ThucyBlog n° 68 – ONG et Etat de droit (1/2) : L’action des ONG en faveur d’un ordre international régi par l’Etat de droit

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Par Moise Jean, le 5 octobre 2020

A l’heure actuelle, nombreux sont les acteurs qui mènent des actions en faveur de la promotion de l’Etat de droit. L’Assemblée générale des Nations Unies par exemple inscrit à son ordre du jour depuis 2006 un point intitulé Etat de droit aux niveaux national et international, et a adopté un grand nombre de résolutions à cet effet, y compris une Déclaration de haut niveau en 2012 (v. ici). Le Conseil de sécurité a pour sa part organisé plusieurs rencontres en vue de débattre sur l’Etat de droit et l’inscrit dans le mandat de la plupart des missions de maintien de la paix onusiennes déployées dans les pays en conflit (v. ici). On retrouve le même engouement pour l’Etat de droit dans la pratique des organisations régionales, en particulier l’Union européenne, l’Organisation des Etats américains et l’Union africaine. Ce papier se concentre sur la contribution d’un nouvel acteur sur la scène internationale, les organisations non gouvernementales (ci-après les ONG), à l’édification de l’Etat de droit. Il essaie d’apporter un éclairage concret et rapide sur la manière dont ces organisations militent en faveur d’un ordre gouverné par l’Etat de droit, tant au niveau national qu’à l’échelle internationale.

Les ONG et la promotion de l’Etat de droit au niveau interne

Pour promouvoir l’Etat de droit au niveau interne, les ONG recourent à une palette d’activités très diversifiées.

Une gamme de moyens diversifiée

Le Haut-Commissariat des droits de l’homme des Nations Unies énumère au moins six moyens qu’elles peuvent mobiliser pour atteindre cet objectif : recueillir et diffuser des informations sur les violations des droits de l’homme ; aider les victimes de violations des droits de l’homme ; agir pour défendre le principe de responsabilité et mettre fin à l’impunité ; s’engager en faveur d’une meilleure gouvernance et d’une meilleure politique ; contribuer à l’application des instruments relatifs aux droits de l’homme ; éducation et formation dans le domaine des droits de l’homme (voir ici).

Dans certains cas, les ONG apportent un soutien direct aux présumées victimes des violations des droits de l’homme. Cet accompagnement prend le plus souvent la forme d’un soutien logistique, juridique et/ou financier (V. N. Leroux, « La contribution des ONG a la promotion et à la garantie de l’Etat de droit », in SFDI, L’Etat de droit en droit international, 2008, p. 354). Dans d’autres cas, les ONG peuvent essayer d’influencer le résultat des procès en soumettant aux tribunaux des dossiers ou en incitant un tiers à déposer plaintes (v. I. Jessus Butler, « Les ONG développent-elles une vision particulière de l’Etat de droit ? », in SFDI, op. cit., p. 332.). A cet égard, un rapport de recherche consacré à l’influence des organisations non gouvernementales sur la jurisprudence de la CEDH est évocateur. Le rapport montre que les ONG interviennent en tant qu’acteur devant les juridictions internationales, soit à titre de requérantes, soit en tant que tiers intervenants ou en tant que source d’informations factuelles (v. ici). Le rapport a recensé près de 68 affaires dans lesquelles des ONG ont été autorisées à soumettre des observations (v. pp. 20-27).

En 2009, le Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE) a saisi le Comité européen des droits sociaux contre l’Italie. L’organisation « allègue que des mesures gouvernementales de sécurité, dite d’urgence, et un discours raciste et xénophobe ont abouti à des expulsions et des campagnes illégales ciblant de façon disproportionnée les Roms et les Sintis, les menant à l’état de sans-abris » (v. ici). Pour l’organisation, les actes et omissions des autorités italiennes sont contraires à l’obligation faite à l’Italie aux termes des dispositions de la Charte relatives à la non-discrimination (v. ici). Elle estime que l’Italie a violé la Charte sociale européenne révisée, notamment les articles 16 (droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique), 19 (droit des travailleurs migrants et de leurs familles à la protection et l’assistance), 30 (droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale) et 31 (droit au logement). Le 8 décembre 2009, le Comité européen des droits sociaux a déclaré la réclamation recevable (v. ici). Le 25 juin 2010, il a rendu une décision qui fera date dans laquelle il a conclu à la violation de plusieurs articles par l’Italie et a transmis sa décision au Conseil des Ministres qui quelques mois après a adopté une résolution (CM/ResChS(2010)8), appelant de ses vœux l’Italie à se conformer pleinement à la légalité continentale.

Les actions judiciaires internes

Les ONG apportent aussi leur soutien dans la lutte contre la corruption – l’un des piliers de l’Etat de droit, selon certains Etats (v. par exemple la déclaration du Bangladesh, de l’Estonie, du Cameroun lors de la Réunion de haut niveau sur l’Etat de droit : A/67/PV.3, 24 septembre 2012). La célèbre affaire des « biens mal acquis » est le résultat de l’action en justice d’une ONG (Transparence internationale France) qui s’est constituée partie civile contre des dirigeants africains. Après un feuilleton judiciaire, la Cour de Cassation française a décidé que la lutte contre la corruption, au sens de la Convention des Nations Unies contre la corruption, incombe certes aux Etats, « mais implique le soutien et la participation des ONG, lesquels doivent se traduire par la possibilité pour les associations légalement constituées ayant un tel objet de se constituer parties civiles pour les infractions énumérées par cette Convention » (v. Crim. 9 nov. 2010, F-D, n° 09-88.272). Le premier procès dans l’affaire des biens mal acquis s’est tenu à Paris en 2017. Teodorin Obiang, fils du président de la République de Guinée équatoriale, exerçant la fonction de vice-président de cet Etat, est condamné à trois ans de prison avec sursis, 30 millions d’euros d’amende et la confiscation de l’ensemble de ses biens saisis (v. ici). Ce verdict a été confirmé en appel en février 2020 (v. ici).

Récemment, deux ONG ont alerté le Procureur de la Cour pénale internationale au sujet de présumés « crimes contre l’humanité et faits d’esclavagisme » de la République socialiste de Cuba contre des « milliers de médecins cubains forcés à participer aux missions de collaboration à l’étranger dans des conditions d’esclavagisme, au bénéfice du gouvernement » (v. ici). Les ONG interviennent aussi directement devant les tribunaux nationaux dans le but de faire respecter les droits de l’homme. Par exemple, la FIDH avait saisi un tribunal en France contre un officier de l’armée mauritanienne accusé d’actes de torture sur certains de ses compatriotes.

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