ThucyBlog n° 174 – Diplomate : le grand déclassement

Les Ambassadeurs (1533), peinture d'Hans Holbein le Jeune, National Gallery de Londres

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Par Jean Daspry, le 25 novembre 2021 

Petites causes, grands effets. La transformation de l’école nationale d’administration (ENA) en Institut national du service public (INSP), à compter du 1er janvier 2022, est conçue par le président de la République comme un moyen actif de transformation de la haute fonction publique[1]. Hormis la formation initiale des lauréats des concours qu’elle assumera, au même titre que l’ENA, la nouvelle structure sera chargée de trois principales missions : donner une culture commune par la création d’un tronc commun aux écoles d’encadrement supérieur, coordonner l’élaboration et le suivi des programmes de formation continue des cadres de l’État et renforcer les liens avec la recherche et le monde académique aux niveau national et international. Une question est dès lors posée : quel sera l’impact de la réforme sur le corps diplomatique français à l’avenir ? Doit-il conserver la spécificité du recrutement de ses agents en raison de la spécificité du métier de diplomate ou bien doit-il se fondre dans la masse en raison de l’interchangeabilité de tous les hauts fonctionnaires français souhaitée par le président de la République ?

Le métier de diplomate d’hier : une spécificité universelle 

La diplomatie dispute au renseignement le privilège d’être le deuxième métier le plus vieux du monde. C’est peu dire que l’homme, loup pour l’homme, a, depuis la nuit des temps, recherché la voie de l’apaisement pour régler ses différends (la paix ou approche coopérative) après avoir épuisé les charmes de la confrontation (la guerre ou l’approche coercitive). Cette démarche s’est, par la suite étendue, des relations entre groupes humains, aux relations entre États. D’où l’idée de confier cette mission de médiation, de conciliation, d’arbitrage… à des personnes portées vers pareille démarche par leurs qualités d’écoute, leur sens du compromis. Petit à petit, elle est revenue à des professionnels de la chose. Ce que l’on a coutume de désigner sous le vocable de diplomate sur lequel circulent les fables les plus extravagantes. Si au départ, les fonctions diplomatiques sont confiées à une élite, une « noblesse d’État », une caste, une aristocratie, les choses changent au fil du temps. Avant la Seconde Guerre mondiale, le recrutement des diplomates s’effectue par la voie de la méritocratie républicaine : grand concours ouvrant la voie à la carrière diplomatique et petit concours réservé à la voie consulaire avec possibilité de passerelles entre les deux corps. N’oublions pas l’existence du corps des interprètes, celui des drogmans exerçant leur office dans les pays aux langues difficiles ! Rappelons que la première femme à intégrer le grand concours en 1930 fut Suzanne Borel ! Après 1945, hormis un recrutement exceptionnel et limité dans le temps (le concours du cadre complémentaire réservé aux résistants qui accueillera Romain Gary), l’entrée au Quai d’Orsay s’effectue par trois canaux complémentaires : élèves à la sortie de l’ENA, concours du cadre d’orient (avec quatre spécialités) et du cadre général auquel il convient d’ajouter les fonctionnaires issus des IRA. Cette diversité d’origine concourt à une meilleure connaissance de toutes les zones géographiques du monde. Au fil du temps, se sont ajoutées les filières spécialisées : européenne, multilatérale, sécurité et défense, juridique… Cette large palette de fonctionnaires, à la vocation chevillée au corps, permet de répondre aux défis du monde de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe siècle (Cf concept de diplomatie gaullo-mitterrandienne). Y compris avec quelques modalités pratiques différentes, nos principaux partenaires étrangers retiennent, motu proprio, l’idée d’une spécificité du métier diplomatique pour défendre au mieux leurs intérêts sur la scène internationale.

En France, les choses se gâtent au cours des dernières années en raison d’une conjonction de facteurs : marginalisation du Quai d’Orsay due à une prééminence de la cellule diplomatique de l’Elysée[2], faiblesse des ministres successifs des Affaires étrangères, conformisme de la pensée d’une majorité de diplomates face à un monde en pleine révolution[3], indépendance gagnée par les ministères techniques à l’international[4]… Tout ceci contribue à un effacement de la France à l’extérieur. C’est dans ce contexte dégradé qu’intervient cette réforme de la Haute Fonction publique, initialement envisagée à travers une réforme ou une suppression pure et simple de l’ENA.

