Par Vincent Gourvil, le 22 mars 2021
« La belle qui sommeille sur les bords du Rhin », c’est le mot cruel que le premier président de la Ve République, le Général de Gaulle réserve, dans les années 1960, au Conseil de l’Europe dont le siège est à Strasbourg. L’institution est créée le 5 mai 1949 par le Traité de Londres signé par dix États (Belgique, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Suède et Royaume-Uni). Qualifiée de gardienne de la démocratie, des droits de l’homme, elle est peu/mal connue de la plupart de « ses » 830 millions de citoyens, souvent confondue avec l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe vient de fêter, en 2019, son soixante-dixième anniversaire dans un contexte de multi-crises. Crises qui ne font que souligner la relative impuissance d’une institution qui n’a pour bras armé que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ou OSCE (au sein de laquelle siègent également Américains et Canadiens), elle constitue le seul forum pan-européen où les représentants de la plus grande majorité des États du continent, en particulier grâce à leur assemblée parlementaire, peuvent dialoguer, débattre, confronter leurs points de vue sur des problématiques relatives à l’avenir du continent. Aujourd’hui, avec ses quarante-sept États membres (à l’exception de la Biélorussie) et ses six États observateurs, le Conseil de l’Europe constitue une enceinte privilégiée de dialogue institutionnel comparée à l’Union européenne qui n’en comporte que vingt-sept et est paralysée par ses divisions internes et son difficile divorce avec le Royaume-Uni. Modèle pour le monde d’hier, le Conseil de l’Europe peine à s’adapter au monde présent, à anticiper celui de demain.
La paix par le droit : le monde d’hier
L’idée de la création du Conseil de l’Europe prend racine dans l’expérience traumatisante de la Seconde Guerre mondiale (discours de Winston Churchill de 1942 et 1943) autour d’un mot d’ordre « Plus jamais ça ». Protéger la démocratie, l’état de droit semble, aux Pères fondateurs du Conseil en 1949 et aux initiateurs de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en 1950 (René Cassin pour la France), la meilleure voie pour protéger la paix et la sécurité internationales sur le continent (Cf. le préambule du Statut de Londres : « Persuadés que la consolidation de la paix fondée sur la justice et la coopération internationale est d’un intérêt vital pour la préservation de la société humaine et de la civilisation »). L’édifice mis au point, au moment de la division de l’Europe, repose sur une trilogie institutionnelle au service d’une trilogie opérationnelle.
Une trilogie institutionnelle. Les principaux organes de l’organisation intergouvernementale, qu’est le Conseil de l’Europe, sont le Comité des ministres (CM), l’Assemblée parlementaire (APCE), le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux (CPLRE), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le Commissaire aux droits de l’homme, la Conférence des Organisations internationales non gouvernementales (OING) sans oublier le Secrétaire général et son adjoint (élus par l’APCE comme les juges de la CEDH) à la tête d’une administration composée d’agents titulaires, de contractuels et d’intérimaires. Le travail du Conseil de l’Europe s’organise essentiellement autour de deux pôles : décision (Comité des ministres) et délibération (Assemblée parlementaire) assistés d’un secrétariat dirigé par le Secrétaire général. Pour être complet, il convient d’en ajouter un troisième particulièrement important et dissuasif, le contrôle de l’exécution des normes (CEDH). Le but principal du Conseil est de défendre ses « valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable ». Et cela dans ses quarante-sept États membres sans exception. Son élargissement, de dix à quarante-sept États, s’effectue au fil des ans mais surtout après 1989 avec la chute du Mur de Berlin, puis l’éclatement de l’URSS. La tâche n’est pas aisée, y compris trente ans après cet important appel d’air dû à la fin de la Guerre froide.
Une trilogie opérationnelle. Si l’on exclut les questions de défense nationale, qui échappent à sa compétence, le Conseil de l’Europe a pour but « de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique et social. Ce but sera poursuivi au moyen des organes du Conseil, par l’examen des questions d’intérêt commun, par la conclusion d’accords et par l’adoption d’une action commune dans les domaines économique, social, culturel, scientifique, juridique et administratif, ainsi que par la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (Cf. article 1 du Statut de Londres). Quitte à simplifier à l’extrême, l’action opérationnelle du Conseil s’opère de façon logique autour de trois fonctions. La première est une fonction normative qui s’exprime qualitativement (le Conseil est avant tout une machine à produire du droit) et quantitativement (il présente à son actif 220 conventions européennes contraignantes auxquelles on peut ajouter les recommandations du Comité des ministres assimilés à de la « soft law »). La seconde est une fonction de contrôle de la bonne mise en œuvre des normes édictées et acceptées (qualifiée de « monitoring ») accompagnée d’une possible fonction coopérative (aide prodiguée aux États défaillants pour se mettre en conformité comme la Commission de Venise). La troisième est une fonction coercitive pouvant aller de la demande d’éclaircissement à la sanction de l’État fautif par la Cour européenne des droits de l’homme (60 000 affaires sont en souffrance).
Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes à Strasbourg à ceci près que le monde change et que la mécanique parfaitement bien huilée des premières décennies connait quelques ratés dont il convient de rechercher les causes.