ThucyBlog n° 173 – La COP 26 au prisme d’une approche diplomatique

Crédit photo : Stenbocki Maja, COP26 (licence CCA)

Partager sur :

Par Vincent Gourvil, le 22 novembre 2021 

« Les véritables accords sont les accords en arrière-pensées » (Paul Valéry)

À l’issue d’un marathon final de plus de 48 heures, la COP26 de Glasgow s’achève, le 14 novembre 2021, sur l’adoption, par consensus, d’une déclaration finale. Les négociateurs se rengorgent de ce succès inespéré, jugeant positif un accord de deux cents États sur une question aussi sensible. Les ONG se récrient face à cet échec, estimant insuffisants les « engagements » souscrits par la communauté des nations pour répondre au défi climatique. Laissons aux experts – en particulier ceux du GIEC – le soin de juger objectivement du résultat concret de cette grand-messe ! Autorisons-nous simplement à en apprécier le résultat au prisme de la pure technique diplomatique de la négociation multilatérale ! Après avoir analysé succinctement les paramètres incontournables de la négociation multilatérale, nous serons mieux outillés pour apprécier les subterfuges éprouvés du vieux routier du circuit onusien pour rendre possible l’impossible.

Des paramètres incontournables de la négociation multilatérale 

La désunion fait la faiblesse. Tout en étant conscient des effets catastrophiques, à court, moyen et long terme, de la dégradation de la planète, chaque État apprécie les efforts internationaux qui lui sont demandés au regard de ses propres contraintes nationales. Nature bien ordonnée commence par soi-même. Chaque COP vérifie la règle de prééminence de l’intérêt bien compris de chaque État par rapport à un intérêt commun mal défini. Faute d’un minimum d’affectio societatis, la réunion tourne rapidement au dialogue de sourds, à l’échange de thèses difficilement réconciliables reprises, tant bien que mal, dans un document diplomatique de synthèse des travaux.

La quantité créée la difficulté. Tout expert de la négociation multilatérale – en particulier onusienne – sait d’expérience que, plus on est de fous, moins on parvient à s’entendre. Les conférences annuelles des parties à la Convention cadre des Nations unie sur les changements climatiques (CNUCC) de 1992 n’échappent pas à la règle. Elles s’apparentent plus à une auberge espagnole qu’à un restaurant du cœur. Le cœur a ses raisons que la raison ne connait pas. Par ailleurs, l’on sait que la première semaine d’une conférence d’une durée de deux semaines est consacrée aux déclarations solennelles. Il ne reste que peu de temps pour entrer dans le vif du sujet.

L’exigence entraîne la frilosité. Tout appel à des exigences (techniques, financières, médiatiques) fortes du maître de séance – naturellement attaché à un succès « politique » de son entreprise – entraîne mécaniquement une réaction de réponse faible de ses ouailles. Le mieux est souvent l’ennemi du bien. Le président de la conférence est alors soumis à un choix cornélien : se contenter de l’obtention d’un consensus mou sur des promesses vagues en termes d’échéance et de financement ou bien courir à l’échec en recherchant l’idéal, l’impossible. Politiquement et diplomatiquement rares sont ceux qui privilégient la seconde branche de l’alternative.

La défiance engendre l’immobilisme. Tout climat délétère dans les relations internationales est de mauvais augure pour l’obtention de percées diplomatiques significatives. Or, l’entrée dans une sorte de nouvelle guerre froide sino-américaine – y compris en dépit d’une trêve apparente sur les questions climatiques – a nécessairement des répercussions négatives sur l’environnement général d’une rencontre internationale comme celle de la COP. Notons que ni les présidents chinois et russe n’ont fait le déplacement à Glasgow, y compris pour les beaux yeux et la mèche blonde en bataille de BOJO. Un climat de méfiance généralisée est peu propice à des avancées multilatérales.

Dans ce contexte de multiples contraintes, comment résoudre la quadrature du cercle diplomatique si ce n’est en ayant recours aux martingales du négociateur du monde d’hier ?