Le métier de diplomate de demain : une exception française

Constater que la « vieille diplomatie » ne fonctionne pas relève de l’évidence ! Mais est-ce les diplomates qui en sont la cause, principale ou secondaire ? Il est toujours aisé de trouver un bouc émissaire commode, un idiot utile pour masquer les raisons du dysfonctionnement actuel du système multilatéral imaginé en 1945 pour prévenir un nouveau conflit mondial et les ratés de l’outil diplomatique national[5]. S’il est opportun, important de saisir l’occasion pour réfléchir à une réforme de la diplomatie (recrutement, formation, indépendance d’esprit, récompense du mérite ou du copinage, déroulement de carrière, déontologie…), faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Dans la Maison des bords de Seine, l’on met en avant les chantiers déjà lancées sur les questions de parité et de diversité dans les profils des cadres servant à l’administration centrale et des ambassadeurs en poste à l’étranger. La réforme de la diplomatie, telle qu’envisagée à ce jour et critiquée de l’intérieur (arbitrage rendu contre l’avis initial de Jean-Yves Le Drian), ne nous paraît pas répondre à la bonne question. En quoi consiste-t-elle ?[6] Les deux corps principaux de la hiérarchie du Quai d’Orsay (conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires) vont être supprimés (transformés à partir de 2023 en corps en voie d’extinction). Ceci concerne 800 hauts fonctionnaires sur 1800 diplomates de catégorie A. Les bruits de couloir vont bon train, alimentant les discussions entre ceux qui ont passé des concours sélectifs à la fois par passion du métier et par vocation pour la chose internationale et voient leurs rêves s’effondrer. Rappelons que la création de l’INSP conduira à la création d’un nouveau « corps des administrateurs de l’État » (qui regroupera l’ensemble des corps recrutés jusqu’à présent par la voie de l’ENA), sorte de couteau suisse du ministère de la Transformation et de la Fonction publiques dirigé par Amélie de Montchalin ! Les diplomates ont vocation à rejoindre ce nouveau vivier interministériel de fonctionnaires comme les préfets et inspecteurs généraux des Finances. Les syndicats du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères sont vent debout contre cette réforme, estimant, à juste titre, qu’elle constitue une « façon de nier notre métier » et qu’elle « signe la disparition programmée de ce ministère » qualifié de régalien. Ils mettent également en exergue « la difficulté à construire des carrières dans la durée » tant sur le plan professionnel que personnel dans ce nouvel environnement administratif. Mais que pèsent-ils sur le plan interministériel et face à une pratique verticale du pouvoir peu portée à la concertation avec les corps intermédiaires ? Seule question qui n’a pas encore été définitivement résolue, l’avenir du corps d’Orient permettant à ce jour de recruter des agents en fonction de leurs compétences linguistiques spécifiques mais aussi de l’Histoire des civilisations. Un cocktail très hexagonal d’authentique auberge espagnole et d’usine à gaz. Faire passer tous les hauts fonctionnaires sous la même toise est un principe louable mais sa mise en œuvre suppose un minimum de réalisme et de prise en compte des spécificités d’un métier qui sort de l’ordinaire par les qualités et l’abnégation qu’il réclame des diplomates.

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« La diplomatie, c’est la science de ceux qui n’en ont aucune et qui sont profonds par leur vide, science d’ailleurs fort commode, en ce sens qu’elle se démontre par l’exercice même de ses hauts emplois ; que, voulant des hommes discrets, elle permet aux ignorants de ne rien dire, de se retrancher dans des hochements de tête mystérieux ; et qu’enfin l’homme le plus fort en cette science est celui qui nage en tenant sa tête au-dessus des évènements qu’il semble alors conduire, ce qui devient une question de légèreté spécifique. Là, comme dans les arts, il se rencontre mille médiocrités pour un homme de génie » (Honoré de Balzac, 1836). Manifestement, les promoteurs du volet diplomatique de la réforme de la haute fonction publique partagent, en tout ou partie ce jugement de l’auteur de la Comédie humaine. À notre connaissance, nos principaux partenaires n’envisagent pas de procéder à pareille type de réforme de leur outil diplomatique. Pourquoi ? Privilégieraient-ils la stabilité au changement en cette période de transition d’un monde à un autre ? Au terme du premier mandat présidentiel d’Emmanuel Macron, les diplomates français se consoleront comme ils le pourront, ayant désormais tout loisir de célébrer le requiem du grand déclassement de leur métier.

[1] Bastien Scordia, Direction, présidence… Le voile se lève sur la gouvernance du futur INSP, www.acteurspublics.fr , 8 novembre 2021.

[2] René Backmann, La diplomatie selon Macron, le coup d’éclat permanent, www.mediapart.fr , 15 novembre 2020.

[3] Un diplomate victime de maltraitance, Le Canard enchaîné, 3 novembre 2021, p. 3.

[4] Stéphane Aubouard, Alain Léauthier, Le Quai d’Orsay, de la lumière à l’ombre, Marianne, pp. 44 à 47.

[5] René Backmann, Le fiasco de la diplomatie française, www.mediapart.fr , 14 novembre 2020.

[6] Philippe Ricard, Au Quai d’Orsay, la réforme du recrutement indigne les diplomates. Le ministère des affaires étrangères cherche à sauver le concours des cadres d’Orient, Le Monde, 29 octobre 2021, p. 3.