ThucyBlog n° 90 – Côte d’Ivoire, élection présidentielle 2020 : Chroniques d’un hold-up (im)prévisible (3/3)

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Par Tawa Netton Prince, le 18 décembre 2020 

Lire les parties précédentes : Partie 1/3 ; Partie 2/3.

Ce scénario n’était-il pas prévisible ?

L’alternance n’aura donc pas eu lieu. C’est sans surprise, mais dans une situation de tensions politiques aggravées qu’Alassane Ouattara a été réélu à plus de 94,27 % des voix pour un troisième mandat. Le taux de participation communiqué par la commission électorale indépendante (CEI), 53,90 %, est suffisant pour s’octroyer toute sa légitimité.

Ce scénario fait ressortir les limites de la démocratie en Côte d’Ivoire et in fine de la gouvernance électorale. Une analyse objective du comportement d’Alassane Ouattara dès le début de son second mandat en 2015 laissait présager la possibilité d’un rapt institutionnel qui devait lui permettre de réaliser un hold-up électoral envisagé de longue date. Quelques étapes de cette volonté projetée sont à relever. D’abord, le changement de Constitution dès sa réélection de 2015. La Constitution de 2000 avait été jugée porteuse de conflit, mais à la fin de la décennie de rébellion armée qu’a connue le pays, les différents accords signés par les acteurs politiques avaient permis de résorber ce caractère conflictuel.

Les étapes d’un hold up électoral

La question de l’éligibilité de Ouattara était désormais résolue. Une simple révision de l’article 35 de cette Constitution était désormais suffisante pour inscrire les acquis démocratiques dans la postérité et dire adieu aux exclusions de candidats à la présidentielle basées sur la condition de nationalité des parents des candidats. Ensuite, la suppression de la limitation d’âge contenue dans la Constitution de 2000 fut un facteur limitant le renouvellement de la classe politique car elle permettait de jure au trinôme Gbagbo-Bédié-Ouattara de maintenir leur emprise sur la scène politique aussi longtemps qu’ils le voudraient. En effet, en déverrouillant l’âge plafond dans la nouvelle Constitution comme condition d’éligibilité, Ouattara ouvrait la voie à la gestion gérontocratique d’une part et à la possibilité pour lui de se représenter si l’envie lui venait en cours de route d’autre part (dans l’hypothèse où il avait sérieusement renoncé à concourir à nouveau !).

Cette ambivalence ressort également de son discours de décembre 2019 au cours de sa visite officielle à Katiola, ville située au centre nord du pays : « Mon intention, c’est bien de transférer le pouvoir à une nouvelle génération. Mais je veux que tous ceux [qui sont] de ma génération comprennent que notre temps est passé. Et que nous devons tous nous mettre de côté (…) Alors si eux, ils décident d’être candidats, je serai candidat également[1] ». Une question fondamentale surgit ainsi à ce niveau de l’analyse : si l’intention de Ouattara était vraiment de permettre aux hommes politiques de sa génération de prendre leur retraite et ne pas se représenter aux échéances électorales de 2020, pourquoi le verrou de l’âge limite n’a-t-il pas été réintroduit pendant la dernière révision constitutionnelle de mars 2020, d’autant que plus cette révision est passée sans la moindre consultation démocratique, comme une lettre à la poste !

Une autre étape non moins importante de ce hold-up prévisible est l’absence de dispositions transitoires pour clarifier les intentions du président Ouattara, initiateur de la nouvelle Constitution, quant à sa volonté ferme de ne pas briguer un troisième mandat. Quand il présente le projet de Constitution devant l’Assemblée nationale, Ouattara est informé des inquiétudes de la classe politique et de l’opinion nationale. Elles se résument en ces termes : Ouattara veut-il changer de Constitution pour briguer un troisième mandat ? Il tente alors oralement de rassurer les députés et l’opinion nationale au sein de l’hémicycle en lisant à deux reprises les termes de l’article 55, la reprise de l’article 35 de la défunte Constitution. Ces deux articles, faut-il le rappeler, constitutionnalisent l’interdiction d’un troisième mandat présidentiel. Mais à l’arrivée, on peut ainsi conclure que le chef du parti au pouvoir a rusé avec la population en entretenant ce flou et masquer son projet politique : se maintenir au pouvoir à la fin de son second mandat.

