Par Camille Bayet, le 29 mars 2021
Rompant un long silence de plusieurs mois[1], le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté le 1er juillet 2020 la résolution 2532 relative au maintien de la paix et la sécurité internationales dans le contexte pandémique actuel. Exhortant à un cessez-le-feu mondial, cette résolution prend la mesure des conséquences de la situation sanitaire sur les opérations de maintien de la paix de l’ONU (OMP) en cours. Si la pandémie impose des ajustements opérationnels aux Casques bleus, elle invite à repenser l’action des OMP pour contenir les risques d’embrasement des conflits sur les théâtres d’opération. Un an après la première vague épidémique en Europe, quels constats peuvent être dressés sur les OMP face à la Covid-19 ?
Gestes barrières et principes préventifs : des adaptations opérationnelles
Difficile pour les Casques bleus de mener à bien leur mandat en télétravail. Pour pallier les risques liés à la contagion de la Covid-19 sur les terrains d’opération, des protocoles sanitaires ont été mis en place. Hormis le désormais universel port du masque, le système de rotation des contingents a été suspendu entre avril et juillet 2020, puis réinstauré avec des conditions strictes de quarantaine. L’objectif étant de limiter les contaminations liées à la Covid-19 au sein du personnel onusien et avec les populations locales. Le douloureux souvenir de l’épidémie de choléra importée en Haïti en 2010 par un Casque bleu népalais hante les esprits.
Ainsi, le Secrétaire général adjoint aux OMP Jean-Pierre Lacroix a précisé que, pour les Nations Unies, « d’aider à prévenir et à contenir la propagation du virus là où des opérations de maintien de la paix sont déployées est donc non seulement un impératif moral, mais aussi une priorité politique ainsi qu’une exigence opérationnelle ». Pour ce faire, quatre objectifs ont été énoncés et rappelés dans le rapport du Secrétaire général devant l’Assemblée générale du 3 novembre 2020 (A/75/563) : prêter appui aux autorités nationales ; assurer la protection du personnel des Nations Unies ; enrayer la propagation du virus et aider à protéger les populations vulnérables ; assurer la continuité opérationnelle.
Fort heureusement, les douze opérations en cours actuellement se déroulent en majorité sur des terrains où la propagation de la Covid-19 demeure sous contrôle. Ainsi, les données épidémiologiques journalières de l’OCHA (Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies) illustrent que les missions multidimensionnelles les plus importantes en termes de mandats et d’effectifs (MINUSMA au Mali, MINUSCA en République centrafricaine, MONUSCO en République démocratique du Congo) semblent, pour le moment, relativement épargnées par la vague épidémique ; en comparaison avec l’Amérique latine par exemple.
Données épidémiologiques sur les terrains d’opérations de l’OCHA,15 mars 2021
La Covid-19 : une entrave supplémentaire à la recherche de la paix
Aux risques de propagation du coronavirus palliés en partie par ces ajustements opérationnels, s’ajoutent des craintes d’aggravation des conflits. En effet, il y a fort à redouter un embrassement des tensions sur les théâtres d’opérations. Dans ces États pour la plupart fragiles (Mali, RDC, Centrafrique) gouvernés par des institutions défaillantes, la priorité à court terme est donnée à la prévention et à la sensibilisation. En effet, les campagnes de désinformation, les rumeurs et « fake news » se sont multipliées dans les premiers temps de la pandémie. Alarmé par la situation et ses incidences sur les zones à risque, le Secrétaire général António Guterres a rappelé, à l’occasion d’un point de presse du 14 avril 2020, que « à mesure que la COVID-19 se répand, un tsunami de désinformation, de haine, de recherche de boucs émissaires et d’alarmisme a été déclenché ».
