ThucyBlog n° 91 – « Make the OSCE great again » ?

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Par Dominique d’Herbigny, le 23 décembre 2020
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire

Lors de la réunion ministérielle annuelle les 3 et 4 décembre derniers, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a pu renouveler son équipe dirigeante, dont le poste de Secrétaire général échu à l’ancienne directrice politique de l’Union européenne, l’Allemande Helga Schmid, assurer le renouvellement de ses présidences annuelles jusqu’en 2024, enfin adopter quelques décisions, dont une dans la dimension humaine.

C’est un succès et une surprise, si l’on considère l’accumulation de défis auxquels doit faire face depuis des années cette organisation en grande difficulté. Le mérite en revient à l’Albanie, présidente de l’OSCE en 2020, un pays trop souvent sous-estimé, dont on oublie qu’il a su se défaire successivement du patronage soviétique (1962) puis chinois (1978) en pleine guerre froide.

Si la Russie manipule le jeu à l’OSCE pour essayer de justifier sa politique d’annexion en Ukraine et forcer une réinterprétation des règles de la sécurité européenne, la Turquie et l’Azerbaïdjan sont aussi à la manœuvre : limogeage de l’équipe dirigeante de l’OSCE en juin, opposition à la tenue de la plus grande réunion européenne annuelle sur les droits de l’Homme en septembre, et opération de reprise aux Arméniens du Haut-Karabagh et de ses territoires adjacents par Bakou, bousculant le format de négociation existant, le « Groupe de Minsk ».

Il était difficile dans un tel contexte de célébrer les trente ans de la Charte de Paris et de sa vision d’une Europe unie et démocratique affirmée le 21 novembre 1990 lors d’un sommet historique qui conduisit aussi à l’institutionnalisation de la CSCE (conférence) en OSCE (organisation). Caisse de résonance de la situation politique et de sécurité en Europe, l’organisation viennoise est, en effet, très affaiblie par la profonde dégradation des relations de sécurité en Europe avec la Russie depuis ses interventions en Géorgie, puis en Ukraine.

Au sein de l’OSCE, des blocages à répétition

A la fin des années 1990, au lendemain de l’Acte fondateur OTAN-Russie et des premières avancées sur la défense européenne, la disparition de l’OSCE était parfois prophétisée. Cela ne s’est pas produit, mais le « retour de l’OSCE » annoncé au début du conflit d’Ukraine en 2014 non plus. Ainsi :

– Aucun Sommet de l’OSCE ne s’est plus réuni depuis 2010 et rares sont les décisions significatives que ses conseils ministériels ont adopté ces dernières années. La règle du consensus assure le blocage de l’organisation sur n’importe quel sujet et à n’importe quel moment et propage la paralysie à mesure que les conséquences des conflits (Ukraine, Géorgie ou conflit du Haut-Karabagh), affectent chaque décision de conditions et de contreparties politiques qui en annulent tant la force que l’esprit et les valeurs réputés l’inspirer. Le consensus dans une organisation divisée condamne à l’impuissance.

– Les missions de l’OSCE sont évincées de l’espace post-soviétique depuis 2009, surtout dans le Caucase, même si d’autres restent importantes (1 500 observateurs au Donbass ukrainien, 500 experts au Kosovo). Cette tendance résulte de la reprise de contrôle russe dans la région dans une approche de refoulement de la coopération avec l’UE et l’OTAN, et s’étend aux Balkans où la Russie refuse les activités « favorisant l’élargissement de l’UE et de l’OTAN ». La même logique vaut pour les formats de négociation sur les conflits, la Russie restant prête à prendre la main directement comme vient de le montrer son déploiement au Haut-Karabagh.

– Les engagements politico-militaires issus de la guerre froide ont été remis en cause à mesure que la Russie a repris sa liberté de manœuvre militaire en Europe : le traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) a été dénoncé par Moscou en 2011 ; le document de Vienne n’a plus été mis à jour depuis 2011 ; le traité Ciel ouvert a été dénoncé cette année par les États-Unis au motif de sa violation par la Russie. Un « dialogue structuré » était depuis 2017 le seul forum multilatéral de dialogue sur la transparence militaire, mais il a déjà atteint ses limites aux yeux de la Russie (qui attend davantage) et des alliés (qui préfèrent le statu quo).

– L’OSCE a surtout cessé d’être le lieu où se discute l’architecture de sécurité en Europe, pourtant sa raison d’être. Depuis son idée de « Traité de sécurité européenne » en 2008, Moscou attend une « offre » plus large, impensable sans résolution du conflit d’Ukraine. L’initiative française d’ « architecture de sécurité et de confiance » ne s’est, quant à elle, accompagnée d’aucune suggestion qui permettrait à l’OSCE d’en être un cadre de mise en œuvre.

– Paralysée dans son cœur de métier, l’OSCE a cherché une nouvelle raison d’être sur d’autres sujets (terrorisme et menaces transversales, drogues, migrations, cyber, connectivité etc…) sur lesquels sa compétence est floue, au risque de miner sa pertinence politique et sa valeur ajoutée.