Enfin, la dernière étape de ce hold-up, c’est le choix de la personne de Amadou Gon Coulibaly comme candidat, pour le compte de son parti politique, à l’élection présidentielle annoncée. Amadou Gon Coulibaly a sûrement été un loyal serviteur de Ouattara mais sa personne ne convenait manifestement pas pour la tâche ainsi projetée. Amadou Gon Coulibaly souffrait d’un déficit de charisme, qualité politique essentielle pour succéder à un chef de parti de la charge du président sortant. Qu’à cela ne tienne ! Mais le candidat choisi souffrait depuis 2012 bien plus d’un malaise cardiaque. Il avait subi une transplantation cardiaque et l’on pouvait prévoir que les pressions de l’ambiance électorale pouvaient dégrader sérieusement son état de santé et a minima le rendre indisponible pour la mission. En le choisissant comme son héritier, contre d’ailleurs l’avis de bon nombre de cadres de son parti, Ouattara se mettait en embuscade pour revenir (rester) dans le jeu politique et paraitre comme l’ultime recours pour son parti politique.

Retour à la culture politique ancestrale

A l’issue du passage en revue de ces étapes, nous pouvons donc conclure que le hold-up électoral en Côte d’Ivoire était prévisible. L’analyse nous amène donc à nous demande si la dévolution du pouvoir par le truchement du jeu électoral démocratique n’est-elle pas séquestrée par une tare congénitale anthropologique, celle de la culture politique des peuples africains ?

Cette problématique est doublement fondamentale tant au niveau de son intérêt que de son actualité. En effet, quoique limitée par l’actuel processus électoral, elle nous donne l’opportunité de mener une réflexion panoramique sur les influences de l’héritage socio-anthropologique. Scrutant ce passé d’un regard assumé, l’on pourrait mieux comprendre la hantise de nos gouvernants face à l’alternance politique. Sans aller au-delà des éléments factuels ci-dessus, on peut le dire : la transmission du modèle démocratique à l’occidental dans la structuration des institutions des États africains montre l’échec du mimétisme face à la prévalence des réalités endogènes. Pourtant, la démocratie reste le rempart contre le risque de dislocation de l’Etat africain. C’est la raison pour laquelle il est urgent de stabiliser et de renforcer les institutions républicaines afin qu’elles ne s’assujettissent pas au désidérata de ceux qui l’incarnent.

[1] Ouattara : « S’ils sont candidats, je serai candidat » Fraternité Matin du 02 décembre 2019. Lire l’article ici.

Bibliographie :

Arrêt de la CADHP du 15 juillet 2020 ; Requête no 044/2019 – Suy Bi Gohore Emile & 8 Autres c. Côte d’Ivoire.

Décision n° CI -2020-EP-009/14-09/CC/SG du 14 septembre 2020 portant publication de la liste définitive des candidats à l’élection du président de la république du 31 octobre 2020.

GNETO Gbakré Jean Patrice. Quand la société krou, une société sans état ou société à démocratie villageoise veut se reconstituer en une société a Etat. Rev iv hist 2017.

Vincent Foucher, Étienne Smith, Les aventures ambiguës du pouvoir traditionnel dans l’Afrique contemporaine ; Dans Revue internationale et stratégique 2011.

Webographie :

Alassane Ouattara lors de son interview accordée au journal français Le Monde, le 24 octobre 2020 . Lire l’article ici.

Côte d’Ivoire : Présidentielles de 2020, le RHDP annonce que les 3/4 des électeurs inscrits sur la liste électorale sont issus de ses rangs par Koaci.com. Lire l’article ici.

Ouattara : ‘‘ S’ils sont candidats, je serai candidat ’’ Fraternité Matin du 02 décembre 2019. Lire l’article ici.

Propos liminaire du secrétaire exécutif en chef du PDCI, Pr Maurice Kakou Guikahué, face à la presse, le vendredi 19 juin, au siège du PDCI-RDA à Cocody. Lire l’intégralité ici.