relations avec le Kenya mais nous nous réservons le droit de maintenir notre candidature. Nous allons mobiliser nos soutiens auprès de diverses organisations telles que la Ligue Arabe et l’Organisation Internationale de la Francophonie pour obtenir une majorité lors de l’AGNU de juin 2020 ». Tout comme le Kenya, Djibouti présente un programme en dix points dans le cadre de sa candidature. Quelques similarités sont visibles, en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, la promotion des droits des femmes, les jeunes, la paix et la sécurité régionale. Par contre, au regard de son passé historique, l’accueil des migrants et refugiés, la réconciliation, la prévention et la résolution pacifique des conflits, la médiation et le dialogue pacifique y occupent une place de choix. C’est la preuve que le petit État aborde sans complexe l’environnement international. Reste à savoir si sa témérité portera des fruits.

Il est à ce stade difficile de dire qui remportera le siège tant convoité.  L’absence de cohésion au sein de l’Union Africaine, pas à même de définir une politique étrangère commune renvoi l’image d’une Afrique désunie sur son candidat. Quant aux protagonistes, ils multiplient les transactions en coulisses. Ce qui prouve que les enjeux sont d’envergure pour chacun de ces pays. L’évolution des méthodes de travail au sein du Conseil de sécurité et le siège de non-permanent permettent aux États membres de tirer le meilleur de leur passage dans cet organe stratégique onusien. Sur la base de programmes bien élaborés et surtout à travers les techniques de travail spécifiques, les non-permanents ont la possibilité d’influencer les décisions. À quelques semaines du vote qui se déroulera dans des conditions particulières, à cause du contexte actuel étant marqué par la pandémie due au Covid-19, le Kenya affiche fièrement sa compétitivité tandis que Djibouti montre l’image d’un État qui agit de bonne foi. Seule certitude, celui qui remportera la mise dans cette compétition inédite aura à cœur de communiquer sur ce succès et de valoriser sa politique étrangère.