ThucyBlog n° 84 – L’OMS face à la COVID 19 : Quelques questions

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Par Marie Roy, le 30 novembre 2020

Peut-on dire que l’OMS a été efficace dans la prévention de certaines épidémies, dont la variole, avec des campagnes de vaccin, mais qu’elle est inadaptée à la lutte contre les virus ?

Effectivement l’élimination de la variole en 1980 est l’un des plus grands succès (si ce n’est le plus grand) de l’OMS. Rappelons que le mandat de l’OMS est relativement clair : Définir les normes sanitaires et les standards en santé (sur l’usage des médicaments, l’allaitement maternel, etc…) en se basant sur les faits scientifiques, orienter les programmes de recherches, fournir un support technique aux Etats membres et assurer le suivi de la situation sanitaire dans le monde, en particulier les maladies à déclaration obligatoire (par exemple peste, choléra, poliomyélite, fièvre jaune, hépatite A…). Jusqu’aux années 80 et l’apparition du sida, l’OMS a été très efficace sur la gestion des pandémies (peste, choléra, fièvre jaune…). Ses programmes d’éradication, qui n’ont pas tous été des succès, ont cependant été racheté par la disparition de la variole.

En revanche il n’était pas prévu lors de sa création qu’elle soit en première ligne pour la réponse opérationnelle aux urgences sanitaires. Cela a évolué à partir des années 2000, lorsque l’épidémie de SRAS a rappelé que les maladies infectieuses émergentes étaient toujours une réalité et que la sécurité sanitaire internationale est remontée dans l’agenda international après les attentats de 2001. Le RSI (Règlement sanitaire international) de 2005 a mis l’OMS au centre la sécurité sanitaire internationale en renforçant son rôle.

On ne peut dire que l’OMS n’est pas adaptée à la lutte contre les virus, ne serait-ce que parce que le virus variolique a pu être éliminé et que celui de la poliomyélite est en passe de l’être. Néanmoins il est vrai que les progrès de l’hygiène, la construction d’infrastructures d’assainissements, l’accès sûr à l’eau potable… peuvent permettre de se prémunir plus facilement des maladies « bactériennes ». A noter que depuis la création de l’Alliance du vaccin (GAVI) en 2000, la mise en œuvre des campagnes de vaccinations dans les pays en développement n’est plus gérée par l’OMS.

Mais les virus de la grippe et les coronavirus ont la particularité d’être aéroportés. Ce n’est pas tant l’OMS qui est inadaptée à la lutte contre eux que tout simplement les modes de vie humains. Par essence les maladies émergentes sont mal connues voire totalement inconnues au moment où elles apparaissent, et il est difficile pour les Etats comme pour l’OMS de leur apporter une réponse adéquate.

L’OMS est-elle réellement indépendante ou sensible à l’excès aux pressions des Etats membres – Chine, Etats-Unis ?

L’OMS a les mêmes limites que les autres agences spécialisées de l’ONU, elle doit composer avec ses Etats membres et leurs tensions. La santé est un sujet d’intérêt pour chacun d’entre eux, et la présence de quasiment tous les pays du monde dans les instances de l’OMS assure une tribune incontournable pour les pays qui veulent en jouer. C’est le cas des Etats-Unis qui tentent de bloquer toutes les résolutions portant sur les droits et santé sexuels et reproductifs, de la Russie qui prend généralement la parole pour contredire les occidentaux… Et parfois l’OMS se retrouve au centre des dissensions internationales comme c’est le cas aujourd’hui. Ainsi, Trump a fait de l’OMS une victime expiatoire de sa propre incurie.

L’influence se joue surtout au niveau des contributions à l’OMS : ses principaux donateurs sont les Etats-Unis, la Fondation Gates et le Royaume-Uni. L’influence de la Gates, qui par définition n’est pas un Etat membre, est pourtant énorme sur les décisions stratégiques de l’organisation. La santé digitale et l’élimination de la poliomyélite, qui sont des priorités pour la Gates, sont devenus celles de l’OMS depuis les années 2005-2010.

Il faut être plus prudent sur l’influence de la Chine qui n’est ni un gros contributeur, ni un pays particulièrement actif sur les sujets de santé mondiale en général. La Chine fait son lobbying dans toutes les instances onusiennes, et l’OMS est l’une d’elle – la crise peut faire évoluer les choses. Pour les accusations de « bienveillance » supposée entre le DG de l’OMS, le Dr. Tedros, ancien ministre de la santé éthiopien, et la Chine, elles semblent n’avoir que peu de fondements.

Et qu’en est-il du lobbyisme des industries pharmaceutiques au sein de l’OMS ?

Depuis 2000, l’OMS a modifié ses modes de financement, permettant au secteur privé de lui apporter des contributions, en plus de celles des Etats. C’est ainsi que la Fondation Gates est devenu le premier contributeur de l’organisation, le réel problème étant que ces acteurs privés peuvent choisir les programmes qu’ils souhaitent financer, ce qui leur donne le pouvoir d’orienter les politiques sanitaires de l’OMS (en priorisant la lutte contre la polio, la santé mère-enfant… au détriment des maladies tropicales négligées par exemple, qui intéressent beaucoup moins l’industrie pharmaceutique).

