Par Moise Jean, le 8 octobre 2020
Pour promouvoir l’Etat de droit dans les relations internationales, ces acteurs que Bertrand Badie appelle « les nouveaux bourgeois internationaux » (Ibid. p. 270.) procèdent aussi de diverses manières, mais on retiendra fondamentalement deux moyens. D’abord par la surveillance du comportement des Etats et la dénonciation de leurs entorses aux normes internationales (N. Leroux, op. cit., p. 355.) et, en outre, par l’influence qu’elles exercent dans la création de la norme internationale. A cet égard, l’histoire retiendra l’expérience de Durban (sur la conférence de Durban, v. ici) comme l’un des moments importants de l’action des ONG en faveur d’une société internationale régie par les valeurs de l’Etat de droit. Brigitte Collet qui participait à la conférence au sein de la délégation française explique comment la tension montait d’un cran entre les ONG et les Etats, notamment les plus rétifs aux droits de l’homme (v. ici).
Surveillance et dénonciation des Etats
A Durban, 3500 ONG participaient au forum. Certaines ONG étaient mobilisées sur un objectif précis : « la condamnation d’Israël (accusé d’apartheid, de génocide, de crime contre l’humanité) » (v. ici), et ces ONG comptaient imposer leurs vues. Les Etats-Unis et Israël sont partis avant la fin de la Conférence qui fut prolongée d’un jour afin de trouver un compromis sur la question Israélo-Palestinienne. Dans le document adopté en compromis final, il est fait allusion à « la préoccupation quant à la situation désespérée des Palestiniens sous occupation étrangère, et leur droit à l’autodétermination, à un Etat souverain et au retour des réfugiés leur est reconnu ». Dans ce compromis final, le colonialisme et l’esclavage sont reconnus comme « crime contre l’humanité » (v. ici).
On retiendra aussi, mais dans un autre registre, la campagne des ONG visant à convaincre l’Assemblée générale de la nécessité de demander un avis consultatif à la Cour internationale de justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi des armes nucléaires, ainsi que les utiles informations qu’elles ont soumise à la Cour par la suite. Cette campagne a abouti aux avis consultatifs rendus par la Cour en 1996 (v. V. P. Nanda et D. Kriefer, Nuclear weapons and the World court, Ardlsey, New York, Transnational Publishers, 1998, pp. 69 et s.). Selon le juge Weeramantry, les campagnes des ONG « témoigne[nt] d’une effervescence de l’opinion publique mondiale qui n’est pas sans pertinence juridique » (opinion dissidente, v. ici p. 438.). Pour certains juristes, le fait même qu’une coalition d’ONG ait pu pousser l’Assemblée générale ainsi que l’Organisation mondiale de la santé à demander ces avis consultatifs est très significatif. Cela renseigne sur la capacité de la société civile à influencer la formation du droit international et à promouvoir l’utilisation des mécanismes qui fondent l’existence d’un « Etat de droit international » (v. N. Leroux, op. cit., p. 356.).
Les ONG entrepreneuses de normes
Outre ces cas évocateurs, les ONG s’imposent de plus en plus comme des productrices voire des « entrepreneurs de normes » (v. B. Badie, op.cit, p. 283.). Elles interviennent à tous les niveaux d’élaboration des politiques, et n’ont manqué aucune des grandes conférences mondiales, de la conférence de Vienne sur les droits de l’homme à la conférence de Paris sur le climat. Lors des préparatifs à la création de la Cour pénale internationale en juillet 1998 par exemple leur rôle fut considérable. Une coalition de 800 ONG bien affirmées et bruyantes a joué « un rôle déterminant pour que la Cour obtienne un mandat vigoureux », (Les droits de l’homme aujourd’hui, publications des Nations Unies, février 1999, pp. 19 et 20.). Elles ont obligé les Etats à aller au-delà des objectifs préalablement fixés, (v. H. Ascensio, « Vers une justice internationale », in La crise des organisations internationales, Paris, La Documentation française, mai-juin 2001, p. 44.). La mobilisation et la participation des ONG dans les négociations de l’Accord de Paris sur le climat fut d’une grande importance, en dépit de leur statut d’observateur. Aujourd’hui, elles s’activent pour sa mise en œuvre (v. ici).
Les ONG sont-elles légitimes ?
Les organisations non gouvernementales contribuent donc concrètement à la promotion de l’Etat de droit au niveau interne, soit en apportant un soutien logistique ou juridique aux personnes victimes, soit en agissant directement devant les tribunaux, les poussant à sanctionner la violation de la norme. Au niveau international, elles contribuent à l’Etat de droit en veillant au respect de la norme et en dénonçant sa violation. Elles participent aussi de sa création et promeuvent le règlement judiciaire des différends. De cette façon, le rôle de vigile des ONG est essentiel : elles s’illustrent comme de véritables agents promoteurs d’un ordre social plus égalitaire où les lois sont réellement respectées par la puissance publique et leur violation sanctionnée.
Au niveau international, la promotion de l’Etat de droit par les ONG ne va pas par contre sans susciter quelques questionnements. Etant donné qu’elles n’ont pas la personnalité juridique internationale, on s’interroge sur leurs contributions réelles à l’Etat de droit. On se demande si leur activisme ne vient pas à contrario remettre en question les fondements de l’ordre juridique international (v. N. Leroux, op. cit., p. 358.). A cette remise en question de leur légitimité, s’ajoutent d’autres réserves, voire des critiques, notamment sur leur « vision partielle des intérêts de la Cité », (A. Pellet, Le droit international. Entre souveraineté et communauté, Pedone, 2014, p. 168). Si ces inquiétudes sont à plusieurs égard légitime – nous les partageons d’ailleurs, du moins en partie –, on pourrait par contre se demander s’il n’est pas tout à fait souhaitable, là où les véritables acteurs concernés (Etats et organisations internationales) sont tiraillés par le jeu des contradictions, et n’arrivent pas à s’accorder sur des valeurs supérieures et des exigence d’ordre général, que d’autres acteurs moins intéressés entrent en scène pour les pousser à aller plus loin, à faire mieux ?