– Le dernier Secrétaire général, surtout soucieux de visibilité, a laissé se dégrader la gestion de l’OSCE pourtant au cœur de sa mission : l’OSCE recourt au prix fort et sans transparence à des drones d’observation en Ukraine qui ne répondent pas aux besoins opérationnels ; le recrutement, caractérisé par le clientélisme, le recyclage et l’arbitraire, a perdu sa crédibilité et les nominations « en paquets » se multiplient ; enfin le déséquilibre budgétaire est insoutenable et facteur d’irresponsabilité : 40 États sur 57 paient ensemble moins de 1 % du budget et l’OSCE n’a plus de barèmes de contribution agréés depuis 2017.

L’OSCE, victime du travail de sape de la Russie et de la division des Européens 

Comment en est-on arrivé là ? La CSCE avait été conçue comme une enceinte politique, sans instruments contraignants, pour gérer la détente, pas la tension qui prévaut depuis dix ans dans le voisinage commun de l’UE et de la Russie et sur le terrain des valeurs. Elle pâtit d’une profonde division politique, non plus entre l’« Ouest » et l’« Est », mais entre l’Union européenne (plus encore que les États-Unis) et une Russie assez isolée, qui ne jouit que de soutiens rares et sporadiques, sans les manœuvres desquels la majorité des 57 États participants pourrait souvent s’accorder.

Le fait que les États de l’UE s’expriment d’une seule voix pour communiquer les positions européennes consensuelles, mais en ordre dispersé montrant les désaccords existants entre eux, permet à la Russie d’accréditer une « diversité » des points de vue. Il existe aussi un déséquilibre : les Russes et leurs associés savent ce qu’ils veulent et mènent leur offensive en conséquence, alors que les Occidentaux ne démontrent pas l’attention nécessaire.

Ceci avantage les visions « neutralisantes » d’États comme l’Autriche, la Suisse ou la Slovaquie, très actifs à l’OSCE, tenants du dialogue à tout prix et soutenus par l’Allemagne, centrale à l’OSCE qui est pour elle une enceinte d’influence continentale.

La Russie déconstruit l’OSCE pour y appliquer l’approche fixée par Vladimir Poutine au Club Valdaï en 2014 (« changeons les règles ou bien il n’y aura plus de règles »). Pour justifier l’annexion de la Crimée, elle souligne que l’Acte final d’Helsinki consacre sans les hiérarchiser des principes contradictoires, comme l’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination et accuse les alliés OTAN d’avoir été les premiers violateurs lors de leur intervention en 1999 à propos du Kosovo.

En réalité, Moscou veut vider l’OSCE du contenu normatif hérité de la fin de la guerre froide, en particulier en matière de démocratie et de droits de l’Homme, au motif que les Occidentaux en auraient abusé comme une « ruse de guerre » (Lavrov) et que l’approche libérale qui les sert serait allée trop loin. Elle a retourné contre l’UE les mécanismes de la dimension humaine en exploitant les difficultés qu’elle attise : elle dénonce ainsi l’essor de forces politiques extrémistes qu’elle favorise en sous-main.

L’UE représente près de la moitié des États de l’OSCE et bénéficie de l’alignement sur ses positions de 15 États post-communistes et des affinitaires. Elle contribue à 60 % du budget de l’OSCE (70 % avant le Brexit). Elle est cependant divisée et en deçà de son potentiel, également en raison de la multiplication de présidences de l’OSCE par des États membres de l’UE (les prochaines sont la Suède en 2021 et la Pologne en 2022) qui conduit l’UE à intérioriser les pressions extérieures, certains États membres acceptant « d’accommoder » les positions russes au nom des relations bilatérales ou de défis intérieurs.

Malgré les obstacles, l’OSCE reste utile et doit être préservée

Même affaiblie, la vocation de l’OSCE demeure et la préserver suppose de :

– Défendre son acquis normatif, son cœur de métier (tout sujet affectant la sécurité européenne n’est pas un sujet pour l’OSCE) et une valeur ajoutée politique lisible, mais avant tout la résolution du conflit ukrainien, sa conception large et multidimensionnelle de la sécurité ;

– Entretenir le rôle d’enceinte de dialogue politique sur la sécurité européenne ainsi que de cadre privilégié pour la maîtrise des armements et la transparence des activités militaires en acceptant d’attendre que les conditions politiques soient réunies pour un vrai dialogue renouvelé avec la Russie.

– Relever les défis de gouvernance et de réforme, y compris financière. L’absence de capacité juridique n’est pas l’obstacle majeur et l’OSCE y trouve une souplesse d’emploi utile.

– Enfin, promouvoir le rôle clé de l’UE en faveur de la sécurité en Europe et de l’Europe à l’OSCE, qui continuera de présenter pour les Européens un cadre multilatéral à la fois d’expression, de dialogue, de réponse opérationnelle aux crises dans l’espace post-soviétique. Egalement, via ses institutions autonomes et ses missions, surtout dans les Balkans, contribuer aux réformes et au rapprochement avec l’UE, et servir d’auxiliaire du Partenariat oriental.