Les critiques vis à vis de l’OMS ont connu leur acmé lors de la pandémie de grippe H1N1 en 2009-2010, notamment au sujet des conflits d’intérêts mal gérés par l’institution. Il lui a également été reproché une gestion faisant la part belle aux fabricants de vaccins, dont les gains ont été estimés entre 7 et 10 milliards de dollars et aux fabricants de certains antiviraux déclarés par l’OMS comme des traitements efficaces (Roche avec le Tamiflu en particulier). Les comités d’experts constitués par l’OMS, et plus précisément le fait que l’OMS ne rendait pas publiques les déclarations d’intérêts remplies par lesdits experts au motif qu’elles comportaient des informations d’ordre privé, ont donné lieu à une suspicion importante. Une enquête menée conjointement par le British Medical Journal et le Bureau of Investigative Journalism de Londres révélait que certains des experts qui avaient participé à la rédaction des lignes directrices de l’OMS en réponse à une pandémie grippale avaient reçu des rémunérations de deux laboratoires pharmaceutiques, Roche et GlaxoSmithKline, tous deux fabriquant des antiviraux et des vaccins contre les virus grippaux.

La même année, le projet de rapport confidentiel d’un groupe d’experts chargé par l’OMS de proposer des financements capables de stimuler la recherche et développement sur les maladies négligées se retrouvent entre les mains de la Fédération internationale des fabricants de médicaments (IFPMA). L’IFPMA avait fait un retour sur ces propositions, en particulier celles qui n’étaient pas en leur faveur – comme la création d’une « communauté de brevets », lancée par Unitaid, l’initiative internationale visant à faciliter l’accès aux traitements contre le sida par des financements innovants, permettant une gestion collective des droits de propriété intellectuelle afin de faire baisser le prix des médicaments. Finalement le « résumé analytique » produit par le groupe d’experts était amputé de la quasi-totalité des propositions défavorables à l’industrie pharmaceutique. Mais des journalistes, alerté par des employés de l’OMS, ont révélé cette affaire et des Etats membres ont fait connaître leur mécontentement. Suite à cela, des mesures de transparence ont été prises, et les déclarations des conflits d’intérêts sont publiées. Unitaid a également créé son Medicine Patent Pool en 2010, sans se soucier de l’avis de l’industrie pharmaceutique.

Finalement, il ressort surtout que l’influence des lobbies sur l’OMS relève des habituels problèmes de conflits d’intérêts, très courants dans le monde de la santé mondiale. C’est un petit monde, tous les experts, médecins, dirigeants… ont travaillé un jour ou l’autre pour le privé. Dans la crise actuelle, de telles critiques seront moins présentes. La transparence est dorénavant de mise à l’OMS, les Etats membres sont de plus en plus vigilants, tout comme la société civile, chacun s’inquiétant de l’utilisation de ses fonds. Le Dr. Tedros, et donc l’organisation, s’est très clairement engagé en faveur de l’accès équitable et abordable aux vaccins, traitements, tests diagnostiques pour combattre le Covid, quitte à s’opposer aux industries pharmaceutiques. Elles tentent de faire bonne figure en promettant de minimiser leurs marges sur ces produits… l’avenir dira si ce sera le cas. Cela résulte aussi du soutien politique sur ce point de la France, de l’Allemagne, de la Commission européenne et du Royaume-Uni dans une certaine mesure.

Le système mis en place dans le cadre de l’ONU manque-t-il à la fois de vision, de capacité d’anticipation et d’alerte et d’autorité ? Bref est-il à repenser et à actualiser ?

De vision : sans doute pas, le mandat est clair, les Objectifs du Développement Durable et l’Agenda 2030 donnent de vraies lignes directrices pour améliorer la santé des populations du monde entier de façon raisonnable

De capacité d’anticipation : peut-être, mais le système des urgences n’a pas montré de défaillance fondamentale dans la crise covid

D’alerte et d’autorité : comme souligné plus haut, l’OMS est une agence onusienne, qui par essence doit composer avec ses Etats membres. Le système d’alerte repose sur celui des Etats comme le prévoit le Règlement sanitaire international (RSI), qui ont donc la plus grande responsabilité. Si c’est une obligation, le RSI de 2005 ne prévoit pas de sanctions pour les Etats qui y manqueraient car les Etats membres ne le souhaitaient pas au moment de sa rédaction et de son vote. L’OMS ne peut agir qu’avec l’autorité que les EM acceptent de lui donner.

La pandémie actuelle offre une occasion unique de repenser le système de sécurité sanitaire international actuel, tous les Etats étant maintenant conscients du risque que représentent les pandémies. Les deux proposition phares seraient d’augmenter les contributions des Etats, car on ne peut pas demander plus à l’OMS sans lui en donner les moyens, et de modifier le RSI pour y intégrer de véritables sanctions pour les Etats membres ne respectant pas les obligations d’alerte et de préparation qui y sont inscrites.