Au Sud Soudan, les soldats de la paix se sont ainsi transformés en soldats de l’information : le personnel civil et militaire de la Mission des Nations Unies au Sud Soudan (MINUSS) a été mobilisé pour animer des campagnes de prévention, distribuer des postes de radio et faire du porte-à-porte auprès des populations locales. Ces actions visent à étouffer les rumeurs délétères pour la stabilité du pays et pour la perception, par l’opinion publique, du personnel onusien sur le territoire sud soudanais. Au Mali, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) s’est, elle aussi, dotée d’un objectif de prévention et de sensibilisation. Force est de constater que les mandats de ces missions ne cessent de s’étendre : les Casques bleus sont-ils encore de simples soldats ou ce sont-ils transformés en « couteaux suisses » du maintien de la paix ?
Sur le long terme, la crise sanitaire constitue un challenge supplémentaire pour les processus de paix et de transition politique en cours dans les États hôtes des OMP. Si le rapport sur l’impact de la Covid-19 en Afrique de mai 2020 commandité par les Nations Unies fait état d’une bonne gestion globale de la crise par les gouvernements africains, il souligne les inquiétudes quant aux conséquences sur la stabilité des États. Plusieurs indicateurs seront à observer de près pour éviter tout risque d’aggravation des conflits : l’accès aux soins et aux équipements de protection contre la Covid-19, l’administration équitable des vaccins, la distribution des biens de premières nécessité, l’impact de la pandémie sur les économies et les crises à redouter, les freins imposés par les mesures de distanciation sociale sur les processus électoraux en cours. De fait, le rapport prône une approche « conflict-sensitive » de la gestion de la Covid-19 dans les États hôtes des OMP : la lutte contre la pandémie devra indéniablement prendre en considération la sensibilité et l’instabilité des terrains.
Une opportunité pour repenser les opérations de maintien de la paix ?
A l’occasion d’une réunion co-organisée par l’International Peace Institute et les représentants gouvernementaux de la Finlande, de l’Indonésie, du Rwanda et de l’Uruguay en octobre 2020, les intervenants sont revenus sur les leçons pouvant être tirées de la crise sanitaire pour repenser les OMP. Les pressions exercées par la pandémie sur le maintien de la paix onusien ont rappelé les problèmes de coordination en interne et la nécessité d’une meilleure coopération entre les agences et institutions de l’ONU. Déjà pointé du doigt à l’occasion de la publication du rapport HIPPO en 2015 (A/70/95), le défi d’un plus grand « partage du fardeau » au sein des Nations Unies a été mis de nouveau en lumière avec la crise sanitaire. Ainsi, OMP et agences du système onusien sont appelées à coopérer davantage : les agences de l’ONU (OCHA, OMS, HCR) comptant sur les missions pour la planification des campagnes de vaccination et la mise en disposition d’un environnement sécuritaire sûr ; les missions s’appuyant sur les agences onusiennes pour la distribution et l’acheminement des équipements liées à la Covid-19.
Finalement, cet appel à une plus grande coopération entre les agences du système onusien illustre, en filigrane, les limites des opérations dites « multidimensionnelles ». Les OMP se heurtent ici à leur ambition : les moyens financiers et humains ne sont pas à la hauteur de leur mandat. Incluant des composantes autant militaires, que politiques, sociales ou sanitaires, les OMP multidimensionnelles visent à « créer un milieu sûr et stable tout en cherchant à restaurer la capacité de l’État à maintenir la sécurité dans le respect de l’État de droit et des droits de l’homme » tout en « facilitant le processus politique » (rapport Brahimi de 2000 A/55/305). Dans ce contexte pandémique, les tâches se complexifient, les mandats se rallongent et se superposent. Une invitation à repenser l’architecture globale du maintien de la paix onusien et de la boîte à outils à disposition.
[1] Pour une analyse de la réaction du Conseil de sécurité des Nations Unies face à la crise sanitaire de la Covid-19, se référer au ThucyBlog n°39 d’Alexandra Novosseloff, « Le Conseil de sécurité, le grand absent d’un monde désarticulé » (25 mai 2020)