Des subterfuges éprouvés du négociateur multilatéral 

L’ambiguïté favorise le consensus. Tout accord international comprend les indispensables ambiguïtés, sans lesquelles on ne trouve jamais de solution à des problèmes en apparence insolubles. L’on fait ici référence à la théorie de l’ambiguïté constructive bien connue dans la négociation multilatérale. Elle privilégie des formules diplomatiques insolites et cocasses pour le commun des mortels en faisant usage de termes qui mentent comme ils respirent. Chaque État accordant au terme la signification qui lui sied, faisant fi des interprétations parfois divergentes des autres contractants. Les mots ne veulent plus rien dire mais ils préservent l’accord, le consensus.

Le mou remplace le dur. Tout exercice de négociation d’une grande complexité technique doublée d’une exigence objective d’un fort degré d’engagement théorique a ses contraintes incontournables. L’une d’entre elles n’est-elle pas de privilégier le vague des promesses diplomatico-politiques aux exigences des engagements juridiquement contraignants ! En un mot comme en cent, de choisir volontairement le mou au dur ? Telle est la condition sine qua non du ralliement des plus réticents à une déclaration, à un communiqué dont la philosophie générale lui pose problème. L’essentiel consiste à organiser les divergences sous l’angle des convergences.

La forme supplante la substance. Tout choix des mots devient le graal de l’équipe chargée de la négociation du produit final. Comme l’écrivait Gabriel Hanotaux (diplomate, historien, homme politique) en 1947 : « Mais il fallait trouver des formules ménageant tous les intérêts, toutes les susceptibilités ». Et, ce n’est pas une mince affaire. Il importe de ne pas se laisser guider par ses passions, meilleurs viatiques pour l’impasse. Le choix de chaque mot est précédé d’un examen minutieux de ses conséquences positives et négatives, sur l’architecture globale du texte, sur sa tonalité générale. Un affreux galimatias vaut parfois mieux qu’une langue trop précise et contraignante.

Le présent l’emporte sur le futur. Tout ce qui précède comporte une dimension temporelle indéniable. Vouloir à tout prix un accord obtenu par consensus à un instant « t » suppose de privilégier le court terme au long terme. Le résultat de la COP21 (2015) de Paris en fournit la meilleure illustration. Six ans après, nombre de ses préconisations sont restées lettres mortes. Par ailleurs, nul n’ignore que, dans le multilatéralisme onusien, une idée nouvelle met toujours des années à se concrétiser. En ce sens, le choix des négociateurs constitue un pari sur l’avenir. À savoir que les choses s’arrangeront avec le temps et avec une bonne dose d’optimisme.

Grâce à cette batterie de ficelles d’anciens combattants blanchis sous le harnais multilatéral, les négociateurs parviennent à sauver la face de leurs mandants politiques… du moins pour un temps jusqu’à la prochaine conférence d’examen des résultats des engagements souscrits lors de la précédente. Ainsi va, cahin-caha, le monde multilatéral avec ses heurs et ses malheurs !

*   *   *

« Si les pensées et les arrière-pensées convergent » (Paul Valéry)

À l’instar de la plus belle femme du monde, la négociation multilatérale ne peut donner que ce qu’elle a. Et, en ces temps de défiance généralisée – surtout entre les deux plus grands pollueurs de la planète que sont la Chine et les États-Unis –, ce qu’elle a est peu de chose sur des questions telles que la protection de l’environnement et du climat. Le résultat de la COP26 de Glasgow est bien en-deca des espoirs placés en elle par naïfs et adeptes de la méthode Coué. Pouvait-il en être autrement ?[1] Tel était, selon une approche réaliste, le prix indispensable à payer pour ne pas se séparer sur un constat d’échec incompréhensible pour une opinion publique chauffée à blanc sur les problématiques environnementales. Pour cynique et amoral qu’il soit, tel est le bilan de la COP26 que l’on peut dresser en l’analysant au prisme d’une pure approche diplomatique.

[1] Audrey Garric (propos recueillis par), Stefan Aykut : « Les COP ne sont qu’une chambre d’enregistrement.  Une COP ne peut pas être à l’avant-garde des débats », Le Monde, 17 novembre 2021, pp. 1 et 12.